08/02/2006
La trypanosomiase et le poipoil.
La trypanosomiase africaine, ou maladie du sommeil (Trypanosoma brucei rhodesiense et T.b. gambiense) est une parasitose qui menace 60 millions de personnes, et en touche environ 45.000 par an, en fait probablement 10 fois plus (source OMS).
La mortalité est de 100%, en l’absence de traitement.
Les foyers endémiques sont : Cameroun, Centrafrique, Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée, Ouganda, République unie de Tanzanie, Tchad, à un moindre degré : Bénin, Burkina- Faso, Guinée Equatoriale, Kenya, Mali, Mozambique, Togo et Zambie.
Comme vous pouvez le constater, ces pays sont éloignés, pauvres (absence de pétrole), et habités par des populations noires.Ce qui explique, primo que personne n’entende parler de ce fléau, et que secundo, peu de gens se débattent pour le combattre.
Vous me direz qu’en occident, on se bat contre deux autres fléaux africains : le paludisme, et le HIV.
C’est déjà pas mal, pourrait-on dire.
Certes, mais si le palu ne touchait pas quelques touristes occidentaux chaque année, si il ne gênait pas le commerce, et si nous n’étions pas touchés par le HIV, que ferions nous réellement pour aider l’Afrique ?
Mais revenons à notre trypanosomiase.
N’étant pas un spécialiste de cette pathologie, je vais faire court, pour ne pas faire faux.
L’arsenal thérapeutique est particulièrement limité, il n’existe que trois traitements anciens ( la Suramine découverte en 1921, la Pentamidine découverte en 1941 et le mélarsoprol découvert en 1949).
Ces traitements ont des effets secondaires diaboliques.
Ainsi, le mélarsol, le seul utilisable dans les formes avancées, est un dérivé de l’arsenic. Dans 10% des cas, il provoque une encéphalite suraigüe, mortelle dans 60% des cas.
Autrement dit, tout le monde sert les fesses quand on débute la perfusion.
Que vient faire le « poipoil » dans cette triste histoire ?
Et bien, dans les années 90, le laboratoire Bayer, expérimente un anti cancéreux, l’eflornithine.
Malheureusement, cette molécule n’apporte rien dans le traitement du cancer, mais un certain Cyrus Bacchi découvre (je ne sais pas comment), qu’elle est efficace sur la trypanosomiase.
A la suite d’un cas de guérison exceptionnelle en Belgique, on l’appelle « the resurrection drug ».
Tout n’est pas rose, les effets secondaires étant ceux d’un anti cancéreux, mais dans le désert thérapeutique de la trypanosomiase, cette molécule est une oasis.
En 1995, la production est néanmoins cessée, pour cause de non rentabilité.
Rassurez-vous, nos amis africains ne sont pas oubliés, le laboratoire Bayer, puis Aventis, puis Sanofi (au fil des rachats) offre le brevet de fabrication à l’OMS.
Mais l’OMS est incapable de trouver un fabricant pour une molécule chère à fabriquer, et qui ne sera jamais rentable.
On vide donc inéluctablement les stocks d’Aventis depuis 1995.
C’est là que le poipoil fait son apparition. Une autre firme pharmaceutique (BMS) découvre qu’une crème à base d’eflornithine a un effet dépilatoire « décoiffant » dans les cas d’hirsutisme facial des femmes (pathologie au combien majeure dans nos pays, presque un problème de santé publique !).
Là, c’est rentable.
BMS fabrique donc cette crème, en accord avec Sanofi.
L’OMS contacte BMS qui leur alloue 60.000 ampoules par an, pour un prix raisonnable, pour une durée…à déterminer.
De son côté, Sanofi débloque 5 millions de dollars par an pour la recherche et le développement de nouveaux anti trypanosomiques.
Ouf, on a eu chaud.
Merci les poipoils !!
Comme d’habitude, les morales de cette histoire :
- Mieux vaut être riche que pauvre, occidental qu’africain (ce n’est pas nouveau).
- Les firmes pharmaceutiques sont là pour s’enrichir, ne croyez donc pas leurs publicités humanistes. Par ailleurs, je ne leur reproche pas cette recherche du profit, ce sont des industries comme les autres. Mais il faut le savoir une bonne fois pour toutes, pour ne pas être déçu.
-L’OMS est, comme d’habitude un tigre aux dents de papier, incapable de faire fabriquer 60.000 ampoules, par faute d’un manque de moyens. Toutefois, sans son action efficace, les firmes n’auraient pas lâché du lest. Une bien belle victoire à la Pyrrhus.
-Dormez tranquilles, nous ne risquons rien en France. Dans le cas contraire, on aura vite fait de trouver une molécule efficace, et sans effets secondaires. Non, mais oh !!
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PS: c'est un article dans "Prescrire" du mois de février qui m'a donné l'envie d'écrire cette note. Mais il existe des dizaines de pages web sur le net.
A vous de "googler"!
11:55 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)
04/02/2006
Sortie de garde.
J’étais de garde la nuit dernière.
Pas de grands moments de médecine ou d’humanisme.
Le moment le plus sympa : un patient corse, extubé en corse par un infirmier corse.
- « Cumu và ?
- Và bè ! »
Je n’ai pas réussi à intercepter et comprendre le rituel « on va vous enlever le tuyau de la bouche ! ».
Le moment le moins sympa : ré-intubation après une crise convulsive à 6h20 chez une patiente au pronostic post-opératoire compromis.
L’aide –soignante qui m’a appelé, m’a trouvé la voix remarquablement claire à cette heure, la pire de toute, ou toute conscience est dissoute par la fin de nuit.
J’ai un peu crâné, mais je venais de me réveiller juste avant son appel, pour faire un petit pissou.
La glotte était un peu antérieure, et le cou assez court, mais grâce à François, l'infirmier corse, et un pseudo "Sellick", je suis passé sans problème ("pseudo", car la manoeuvre de Sellick sert initialement à empêcher une régurgitation de liquide gastrique, et non à exposer une glotte mal vue par un cardiologue à 6h20 du matin...).
19:04 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)
08/01/2006
Informations de la CARMF.
La CARMF (Caisse Autonome de Retraite des Médecins de France) est, comme son nom ne l’indique pas, obligatoire pour tout médecin exerçant dans l’hexagone.
La CARMF sait tout de nous, et ses registres sont donc une mine d’informations.
J'ai reçu la semaine dernière une petite brochure mensuelle, ma foi, fort intéressante.
Première page, première surprise, il y a près de 3 vice-présidents à la tête du bureau du conseil d’administration. Ils doivent avoir une sacrée peur de la vacance du pouvoir. Le poste suprème doit être à haut risque. J'imagine des conspirations, des poudres versées dans les bouteilles de Vittel, avant les réunions. Pire que les "Rois Maudits", en somme.
Le conseil compte parmi ses membres 2 médecins retraités (« normal » pour une caisse de retraite), et de manière plus étonnante, la conjointe d’un médecin décédé (« normal » aussi, la caisse versant une partie de la retraite d’un médecin décédé, à son conjoint).
Je ne fais pas de mauvais esprit, car je n’imagine pas une seconde qu’une partie des quelques 2319 euros forfaitaires que j’ai versés l’an passé (2005 étant ma première année) serve à rétribuer ces 3 rouages essentiels de cette belle machine qu’est la CARMF.
Je pense, bien évidemment, que les membres du conseil exercent leur charge de manière totalement bénévole, pour le bien de tous.
Progressons dans la petite brochure.
Page 21 : tableau d’espérance de vie des médecins de plus de 50 ans en 2005.
Globalement, on vit bien : 32.67 années à 50 ans pile, pour un homme, 37.89 pour une femme.
Page 23 : ce que chaque spécialité gagne par an. Je ne vais pas toutes les citer, ce serait fastidieux. En secteur 1 (honoraires fixés), les mieux lotis sont les radiothérapeutes avec 153788 euros, les moins bien lotis : les endocrinologues avec 40597 euros.
Les cardios ne sont pas trop mal lotis: 96126 euros.
La moyenne des généralistes est à 66279, celle des spécialistes à 88361 (secteurs 1+2).
En France, il y a 61711 généralistes, et 50556 spécialistes en exercice. Les obstétriciens purs (non gynecologues) peuvent quasiment se réunir dans une cabine téléphonique (en plus, leur spécialité s'y prête pas mal ;-) ), ils ne sont que 40 en France. Les psychiatres "généraux" sont les plus nombreux (heureusement, vous le verrez plus tard...): 5673.
La répartition selon le sexe montre une très nette féminisation de la profession.
Ainsi, 68% des généralistes âgés de 25 ans sont des femmes, de même que 47% des spécialistes de 30 ans. Dans les âges plus élevés, la répartition était plutôt du genre 80/20 pour les hommes.
De quoi souffrons-nous ?
Et bien, c’est assez curieux : 28.8% d’affections cancéreuses (ici, pas de surprise), juste devant les affections psychiatriques (18.7%). Les affections cardio-vasculaires sont loin derrière, avec 10.6%.
Lorsque l’on s’intéresse aux pensions d’invalidité, les affections psychiatriques sont largement devant avec 39.1%.
Etre médecin rend fou !
Du moins, c’est ce que me répète à longueur de journée mon ami invisible !
Vieux, argenté, mais dépressif ou fou.
Quel avenir !!
20:20 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)