18/02/2006
Sortie de garde.
Sauf à 22h21, ou un patient opéré du jour a déclenché une magnifique torsade de pointes (mieux vue ici).
La torsade de pointe est un drame shakespearien ou tous les éléments déclencheurs se mettent en place lentement mais inéluctablement.
Passons-les en revue, par ordre d’apparition :
- Une kaliémie un peu limite (3.6 mmol/l) mais potentiellement dangereuse sur un cœur fragilisé par l’intervention.
- Un QTc long (près de 0.64 sec.). Les étiologies sont probablement multifactorielles dans le contexte.
- Une bradycardie relative entraînée par la pose compensatrice suivant le doublet ventriculaire, tout au début de l’enregistrement (qui d’ailleurs déclenche un complexe stimulé, improprement appelé « N » par l’enregistreur).
- Le coup de grâce avec la survenue l’une ESV (flèche) en pleine période réfractaire du deuxième complexe nommé « N » (la aussi improprement, car il s’agit probablement d’un complexe de fusion).
Après, la sarabande commence (on peut admirer la "torsion" de l'axe des complexes avec pointes en haut puis en bas, d'ou le nom de "torsade de pointe" inventé par Desertenne, un français, en 1966).
La courbe inférieure est une courbe d’artère, comme vous le voyez, le débit cardiaque est quasiment nul.
L’infirmier, n’écoutant que son courage a bondi sur le patient, lui administrant un magistral coup de poing sternal. L’arythmie s’est réduite de suite, envoyant le brave Georges aux anges : « t’as vu comme je l’ai réduit !!! ».
Je l’ai un peu refroidi : «Uhmmm, c’est une torsade de pointes, ça se réduit tout seul au bout de 10-15 secondes ».
Georges est retourné boire son café, déçu.
On ne peut pas être héroïque tous les jours…Par ailleurs, je n'aime pas trop cette mode du coup de point sternal, surtout chez un patient qui a eu le sternum scié en deux le matin même!
Pour prévenir la récidive, j’ai accéléré son pace-maker externe à 100bpm, et lui ai fait passer 3 grammes de Kcl sur 3 heures.
Le reste de la nuit a été très calme.
10:40 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : carablogs, medecine et web
11/02/2006
Recherche médecin désespérément.
J’ai regardé le reportage d’Envoyé Spécial de jeudi dernier sur la désertification médicale des campagnes. Et bien, ça m’a déprimé, presque mis la larme à l’œil.
L’objectif principal des médecins devrait être de soigner la population. De toute évidence, et ce reportage le pointe douloureusement, nous avons largement perdu notre cap.
Nous avons abandonné de larges portions du territoire, laissant des populations entières largement défavorisées en terme de besoin de santé.
Je dis « nous », car tout le monde à beau jeu de critiquer le gouvernement depuis 30 ans, moyen très simple, et sempiternel de se défausser ; mais notre responsabilité est criante.
De quel ordre est-elle ?
Je pense d’abord que nous avons oublié les « fondamentaux » de la médecine (comme on dit au rugby).
Je vais un peu jouer ici mon « Caton », censeur de la République, rigoriste et austère ; mais c’est salutaire, parfois.
1). On ne fait pas médecine pour gagner de l’argent. Il y a des métiers ou le rapport « Revenus/Etudes+responsabilité » est bien meilleur.
2). On fait médecine pour servir des gens malades, ou à risque de l’être (j’emploie à dessein le verbe « servir »). Si un médecin commence à se comporter comme un fonctionnaire fermant le rideau à 15h55, qu’il fasse autre chose.
3). On ne fait pas médecine pour avoir un statut social élevé, pour être un notable. Les « notables » de ce siècle sont des affairistes, des footballeurs et des starlettes au Q.I. limité. Nous n’avons pas notre place dans ce groupe.
4). On ne fait pas médecine pour être spécialiste.
Ce n’est pas le nirvana à viser. Ceux qui n’ont pas intégré le 1) ne peuvent pas comprendre, passez au paragraphe suivant. Pour les autres, le médecin généraliste est la clé de voute de l’ensemble du système de santé. Il est décrié, mal formé par rapport son immense tâche, et souffre d’une comparaison hâtive et superficielle avec le spécialiste. Mais, croyez moi, c’est lui qui fait tout.
En conclusion, la médecine est par essence une « vocation », et pas un métier, une orientation scolaire comme les autres, comme je l’ai entendu dans le reportage.
J’avais envie de prendre par la main le groupe de 5-6 dégingandés qu’ils ont interrogés, pour leur faire connaître tous les médecins qui ont donné leur vie et leur santé pour soigner les autres. J’ai utilisé le passé, mais le présent est valable aussi. Pensons à tous nos confrères qui œuvrent en faveur des déshérités dans le monde entier, dans des conditions effroyables, au mépris de leur confort, voire de leur vie.
« Un métier comme un autre », « Le droit aux loisirs », j’ai effroyablement honte pour eux. S’il vous plait, faites autre chose, je le dis sans haine, faites autre chose, ce sacerdoce n’est pas fait pour vous. Décompresser, passer du temps avec sa famille, jouer du trombone à coulisse ou que sais-je est vital, nécessaire ; mais faire passer « les loisirs » comme un droit, avant de parler de notre devoir principal, qui est de s’occuper des patients me laisse bien pantois. Encore une fois, nous ne sommes que le reflet d’une société qui prône la prééminence des droits, au mépris des devoirs.
Beaucoup d’entre nous se plaignent de la disparition du respect qu’éprouvaient les patients. C’est bien normal, nous le méritons de moins en moins. Horaires « 35 heures », refus de visite, âpreté au gain sont nos couronnes d’épines.
Ce pauvre généraliste de Normandie, qui se débat pour trouver un associé puis un remplaçant a bien compris le problème. Il fait partie de ceux qui sont à la limite entre deux conceptions du métier. Resté sur des notions anciennes, il se tue à la tâche au service de ses patients, en déplorant l’absence de relève, de « jeunes » (depuis 10 ans, a précisé une de ses consœurs).
Enfin, honnis soient ceux qui ont tiqué devant la provenance des deux « sauveurs » du reportage : une diplômée belge, et un diplômé tunisien.
Sans ces « supplétifs », dernières roues bafouées du carrosse, le système aurait implosé depuis bien longtemps.
Je leur souhaite bonne chance, en espérant qu’ils seront aimés de leurs patients, autant qu’ils les aimeront.
18:30 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (21)
Norman E. Shumway
Le Dr. Norman E. Shumway est décédé hier à 83 ans d’un cancer à son domicile de Palo Alto (Calif.).
Cet homme, peu connu du grand public, en tout cas moins que le premier à réussir une transplantation cardiaque, le flamboyant Dr Barnard, a néanmoins largement aidé à diffuser cette technique.
Il a réalisé un peu plus de 800 transplantations cardiaques, ainsi que la première transplantation combinée cœur-poumon en 1981, avec le Dr Bruce Reitz.
Il était aussi doté d’un solide sens de l’humour, comme quand on l’interrogeait sur l’inflation galopante des dépenses de santé :
"The expense is monumental and enough to make you a Christian Scientist, which is the only way to solve the health care situation."
Paix à son âme.
16:12 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)