17/10/2006
La cérémonie
Ca m’a rappelé la mienne, et le cérémonial très précis en général (bien que très variable selon les facultés).
Le candidat arrive environ 30 minutes avant l’heure prévue, pour tester la connexion entre le portable et le projecteur. L’assesseur, corse par tradition et par cooptation vérifie que tout est en ordre et donne les dernières consignes. Ensuite, il nous aide à enfiler la toge noire avec épaulette d’hermine. En l’ajustant, au besoin à l’aide d’épingles à nourrice, il glisse à l’oreille du candidat avec un accent inimitable : « L’entretien de la toge coûte cher, et nous n’avons pas de budget… ».
Comprenne qui pourra !
Généralement, tout à son stress, on lui glisse 40-50 euros dans la main. Quatre à 5 thèses par semaine, 20 par mois, soient 800-1000 euros par mois.
Un véritable gouffre, cette toge qui est en fait une ignoble pelure qui n’a pas vu un pressing depuis son tissage dans les années 70. Ou passe donc tout cet argent ? Le nez rubicond et les extrémités tremblantes, les grosses gourmettes (ou est invariablement inscrit le prénom « ANGE ») et les lourdes cartes en or massif et en relief de la Corse pendues au cou de chaque assesseur pourraient être une piste intéressante. Mais en général, on pense plus à la cérémonie à venir qu’à s’offusquer de cet impôt révolutionnaire, de cette offre « que l’ont ne peut pas refuser ». Le dernier qui a essayé a trouvé le soir même dans son lit une tête de cheval mort.
La salle est lambrissée, sauf le mur du fond ou s’étale une fresque qui n’a d’hellénistique que le nom et qui aurait été peinte par un disciple aveugle de Alma-Tadema.
Une estrade supporte une table massive en bois sombre, entourée de chaises pour le jury et le candidat. Sur la table trône un buste d’Hippocrate. Comme personne ne sait à quoi ressemblait le grand homme, il s’agirait en fait du buste du grand oncle par alliance du cousin germain (bien que né à Calvi) de l’appariteur.
L’ensemble est séparé du public par une barrière en bois.
L’assesseur annonce le jury, le public se lève, les membres herminés déboulent à la queue leu leu.
Brève phrase introductive du président du jury : « Nous sommes ici pour examiner le travail de Monsieur X., en vue de lui accorder le titre de Docteur en Médecine. Veuillez commencer ».
La présentation sur Power Point dure environ 20 minutes. En général, les jurys les plus âgés en profitent pour se curer le nez.
Ensuite, le candidat monte sur l’estrade et s’assoit au milieu du jury pour répondre aux questions.
Le plus jeune agrégé commence ; en général c’est le plus pervers, avec les questions les plus délicates. Avant d’entrer dans le vif du sujet, chaque membre du jury fait un panégyrique du candidat («l’interne le plus çi, le plus ça qu’il m’ait été donné de voir… »).
Dans mon cas, un des membres me connaissait à peine, il a quand même brodé un éloge de 5 minutes.
Quel numéro d’acteur !
Invariablement, le Président du jury termine et pose en général les questions les plus gentilles (il est souvent à l’origine du travail, il n’a pas trop intérêt à le démolir…).
Puis le jury sort pour délibérer.
Comme la messe est dite par avance, je me suis toujours demandé ce qu’ils pouvaient se raconter : week-end en mer, au ski, dernières frasques d’untel…
Le jury revient. Le public se lève, et reste debout.
Petit speech du Président qui dit que le jury a accordé le titre du Docteur de Médecine à Monsieur Untel avec mention (le plus souvent très honorable). Il invite enfin le maintenant Docteur en Médecine à prêter serment en levant la main sur le front dégarni d’Hippocrate (de son vrai nom Ange Petrucciani, mais personne d’autre ne le sait…).
Ensuite, en général, c’est là que la famille pleure de joie et de fierté.
Ca finalement, tout ce décorum ne sert qu’à une seule chose, comme l’a si joliment dit un de mes anciens patrons (et membre du jury) :
« Alors, j’ai réussi à faire pleurer mémé?
- Oui, Monsieur
- C’est l’essentiel. »
Tout est dit.
12:55 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (7)
14/10/2006
Grosse semaine
Hier à 20h00, en rentrant à la maison, je repensais à ma semaine. Tous les kékés de la ville bravaient la mort en slalomant entre les voitures avec leurs "205 Rallye" trafiquées sur la petite route de banlieue. Bien petits James Dean de pacotille.
Deux œdèmes aigus du poumon à la clinique, dont une mutation en SAMU (hier au soir, justement). La dame que j’ai transférée est restée exactement 15 minutes avant de faire un OAP. Lorsque j’ai téléphoné au médecin qui me l’avait envoyé, il m’a dit qu’elle était « un peu limite » en montant dans le VSL. Beau diagnostic, heureusement qu’elle n’a pas commencé à faire la carpe durant le transport ! Une dizaine de bouffées de trinitrine sublinguale et 60 mg de Lasilix IV plus tard, elle était stabilisée et le SAMU arrivait.
L’après midi, j’avais fait l’admission d’un homme de 44 ans.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas de chance.
Il est déménageur, et en faisant un effort, il fait sortir une hernie (dite « de Spiegel »). Il consulte un chirurgien qui l’opère, parce que le patient insiste : en fait dans la hernie, il trouve un sarcome abdominal. Il est transféré en centre spécialisé ou on extrait ce sarcome. Deux ans plus tard, métastase pulmonaire : lobectomie droite avec chimiothérapie. Encore deux ans plus tard, cardiopathie aux anthracyclines avec fraction d’éjection à 20% (il fait un OAP un dimanche et se retrouve aux soins intensifs). En plus, on lui diagnostique un énorme thrombus auriculaire gauche enclavé dans le septum inter-auriculaire (dans le foramen ovale). Les médecins suspectent une embolie paradoxale, et de fait on met en évidence à la scintigraphie une embolie pulmonaire. Enfin (pourrait-on dire), alors qu’il est toujours hospitalisé, il envoie du caillot et bouche son aorte, il est opéré en urgence sous anesthésie locale (il est inopérable à l’heure actuelle).
La, il va bien et a un bon moral.
On appelle ça la « résilience ».
Hier je reçois un homme de 60 ans, ancien chef d’entreprise actuellement au RMI (il a fait faillite il y a 3 ans). D’instinct, il se braque contre l’aide-soignante qui s’occupe de lui et lui voue instantanément une haine froide. Il l’écrase de son sentiment de supériorité intellectuelle et de classe sociale, bien qu’elles ne reposent plus sur rien depuis bien longtemps. Il nous dérange tout le temps pour des doléances sans fin. Nous l’écoutons patiemment, car il a fait un gros infarctus. Il pleure pour un oui ou pour un non, à la moindre micro-contrariété. A la fin il me dit qu’il a trouvé à la clinique deux amis : moi et mon collègue. J’ai voulu lui dire quelque chose de gentil en lui répondant qu’il avait de la chance, parce que moi, je n’en avais qu’un seul ici : mon collègue. Il a tourné les talons en s’affaissant et en me lançant un « merci pour moi… ». Mon ami était écroulé de rire : « Pourquoi tu es allé lui dire ça !! ».
Bonne question !
Mardi, à l’hôpital, j’ai passé 45 minutes sur un döppler artériel de l’aorte et des membres inférieurs chez un patient opéré trois fois : pontage fémoral croisé gauche-droit, et pontage fémoro-poplité haut à droite, puis à gauche. Il a une occlusion iliaque droite ancienne et il claudique des deux côtés.
Alors ?
Alors ?
Bravo : sténose serrée de l’iliaque gauche qui alimente les deux membres inférieurs via le pont fémoral croisé.
Un bien beau döppler, ma foi.
Mercredi, un père et sa fille, sortis probablement pour la première fois de leur cambrousse viennent me voir pour un deuxième avis (pour le père). Ils sont arrivés au CHU, pourtant bien décati, en ouvrant de grands yeux émerveillés. Ils m’ont aussi pris pour le messie « Parce que, Docteur, vous travaillez dans le deuxième Hôpital de France ». Ils ont du lire ça dans « Paris-Match », ou n’importe quelle autre publication médicale spécialisée. Je leur ai bien vite enlevé leurs illusions, en parlant lentement, pour que le retour à la triste réalité soit moins rude.
Enfin, « last but not least », je vais faire un peu d’autocongratulation. En pleine euphorie, j’ai appelé tout le monde, Sally compris, et j’ai même raconté l’histoire à ma mère (c’est dire comme c’est exceptionnel).
J’arrive un midi et je rejoins mes collègues à l’office de la clinique. Une radio du thorax tourne dans les mains. Il s’agit d’un opéré cardiaque récent, arrivé la veille ou l’avant-veille. Le radiologue a écrit sur le compte rendu qu’il remarque une opacité para cardiaque gauche. On décide de faire un scanner à distance pour éclaircir les choses. Je regarde la radio négligemment : au sein de cette opacité, il y a une ligne radio-opaque enroulée sur elle-même, tout à fait inhabituelle. Pourtant, j’en ai vu des radios de post-opérés cardiaques.
Tout le monde se sépare.
Pourtant, cette histoire me chiffonne, je demande à l’infirmier comment va le patient. C’est un médecin à la retraite, il est très inflammatoire, sa cicatrice sternale et un point d’entrée des drains cicatrisent mal et suppurent un peu. Je regarde de nouveau la radio : l’image n’est pas superficielle, elle est intra-thoracique sur le cliché de profil. La ligne est trop épaisse pour une électrode épicardique.
Je vais l’examiner pour vérifier l’absence de compresse sur le thorax, et lui montre la radio pour savoir si il savait ce que c’était (les gens ont parfois des antécédents non renseignés dans leur dossier médical).
Il ne sait pas ce que c’est.
Uhmmm uhmmm uhmmm, je crains le pire.
J’appelle une copine assistante dans le service de chirurgie cardiaque et lui demande de regarder les clichés post opératoires.
Elle me rappelle : l’image est apparue en post opératoire.
On convient de faire voir la radio au chirurgien qui a opéré le patient.
Coup de téléphone 30 minutes plus tard : il faut rapatrier le patient dans le service, ce sont bien des compresses chirurgicales oubliées.
Malgré toutes les précautions per opératoires, et la carrière sans tache du chirurgien, ce genre de complications reste toujours possible. J’ai trouvé une abondante littérature sur le net.
Et bien évidemment, il faut que ça tombe sur un confrère…
J’ai toujours dit qu’être médecin est un facteur de risque à part entière.
En post opératoire, tout le monde est passé à côté : en réa car il y a des fils et tuyaux de partout, et en unité parce que l’interne (novice) croyait que c’était le corset du patient.
Le patient a été repris hier, et tout c’est bien passé.
Ouf !
Je me suis couché fier comme Artaban.
C’est suffisamment rare pour que j’en profite un peu.
J’attends la chute dans l’escalier, comme Camille après le sac de Véies.
°O°O°O°O°O°O°O°O°O°O°O°O°
"Lorsqu'on apporta devant lui ce butin dont l'abondance et la richesse dépassaient son attente et son espoir, Camille, dit-on, demanda, levant les mains au ciel, "Que si quelqu'un des dieux ou des hommes trouvait excessive sa fortune et celle du peuple romain, la faute en fût expiée au moindre dommage pour lui et pour la patrie." Comme, dit-on, il se tournait en faisant cette prière, il glissa et se laissa tomber; et cette chute fut pour ceux qui établirent les prédictions sur l'événement, le présage de la condamnation de Camille, et de la prise de Rome, malheur qui arriva peu d'années après. Pour en revenir à cette journée, elle fut remplie tout entière par le massacre des ennemis et par le pillage d'une ville si opulente."
Tite-Live
Histoire Romaine
Livre V
09:40 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)
06/10/2006
La buée dans les yeux.
Hier soir, j’ai accueilli un homme d’une cinquantaine d’année après un infarctus du myocarde assez important.
Je rentre dans sa chambre ; il est assis, entouré de sa femme et de sa fille.
Il est cadre supérieur dans une grande banque.
On discute de la rééducation et plus généralement de son séjour dans l’établissement.
Je lui fais remarquer que ce n’est pas le premier banquier que je vois avec un infarctus.
Malgré la totale absence de pertinence de cette remarque, l’atmosphère change brutalement dans la chambre. Ils se regardent, se figent imperceptiblement en baissant la tête.
« Peut-être vous souvenez vous de mon fils ? », les yeux embués et la voix cassée.
« Comme ça non, il travaillait avec vous ? »
« Oui, il n’est resté que deux jours ici, avant de retourner à l’Hôpital et … »
« Je comprends, je ne me souviens pas de lui, avez-vous une photo ? »
En disant ça, je me suis demandé pourquoi je l’avais fait. On agit parfois sur des impulsions mystérieuses.
La maman me tend un cliché : « C’est notre petit râleur ».
En le découvrant, je me suis remémoré : « Nous avons partagé un malheur commun. J’espère ne pas l’avoir fait resurgir ».
« Vous savez, nous le ressassons tous les jours depuis 1 an et demi ».
Je suis sorti de la chambre avec le fantôme de ce qui s’était passé devant les yeux, je suis allé voir l’infirmière qui était aussi présente ce soir là.
Atteint d’une péricardite radique en stade terminal et inopérable, il n’avait pu quitter l’hôpital que deux jours pour venir s’échouer chez nous. Au bout de 48 heures, étouffant comme un poison hors de l’eau, il était reparti par le SAMU. Ils y étaient, moi aussi, il avait 20-25 ans. Tout m’est revenu progressivement, la tristesse au premier plan.
Ses proches en sont sortis brisés.
Ce matin, en faisant l’épreuve d’effort au papa, j’ai remarqué qu’il portait au cou le portrait de son fils gravé sur une médaille en or.
15:43 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)