09/06/2006
La cardio-ethnologie
C’est un domaine qui n’existe pas encore, et pourtant dont je voulais parler depuis longtemps.
J’ai toujours remarqué que les patients avaient tendance à aller voir des cardiologues de leur origine ethnique/confession religieuse.
Bon, a priori, ce n’est pas étonnant.
Un patient cardiaque, par définition inquiet, va rechercher à se rassurer auprès d’un médecin qu’il pense être semblable à lui, de la même culture, et donc à même de mieux le comprendre.
Un jour, j’attendais dans la salle d’attente de deux confrères d’origine arménienne.
Les patients défilaient devant la secrétaire : Topalian, Harutunian, Boyadjian, Krikorian, Vosgarichian, Stepanian, Derbedrosian,…
J’avais l’impression de parcourir l’annuaire téléphonique d’Erevan ! Aznavour aurait fait son entrée en susurrant un langoureux « Aznavourian », je n’en aurais pas été beaucoup plus surpris.
Pareil pour les juifs : a patient juif, médecin généraliste et cardiologue juifs le plus souvent.
Est-ce un bien ?
Je me suis souvent demandé quelle était la motivation profonde d’un tel communautarisme. Je crois que la communion d’esprit, et l’empathie que l’on est en droit d’espérer d’un semblable en est le moteur principal.
De plus, ce n’est sûrement pas un communautarisme pour pouvoir vivre selon les préceptes/les coutumes de sa communauté. Même chez les juifs, de loin la communauté aux traditions les plus élaborées, et difficiles à suivre dans notre société, le soin est le même que pour tous les autres. Idem pour les musulmans ; il n’existe pas de manière juive ou musulmane ou arménienne de soigner une angine de poitrine.
Quant aux approches différentielles que le soignant doit avoir vis-à-vis de telle ou telle personne de telle ou telle communauté, un praticien les apprend tout au long de son cursus hospitalier.
Je crois plutôt, malheureusement, que le patient espère être mieux pris en compte du fait même de sa spécificité. Je serai mieux soigné par un médecin de ma communauté, car il va plus me prendre en compte. Sous entendu, plus qu’un patient non membre, et de façon corollaire, la crainte d’être moins bien pris en compte par un médecin extra communautaire.
Je pense que c’est une grave erreur.
Primo, car encore une fois, il n’existe pas de modus operandi différent pour soigner les patients d’origines différentes.
Secundo, je ne pense pas qu’un médecin « favorise » tel ou tel patient appartenant au même groupe que lui. Cela va contre la sacro-sainte égalité de tous devant les soins.
Surtout comment, et pourquoi favoriser un patient d’origine arménienne noyé parmi toute une clientèle de « –ians ».
Tertio, le communautarisme peut avoir des effets pervers.
Un exemple récent.
Un patient sépharade bien typique, ponté il y a peu.
Les points serrés, le regard noir, il me dit vouloir changer de cardiologue.
Ce dernier est lui aussi un sépharade bien typique.
Il est reconnu par tous comme étant compétent et adorable vis-à-vis de ses patients (quelque soit leur origine)..
Je demande au monsieur la raison d’un tel rejet.
« Il se disait mon frère, mon ami, et il n’est même pas venu me voir quand j’étais hospitalisé ».
Primo, ce cardiologue utilise ces qualificatifs larga manu, que vous soyez juif, lapon, ou tahitien. Il est d’autant plus convainquant qu’il a le geste rond et la tape sur l’épaule très facile. Il use de son charme, ça marche, ses patients l’adorent et c’est justifié.
Mais le patient que j’avais devant moi, lui, il s’estimait trahi. Un véritable coup de poignard dans le dos. Quasiment une déception amoureuse.
C’est dangereux, car il était prêt à aller voir le premier rigolo venu qui lui aurait fait un peu de charme. C’est aussi dangereux car on ne peut pas soigner correctement un proche. Soigner possède une part irréductible de dirigisme et de coercition.
Finalement, ce matin, ils se sont téléphonés et sont redevenus frères, comme avant, du moins jusqu’à la prochaine séance de « comediante ! tragediante ! ».
21:15 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : carablogs, medecine et web
08/06/2006
Voie de disparition
Extrait d'un article sorti en 2003 dans l' European Heart Journal (Eur. Heart J., February 2003; 24: 299 - 310)
Number (per million inhabitants) and changes (diff %) in certified cardiologists in the EU/EFTA countries 1997 vs 2000.
Country 1997 2000 diff (%)
Greece 170 210 23
Italy 156 166 6
Belgium 65 76 17
Portugal 65 66 1
France 83 65 −22
Iceland 62 65 5
Switzerland 52 53 2
The Netherlands 45 49 9
Sweden 35 41 17
Denmark 30 39 30
Norway 37 38 3
Austria 20 32 60
Spain 48 30 −37
Germany 24 26 8
Finland 16 17 6
UK 8 12 50
Ireland 8 7 −12
-22% de cardios en 3 ans....
J'espère que ce n'est pas dû à une maladie contagieuse!
18:45 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : carablogs, medecine et web
20/05/2006
La pré-hypertension.
Un article du New-York Times s’interroge aujourd’hui sur l’influence grandissante des firmes pharmaceutiques sur les comités scientifiques chargés de rédiger les recommandations portant sur le diagnostic et le traitement de telle ou telle pathologie.
L’exemple pris est celui de l’ASH (American Society of Hypertension).
Cette société savante a participé à la rédaction du JNC VII, dernière mouture en date des recommandations américaines sur la prise en charge de l’hypertension artérielle (the JNC 7 report. JAMA 2003 ; 289 : 2560-72).
Ces JNC (Join National Committee) sont un peu les « DSM » des psychiatres. Un comité d’expert se réuni régulièrement, et modifie la définition et la prise en charge de l’hypertension en fonction de la littérature.
Le JNC VI date de 1997, le VII de 2003.
Jusqu’à présent, on était hypertendu (TA > 140/90) ou non.
En fait, le « non hypertendu » était divisé en 3 catégories par le JNC VI:
tension « optimale » (<120/<80),
« normale » (<130/<85) et
« normale haute » (130-139/85-89).
Du point de vue pratique, seuls les patients classés dans la catégorie « normale haute » et présentant un diabète, une atteinte rénale, ou cardiaque (hypertrophie ventriculaire gauche, ou insuffisance cardiaque), justifiaient d’un traitement pharmacologique. Les tensions artérielles « normales » bénéficiaient de simples conseils hygiéno diététiques.
Avec le JNC VII, apparaît la notion de pré-hypertension (120-139/80-89 mmHg).
La tension normale étant maintenant définie par <120/<80.
L’introduction précise même que le risque cardio-vasculaire existe à partir de 115/75 (!!!).
L’hypertension débute toujours à 140/90 (heureusement pour notre mémoire !!).
Les patients « pré-hypertendus » bénéficient de conseils hygiéno-diététiques, ou d’un traitement en cas de morbidités/pathologies associées (insuffisance cardiaque, post infarctus du myocarde, haut risque de coronaropathie, diabète, prévention d’accidents cérébraux récurrents).
Pour résumer, les dernières recommandations ont nettement abaissé le seuil ou l’on considère la tension artérielle comme nocive. Ainsi, le seuil d’intervention s’est abaissé de 130-139/85-89 pour le JNC VI à 120-139/80-89 pour le JNC VII.
Bon, ceci étant dit, c’est là que le bât commence à blesser.
Primo, les recommandations européennes (J Hypertens 2003 ;21 :1011-53) sont restées assez similaires au JNC VI. Les comités européens considèrent en effet que les nouvelles études ayant amené la notion de « pré-hypertension » n’ont pas apporté d’argument décisif. Les européens prennent en compte bien plus que les américains la notion de risque cardiovasculaire global, intégrant non seulement l’hypertension mais aussi le diabète, le tabagisme…
Secundo, certaines voix américaines s’élèvent aussi sur la validité scientifique de cet abaissement de seuil.
Ce sont ces opinions que colporte l’article du « New-York Times ». Par ailleurs, ce papier s'interroge aussi sur l'indépendance des comités de rédaction, vis-à-vis de l'Industrie pharmaceutique. Ainsi, Merck, Novartis et Sankyo on versé près de 700.000 dollars à l’ASH pour organiser des dîners afin de promouvoir les conclusions du JNC VII auprès des médecins. Geste probablement généreux, afin de diffuser la bonne parole, mais qui pose de sérieux problèmes d’indépendance. Si le JNC VII avait revu les seuils d’intervention à la hausse, aurait-il en lieu ?
Par ailleurs, 6 des 7 médecins qui ont écrit ces recommandations sont ou ont été des consultants rétribués de firmes fabriquant des traitements antihypertenseurs. Peut-on être juge et partie à la fois, et sans interférence ? L’hypertension touche 65 millions d’américains (définition JNC VI), soit un chiffre d’affaire de 17 milliards de dollars par an. 59 millions d’américains sont « limites ». Le JNC VII va probablement en pousser une bonne partie dans le camp de ceux qu’il va « falloir » traiter. Imaginez la progression potentielle du chiffre d’affaire !
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Ceux qui ont bien suivi ce que j’ai écrit précédemment devraient avoir une remarque sur les lèvres.
…
Alors ?
…
Ce n’est pas grave, le sujet est assez aride !
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La remarque, c’est que le JNC VII ne préconise pas de traitement pharmaceutique aux patients « pré-hypertendus », sauf dans le petit sous-groupe le plus à risque.
L’industrie n’aurait donc pas grand-chose à gagner dans cette histoire?
Et bien, si !
Abracadabra !
Dans le NEJM, une étude a démontré l’intérêt de traiter la pré-hypertension pour qu’elle ne devienne pas une hypertension vraie.
Est-ce que le patient va vivre mieux et plus longtemps ?
L’étude ne le dit pas (elle n’a pas été faite pour cela), mais je parie que la visite médicale va lui faire dire que oui.
Je parie aussi que des études vont bientôt démontrer qu’un patient ayant une tension à 120-139/80-89 mmHg devra être traité. Dans quelques années, la limite sera, pourquoi pas, à 115/75 !
L’immortalité et le bien-être des actionnaires est à ce prix !
16:05 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : carablogs, medecine et web