01/03/2005
Le bûcheron
Hier après-midi, j’ai vu au cabinet un bûcheron de 50 ans, un vrai, brut de décoffrage, avec les manières bourrues, et l’odeur un peu forte.
Il est au RMI, et possède la CMU (couverture santé universelle, totalement gratuite).
Il n’a plus de médecin généraliste.
Depuis 6 ans, il se plaint de brûlures et de fourmillements « en chaussettes » des 2 jambes, jusqu’au niveau des genoux.
Il va voir plusieurs médecins (dont son généraliste initial, qu’il n’a plus revu) qui lui prescrivent des antalgiques, des massages…
Sans succès.
Il consulte alors directement divers médecins spécialistes, en fonction de sa propre nosologie.
Il rencontre enfin un chirurgien vasculaire probablement totalement désintéressé, d’une clinique bien connue dans la région.
Celui ci lui fait un stripping bilatéral des saphènes internes en novembre dernier.
La CMU paye tout (donc vous et moi).
J’imagine qu’il lui a dit : « vous allez être transformé »…
Et bien, non, aucune amélioration.
Il vient me voir, pour « vérifier que le cœur va bien ».
Je l’examine.
Il a de belles jambes, hormis une petite varice saphène externe (j’ai la même).
Deux solutions : le chirurgien est un magicien, et il a fait disparaître des varices en moins de trois mois, qui devaient être énormes pour provoquer des symptômes aussi importants. Ou il n’y avait vraiment pas grand chose à opérer… (A propos, merci, la « Cayenne » marche du tonnerre, et Natacha a moins de migraines…).
Q1. Des dysesthésies (brûlures+ fourmillements) en chaussettes des jambes vous évoquent quelle pathologie ?
Q2. Quels éléments d’anamnèse recherchez-vous à l’interrogatoire, pour mettre en évidence une étiologie ?
Q3. Quels bilans prescrivez vous pour affirmer le diagnostic, et compléter le bilan étiologique ?
Q4. Combien de strippings devez-vous réaliser par matinée, durant une période de 5 jours ouvrables pour entretenir Natacha, Valérie et les enfants, et une Porsche Cayenne noire métallisée durant la même période ?
10:05 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (7)
26/02/2005
Cherchez l’homme.
J’émerge ce jour à 15h40, après une longue sieste.
J’ai été dérangé jusqu’à 3h00, par de menus problèmes, avec le sentiment que le matelas de mon lit comporte un petit commutateur, qui sous la pression de mon poids, active la sonnerie du téléphone.
Mais, le pire, c’est le commutateur, qui détecte le moindre endormissement pour déclencher le téléphone. Celui-ci a aussi beaucoup fonctionné dans la nuit.
Le patient de réanimation est réduit à une simple série de paramètres à surveiller : les classiques pouls, tension artérielle, mais aussi saturation sanguine en O2, fréquence respiratoire, volume insufflé dans les poumons, pression des voies aériennes, débit cardiaque, pressions intra cardiaques…
La vie humaine est alors limitée à des paramètres biologiques, physiques, des chiffres, encore des chiffres.
Le patient le moins humain, le plus paramétré, que j’ai croisé avait un :
Poumon artificiel
Cœur artificiel (droit+gauche)
Rein artificiel
Foie artificiel
Ces quatre machines font environ la taille d’une machine à laver, avec leurs câbles électriques, et leurs tuyaux les reliant au patient. Avec le lit médicalisé et les placards dans la chambre, l’infirmière qui s’en occupait (habillée en « stérile » de pied en cape) primo suffoquait de chaleur, et secundo pouvait à peine accéder à son patient.
Quelques fois, se produisent des tragédies grandiloquentes.
L’une d’elle m’avait été relatée par mon assistant, sous le titre de « La toilette fatale ».
Un matin, une infirmière et une aide soignante font la toilette d’un patient porteur d’un cœur artificiel. La « machine à laver » est raccordée au thorax du patient par deux canules de 20-25 mm de diamètre.
Comme dans tous les hôpitaux du monde, elles effectuent le même rituel : une de part et d’autre du lit, et successivement, elles attirent le patient couché, dans leurs bras, afin que l’autre puisse nettoyer le dos, et glisser un drap propre sous son flanc. Mais là, une des canules s’est désolidarisée du thorax, et s’est mise à cracher dans la pièce, avec un débit de 4-6 litres/ minutes, un flot de sang chaud. Le patient n’a rien eu le temps de sentir, et toute la pièce et les deux malheureuses étaient « repeintes » en rouge vif.
Heureusement, ce genre de scène gore est exceptionnel.
Le patient de réanimation n’est plus rien, ni père, ni mère, ni frère, ni sœur, ni fils ou fille. Il n’aime rien, ne se révolte contre rien. Il ressent, et souffre, mais en silence. De toute façon, il ne gardera presque aucun souvenir, si il parvient à sortir de réa. Les drogues qui le font dormir sont amnésiantes.
Heureusement.
Cette « déshumanisation » ne me gène pas pendant la garde, car, je baigne dans l’humain à longueur de journée, avec mes patients cardiaques. Elle satisfait mon côté technique. Mais je serais incapable de faire ça à longueur de journée.
J’ai trop besoin d’établir des contacts avec les gens, les sortir de leur maladie pour les faire oublier, et engranger des connaissances, des impressions.
Comme je l’ai déjà dit, la vie d’un SDF polonais m’intéresse autant que celle d’un PDG, mais elle me touche nettement plus.
En réa, j’aime bien augmenter la fréquence respiratoire et/ou le volume courant, pour diminuer une hypercapnie, mettre la « PEEP » à 4 mm Hg, pour recruter plus d’alvéoles. Les mots sont plus arides, mais c’est une autre facette de mon métier. Et elle me manquerait.
C’est pourquoi je dors mal 3-4 nuits par mois, et que je suis dans le coma pendant 12h après.
C’est aussi un peu pour payer ma secrétaire…
16:40 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)
25/02/2005
Kelly
Encore de garde ce soir…
La réa paraît calme, mais, comme je l’ai déjà dit, les grands calmes précèdent souvent les grandes tempêtes.
D’ailleurs…
Hier, je travaillais à la clinique, on y rééduque des patients cardiaques, ou en post-opératoire de chirurgie cardiaque, ou vasculaire :
.
.
Rien.
Grand calme.
Puis un coup de fil.
Tu viendra voir Monsieur X, il est un peu cyanosé.
"Je termine un courrier, j’en ai pour 2 minutes, j’arrive."
Deuxième coup de fil, 1 minute plus tard, une autre personne : viens vite.
Je monte les marches 4 à 4, il est en effet d’un magnifique bleu roi, tout à fait impressionnant.
Il faut aller vite, voie veineuse centrale et dobutamine; heureusement, il respire encore un peu.
La chambre bourdonne, la voie est vite montée, le médicament passe rapidement dans ses veines.
Puis après, « la note bleue » (de circonstance !), ou le silence se fait dans la chambre.
Il n'y a alors plus rien d'autre à faire, que d'attendre le dénouement.
Le patient, ne va pas mieux, mais il reste stable.
C'est déjà ça.
Puis, la couleur bleue se retire, des genoux, puis des jambes et de l'abdomen, il respire mieux, il recommence à parler.
Le SAMU arrive alors, et après avoir tout vérifié, l’emmène dans un soin intensif cardiologique.
On revit alors l'évènement, on critique ou, au contraire, on loue la rapidité de tel ou tel geste.
Ce revécu est très important, il permet de souder une équipe, et éventuellement de corriger ce qui est à améliorer.
Puis aprés, à nouveau le train train, avec son lot de constipations, ou de diarrhées venues de nulle part.
Des petites douleurs, des petits maux.
Des petits mots pour réconforter à chaque fois.
Grand calme.
Rien.
.
.
Ce matin, il allait mieux, mais l’état de son cœur laisse peu d’espoir sur son devenir : il mourra tôt ou….moins tôt.
J’aime bien ces moments de stress.
Ce que je préfère, c’est quand toute une équipe (en général 2 médecins, 2 infirmières, et 1 aide-soignante) œuvre de concert dans un seul but : sauver une vie humaine.
Bon ça paraît beau comme ça, mais tout ne se passe pas tout le temps pour le mieux ; la pression fait trembler les mains, tomber les ampoules, et parfois se tromper de produit (pour les connaisseurs, en 1997, 1 mg d’adrénaline IVD à la place de 1 mg d’atropine ; le pauvre patient a failli exploser). Pour ma part, j’aime bien travailler sous pression ; en temps normal, je suis un « piqueur » de voie centrale assez moyen. En situation de combat, j’approche les 100%.
Je garde une image ancrée dans ma mémoire, ce n’était pas vraiment une réanimation, mais presque.
Une patiente âgée fait un arrêt cardiaque en chambre. La fille était présente, et en voyant sa mère aller plus mal, elle appelle les infirmières. Elles étaient en pleine relève, et répondent assez mollement. La patiente s’arrête de respirer, et l’équipe déboule enfin dans la chambre. Elles m’appellent.
Arrivé aux pieds de la malade, je vois qu’elle est déjà pas mal morte.
La fille écume.
Je décide alors de faire un peu de cinéma à son intention, pour ne pas enfoncer les filles de l’unité. J’appelle l’infirmière des soins, Kelly, en la prévenant de notre arrivée.
Je pousse le lit en courant dans le couloir, avec dedans la pauvre dame, inerte, qui avait viré au violet.
On arrive aux soins, et la brave Kelly se met à la masser comme une perdue.
C’est une ex-très belle femme de 40-45 ans, un peu rondelette, et un peu « chi-chi », mais excellente dans son boulot. Elle a une poitrine opulente qui danse de droite à gauche, débordant de sa chemisette d’Hôpital, pendant qu’elle masse, penchée sur la patiente, et face à moi.
Je la regarde faire, fasciné par le mouvement pendulaire de ses seins, d’autant plus, qu’haletante, elle commence à avoir la peau humide de transpiration.
Une superbe scène érotique.
J’ai mis bien 3 minutes pour lui dire d’arrêter, que c’était trop tard.
Je n’ai jamais osé lui dire qu ‘elle avait fait tout ces efforts pour rien, hormis peut-être pour faire un écran de fumée pour la famille, et aussi pour mon plaisir un peu lubrique de voyeur.
Elle ne m’aurait jamais pardonné.
22:05 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)