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26/07/2006

Boire jusqu’à la lie.

Ce matin, coup de téléphone sur le portable, en pleine vacation de döppler.

Au bout du fil, le mari de la patiente dont j’ai parlé hier.

Le centre privé d’IVG est complet, jusqu’à mi-août, ils me demandent de téléphoner pour faire accélérer un éventuel rendez vous au CHU.

Je refuse, trouve plein de raisons pour ne pas le faire. Mais personne n’est là pour me tendre la bassine pour m’en laver les mains ; la gyneco vue hier est partie en long week-end et le généraliste est aux abonnés absents.

Après 15 minutes de discussion houleuse, je m’exécute.

Ce sera demain.

Le reste de la vacation m’a peu intéressé, même le dernier patient, français vivant en Guyane, aux 9 femmes arawaks (dont les 5 veuves de son frère) et ses 29 enfants.

 

Là, je me gave de smarties pour oublier.

11:51 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)

25/07/2006

Appuyer sur le bouton.

Depuis 8 jours, une patiente me pose un problème de conscience.

 

A la suite d’une quatrième grossesse, elle présente un œdème du poumon. Le service me l’envoie pour bilan. A l’échographie, altération de la fraction d’éjection à 40%.

Deux hypothèses : cardiopathie du post partum ou myocardite virale.

Avec les internistes, je fais un bilan extensif, et je n’arrive pas vraiment à trancher.

Le contexte social est difficile, comme le disait un de mes anciens maîtres : « Ces gens sentent la pauvreté ».

Rien de péjoratif, mais un ensemble de petites observations me font entrevoir une famille modeste, avec 4 enfants, une jeune mère un peu dépassée et un père peu « entourant ». Les grands-parents sont inexistants.

L’annonce de la pathologie cardiaque a semé désordre et inquiétude. A chaque consultation, son état s’améliorait et je les rassurais. Mais elle continuait néanmoins à décrire des plaintes somatiques multiples, de plus en plus fonctionnelles. Peut-être un appel à l’aide devant des tâches domestiques écrasantes.

J’ai proposé de l’hospitaliser à la clinique pour qu’elle se repose, mais son mari y a mis son véto. La dictature des gens que l’on aime est la pire de toute.

 

Elle a un traitement associant IEC et bêta-bloquants, j’ai réussi à arrêter les diurétiques il y à quelques mois. A cette époque, je les avais mis en garde contre une nouvelle grossesse. Malheureusement, elle est tombée enceinte. Elle est actuellement à 12 semaines et demi.

 

Ils viennent me voir lundi matin avec leur fardeau.

Le mari désire zéro risque, et dans le cas contraire, pousse vers l’avortement, malgré ses croyances (il est musulman, elle est d’origine catholique a priori).

Elle est plus nuancée, et hésite beaucoup.

Après quelques minutes, je me rends compte qu’ils veulent que je prenne la décision pour eux. Ils ne sont pas capables d’analyser la situation en pesant les risques ; ils sont paralysés par leurs craintes/espoirs.

Je recommence mes explications, et ils posent les mêmes questions.

Je note encore la différence entre les deux.

Je rédige une lettre à sa gynéco, en préconisant (conseillant, que peut-on utiliser comme terme, ici ??) un avortement, du fait des risques cardiaques.

Une chose est néanmoins claire dans mon esprit : si cet enfant avait été le premier, j’aurais probablement poussé à le garder.

C’est là qu’est l’écharde dans ma chair. Bien qu’athée, la vie m’est sacrée, et ils me demandent une décision que je ne peux pas prendre à leur place. Et ils sont bien au-delà des discussions casuistiques et de risques relatifs ou absolus. Ils ne demandent pas de conseil, mais une décision.

Mais, je suis bien incapable de quantifier ce risque. Le peut-on seulement ?

Il existe, j’en suis certain, mais c’est tout.

A chaque inflexion en faveur de le garder, le mari repart à la charge avec son risque zéro, et elle acquiesce, silencieusement derrière lui.

Je les vois l’un après l’autre, pas mieux.

Je caresse les têtes des quatre enfants piaillant qui sortent de la consultation en ne me sentant pas à l’aise.

La gynéco me rappelle le soir, elle a la même analyse que moi, notamment sur le contexte social. Ils lui ont aussi demandé de prendre leur décision. Elle a esquivé en les adressant vers un centre d’IVG demain. Je ne la blâme pas.

Ce soir, la jeune femme m’appelle sur le portable, après avoir vu son bébé sur l’écho de datation, elle est encore plus désemparée.

Elle va y aller, mais à reculons. Son mari ne préfère pas l’accompagner.

Leur nuit va être difficile.

La mienne aussi.

 

22:12 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (7)

Le sépharade fou.

Il y en a, j’en connais au moins un.

Il a un anévrysme de l’aorte ascendante qui a pris 7 mm en 12 mois (c'est énorme...).

Il ne dépasse pas encore la taille fatidique.

Mais je le surveille tous les 3-6 mois par une IRM.

Du moins, je tente, il ne vient pas aux rendez-vous depuis avril dernier.

Il arrive hier, tel Raminagrobis, «bien fourré, gros et gras », tout transpirant, et les yeux un peu glauques.

« Je suis mort, j’ai fait la nouba toute la nuit ».

« Si votre anévrysme pète sur la piste de dance, vous aurez tout gagné ! »

« Il n’y a pas que sur la piste qu’il risque de pèter… » avec des petits yeux brillants.

«Ca ne va pas laisser un souvenir impérissable à votre partenaire, faîtes un peu attention ! ».

Je lui réexplique pour la nième fois les consignes de prudence, et lui suggère d’aller voir un chirurgien cardiaque fin août.

« Je serai peut-être en Israël pour le mariage d’une cousine ! ».

 

Je le regarde dubitatif : « Ben voyons! Pas trouvé d’endroit plus calme en ce moment ? ».

D’un autre côté, il a plus de chance de mourir d’une rupture d’anévrysme sur une piste de dance d’un mariage sépharade, ou qu’il se déroule que sous une roquette du Hezbollah.

 

Eli, Eli, lamma sabachthani...

12:45 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)