09/04/2005
Les deux Corinne.
Deux infirmières, la trentaine mais rien d’autre de commun.
La première travaillait dans une unité dont j’ai été l’interne.
Totalement dévouée à son travail, trop même.
Elle est rentrée dans son métier, comme on rentre en religion.
Gentille, attentionnée, discrète, jamais une faute professionnelle, même minime.
Une vie privée désertique, rien, même pas une petite histoire, malgré de nombreux prétendants, une éternelle célibataire, bien que mignonne, toute à sa Cause.
Sa perfection la rend inaccessible, on n’ose même pas l’imaginer dans des situations incongrues.
Une sorte de Sainte Thérèse de Lisieux, mais qui, au lieu d’avaler les crachats des tuberculeux, les soignerait.
Mais le mysticisme a un avantage, son objet est rarement mis à bas.
Ce qui n’est pas le cas pour Corinne.
Les fâcheux de toute sorte, notamment ses surveillantes, ont tout fait pour la faire craquer. Sa perfection les renvoyait à leur propre médiocrité.
Elles ont gagné, Corinne est passée de nuit.
J’espère qu’elle pensera ses plaies, et y apportera sa lumière.
Je connais à peine la seconde, elle est colorée rousse (j'ai un énorme faible pour les rousses, Sally l'est, mais pas pour les "fausses"), plutôt mignonne.
Elle aurait voulu que l’on fasse plus ample connaissance, bien plus.
Elle travaillait en réanimation polyvalente ou je descendais fréquemment pour faire des échographies cardiaques. Tous les réanimateurs étaient mes copains.
Je ne l’ai pas remarquée au début.
J’arrivais avec mon gros appareil en réa (Honni soit mal qui y pense !!), et j’échangeais deux mots avec le réa, puis l’infirmière du patient.
Grands sourires à chaque fois.
Rien vu venir.
Puis la bise.
Petit étonnement, j’ai toujours fait la bise à « mes » infirmières, mais rarement à celles des autres, mais sans plus.
Puis elle venait me voir, pour discuter, alors que je faisais l’écho d’un patient d’une autre infirmière.
« C’est toi qui t’en occupe ?
- Non, mais je suis venu te dire bonjour…
- C’est gentil »
Petit soupçon, mais « je me fais des idées… ».
Puis les autres infirmières, les kinés (que je connaissais à peine) commençaient à me dire :
« Corinne va être déçue, elle est de repos…
- Qui ça ??
- L’infirmière rousse (immenses sourires)
- Ah bon… ».
Gros doutes.
Puis : « Mon copain te connaît, il est infirmier au SAMU… »
Du genre, je ne suis pas jalouse, je partage…
Elle parle de moi à son copain ??
Enormes doutes.
Puis je me suis rendu compte que je ne faisais des échos plus qu’à ses patients !
Soit elle ne prenait que ceux qui allaient potentiellement avoir ma visite, ou elle traquait son interne pour contrôler la fraction d’éjection de tout le monde.
Pire, je l’imaginais pousser des nitrés à ses patients pour qu’ils aient une tension basse :
« Je sais pas ce qu’il a, je n’arrive pas à sevrer les amines, il faudrait contrôler son cœur… »
Puis, un jour, à l’office, se rapprochant doucement de moi, en pyjama vert échancré laissant voir un petit pan de dentelle blanche, mains croisées sur sa poitrine gonflée:
« Il faudrait que je te consulte, j’ai la poitrine qui me serre parfois…
- Ah bon ?… ».
A ce moment, un de ses collègues passe derrière elle, et lance à la volée, goguenard :
« C’est un massage des seins qu’il lui faudrait !! »
Elle recule, le fusille du regard, et j’en profite pour quitter la pièce.
C’est fou, j’avais alors encore des doutes, du genre tombé de la dernière pluie.
Evidemment, après cette scène, les sourires redoublaient à chacune de mes visites.
Imaginez une histoire bien croustillante de ce genre, dans le monde clos d’une réanimation…
Encore une fois, c’est fou, mais, j’en suis venu à descendre avec une de mes internes, pour tenir Corinne à distance (mon interne doit environ me rendre 40 Kg et 20 bons cm, mais c’était ma « garde du corps »).
Quand je lui expliqué pourquoi je voulais qu'elle vienne, elle a éclaté de rire.
J’en ai parlé à Sally, qui heureusement n’est pas très jalouse.
Elle sourit :
« Mon mimi est un grand séducteur… »
Etant donné le mal qu’elle a eu pour m’avoir en 1998, cette phrase est évidemment très ironique.
Elle poursuit :
« Tu n’as qu’à lui dire qu’elle ne t’intéresse pas… ».
Facile à dire, mais comment le dire à quelqu’un qui n’a rien formulé, rien demandé ?
Mon côté cancer me poussait à rentrer dans ma carapace, mais il fallait bien descendre voir les patients !
La « libération » est venue un peu par hasard.
Je commençais à prendre les sourires entendus avec philosophie.
Je passais d’abord la tête par la porte de la réa, pour vérifier qu’elle ne soit pas là, avant de rentrer.
Un jour, comme à son habitude, Corinne commence à minauder autour de moi, alors que je faisais une écho.
« Tu pars en vacances où, cette année ?
- Chez ma mère, probablement, tu sais, avec une femme et deux enfants en bas âge, tout trajet se transforme en expédition…
- … (petit blanc)
Elle repart s’occuper de son patient.
Depuis, plus rien, la bise quelques fois.
Elle m’a demandé de devenir le cardiologue de son grand-père.
J’ai accepté, et suis allé le voir à domicile (avec appréhension quand même…).
Elle était là, mais rien d’anormal ne s’est produit.
J’ai été un tout petit peu déçu…
(Pas sur la tête, Sally…).
16:55 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (6)
07/04/2005
La nouvelle convention, et réflexions diverses.
Je ne comprends pas grand’chose au langage technocratique du Journal Officiel.
Mais déjà, les patients s’inquiètent du « parcours de Santé » : faudra-t-il payer plus pour venir vous voir ? Faudra-t-il passer par le MG (beaucoup n’en n’ont pas…) ?
Faut-il choisir un médecin référent ?
Oui, clairement.
Je me suis choisi comme mon médecin référent, par pure provocation (« Fuck The System »)
J’attends la réponse de la CPAM, certains disent que c’est possible, d’autres non.
A priori, un patient cardiaque « chronique » n’aura pas à passer par le MG, et sera remboursé par la sécu intégralement si il est à 100%. Par contre, les consultations directes, pour des patients non cardiaques, pourront à priori être « passibles » d’un dépassement d’honoraires limité par la Convention.
La cotation des actes varie peu (ouf…), mais se complique sérieusement.
Le classique KE50 (échographie cardiaque trans thoracique) va désormais s’appeler DZQM006 !!!
Pas facile à retenir…
Donc, un ECG et ETT va devenir (si je ne trompe pas) : DZQM006+DEQP003/2 (Le deuxième acte est toujours divisé par deux).
Une consultation avec ECG : CS+ DEQP003+MPC
Uhmmmm, pas simple.
Enfin, hier, le cabinet a fait l’acquisition d’un appareil d’échographie digne de ce nom. Mes associés ont longtemps rechigné à faire l’investissement (ils se contentaient de l’autre sans trop de questions), mais à force de râler, je les ai convaincus (la semaine dernière, j’ai menacé de quitter l’association..).
Enfin quelque chose de moderne dans ce cabinet sorti tout droit des seventies.
Je le dis aux futurs médecins libéraux, l’association, c’est pire qu’un mariage : toutes les contraintes, sans les bons côtés.
Je suis allé avant-hier à la « journée carotides » de l’HEGP. Intéressant, les radiologues seront bientôt en mesure (je pronostique 3-5 ans) de faire un bilan complet d’un accident cérébral en un scanner (cérébral, carotidien et cardiaque-valves, thrombi et FOP-).
L’évolution actuellement exponentielle de la technologie du scanner multibarettes le laisse penser.
C’est bien pour le patient, moins bien pour nous, cardiologues, qui voyons (en fait peu d’entre nous le voient arriver) échapper l’imagerie cardiaque au profit des radiologues.
D’où mon inscription à un « DIU d’imagerie cardio-vasculaire en coupes », l’an dernier.
Vaste débat, empoignades sanglantes en perspective entre cardiologues et radiologues elles ont déjà lieu).
Le contentieux est ancien, ils nous ont laissé prendre le contrôle de la coronarographie il y à 20 ans (ils s’en mordent les doigts…) ; ils font tout pour nous empêcher de faire du scanner/IRM cardiaque.
Je laisse de côté le patient, pour simplifier le propos (les lecteurs réguliers de ce blog savent combien, hors hypocrisie de façade, combien la relation avec mes patients est importante pour moi).
Soyons pour une fois corporatistes.
L’imagerie par Scanner/IRM a fait tant de progrès depuis peu, qu’elle permet de visualiser les structures cardiaques mobiles, qui, jusqu’à présent étaient le domaine réservé des cardiologues et des ultrasons.
L’imagerie représente actuellement l’immense majorité des revenus des cardiologues libéraux (invasifs, ou non invasifs).
Dans quelques années, l’imagerie cardiaque sera mieux appréhendée par les radiologues, j’en suis persuadé.
La cardiologie risque donc d’être scindée en deux, calamité dont elle était exempte jusqu’à présent : d’un côté la clinique (peu rémunératrice), de l’autre l’imagerie (très rémunératrice).
Certes, nous aurons les patients, mais plus le contrôle sur une imagerie optimale.
J’entrevois un avenir assez sombre pour nous.
Un espoir ?
Les radiologues, dans leur immense majorité, ne connaissent absolument rien en cardiologie, ce qui les rend, pour l’instant incapables d’analyser l’image, aussi belle soit-elle. Mais, ils vont rapidement acquérir cette connaissance, je leur fais confiance.
Ensuite, il faut bien le dire, la cotation d’un scanner cardiaque est ridiculement basse (ECQH011, soit 50.54 euros), ce qui rend cet examen absolument non rentable en privé.
Ces nouvelles images resteront donc encore un certain temps l’apanage du CHU, d’autant plus que la technique n’est pas encore parfaite, loin s’en faut.
Mais ce n’est qu’une question de temps.
C’est pourquoi je me forme au scanner/IRM cardiaque.
Par intérêt intellectuel, et aussi pécuniaire, en prévision de la fin de notre pain blanc.
11:00 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)
04/04/2005
Psychiatrie.
Cette spécialité ne m’a jamais attiré, mais les cours de psychiatrie à la faculté faisaient mes délices.
Notre Prof. s’appelait Jacques Hochmann. Il était plutôt débonnaire, et organisait tous les 15 jours des enseignements « à la Charcot » dans l’enceinte du vénérable « Vinatier » à Lyon.
Tout l’amphithéâtre, même ceux que l’on ne voyait jamais assistaient à ses cours.
Nous nous entassions dans une grande salle de classe, au plafond de laquelle pendaient des dizaines de microphones.
Je me suis toujours demandé à quoi ils pouvaient servir, et leur effet sur des patients un peu paranoïaques.
Le rituel est toujours identique : nous nous installons, Hochmann arrive et nous salue, puis viennent une interne de psychiatrie et son patient.
L’interne fait tapisserie, Hochmann et le patient s’assoient, et un entretien débute pour 30 minutes chrono. A la fin, le patient est raccompagné, et Hochmann nous met en valeur les points importants de l’observation, à l’aide éventuellement de l’interne.
Ce rituel peut sembler un peu étonnant, voire agressif pour le patient, de s’exposer devant près de 75 inconnus.
Mais à chaque fois le miracle se produit, dès l’entrée du patient, un silence profond s’instaure, tous respirent dans le même rythme, on entendrait pêter une mouche.
L’entretien débute, et le patient semble totalement nous oublier. A la fin, il semble surpris de nous trouver dans la pièce.
Evidemment, Hochmann choisissait des cas assez typiques, par pédagogie.
Certains patients, et internes de psychiatrie m’ont marqué.
La plus remarquable était une patiente hystérique, habillée en tenue couleur fourrure de panthère, et très maquillée. Elle nous a tellement séduit, ainsi que Hochmann, que l’entretien a dépassé les 30 minutes. J’ai trouvé ce pouvoir de séduction fascinant, presque surnaturel. Il m ‘a rappelé de ce passage de « Ravages » de Barjavel, qui a lieu dans un hôpital psychiatrique à l’abandon.
Nous avons vu un dépressif, et là, nous nous sommes franchement ennuyés (pour rester poli), comme Hochmann qui consultait sa montre toutes les cinq minutes. C’était un maçon qui vivait constamment avec un petit nuage de pluie personnel au dessus de la tête. Pas une tuile qui ne lui soit arrivée.
Je n’ai quasiment aucun souvenir d’un jeune schizophrène.
Mais je me souviens de l’interne, ressemblant à un "Freudet" trentenaire.
Le schizophrène était typiquement un jeune des banlieues (les Minguettes), issu de l’immigration, et au parcours scolaire et professionnel que l’on peut imaginer sans peine (il nous l'a en partie raconté, et Hochmann a complété le tableau).
L’interne se met à nous raconter que le patient dessinait une carte de France grossière, avec au sud un ovale divisé en trois partie égales, représentant le Maghreb.
Maroc, Algérie et Tunisie, de l’Ouest vers l’Est, que le patient abrégeait en M. A. T..
Interprétation (sans rire) de l’interne : le patient a une angoisse de mort, car MAT en vieux persan signifie mort. D’ou « Echec et Mat », qui vient du persan « Shah Mat », le Roi est mort (Le « Shah » d’Iran…).
Caroline et moi nous sommes regardé et avons éclaté de rire. Nous imaginions notre jeune consulter un traité sur les Echecs, et apprendre le vieux persan, sur sa mob, à la sortie du lycée professionnel.
Projection, vous avez dit ?
09:12 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)