11/02/2005
Sortie de garde
Le Dr. Passmore va être grognon aujourd’hui, qu’on se le dise…
2 h de sommeil cette nuit en réa chir cardiaque.
Ensuite j’enchaîne jusqu’à 20h dans une clinique de rééducation cardio-vasculaire.
C’est un choix de vie, mais laissez moi être grognon.
Mis à part le manque de sommeil, la nuit de chasse a plutôt été bonne : un choc métabolique (7.10 de pH, 10 de bicar) sur une chirurgie vasculaire qui a mal tourné, et deux échographies de dissections aortiques (deux femmes de 50-60 ans)..
La nuit, je suis moins cardiologue, et plus réanimateur (petit réanimateur, car le post opératoire n’est pas la réa polyvalente).
J’aime bien changer de costume, cela permet de rester humble quand on pratique une spécialité à temps partiel, et qui n’est pas la sienne.
Par ailleurs, l’absence de réflexe oblige à la réflexion.
Cela peut paraître un peu dangereux pour le patient, mais à mon avis, pas tant que cela.
En effet, une longue pratique permet d’avoir des réflexes conditionnés, salvateurs en cas de décision rapide à prendre; mais la tentation est alors grande de supprimer toute réflexion de l’acte médical (c’est en général une tendance humaine de déconnecter le cerveau à la moindre occasion, on le vérifie tous les jours…). C’est là que le médecin redevient dangereux.
C'est pour çà que je ne prends plus de garde en cardiologie
7h15.
Je suis relativement en forme, et surtout je n'ai pas commis l'erreur fatale d'essayer de me rendormir entre 5h00 et 8h00. Ces trois heures de sommeil se payent d'un état comateux irrémédiable durant tout le reste de la journée.
7h25, 35 minutes avant la relève,déjà 1 café et un double expresso dans le ventre….
Attention, médecin grognon….
07:31 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (2)
09/02/2005
Le singe nu
Deux histoires drôles et vraies pour terminer la journée.
Je retrouve un soir Sylvie, mon interne et les infirmières hilares.
Elle avait reçu un patient dont la langue maternelle n'était, de toute évidence, pas le français, et par malheur il était quasi aphasique à la suite d'un accident vasculaire cérébral.
Ma consciencieuse Sylvie va l'examiner, et à bout, après 15 minutes d'un interrogatoire et d'un examen neuro à sens unique, elle termine ce dernier par la phrase définitive:
"MONSIEUR, B-O-U-G-E-Z les quatre mains"
Une autre, toujours de Sylvie:
Je buvais le café, avec deux autres médecins hommes, et Sylvie.
Nous parlions de choses et d'autres (surtout d'autres....)
Sylvie, dans le feu de la conversation nous assène un:
"De toute façon, c’est facile pour vous (sous entendu les médecins mâles), même quand on n’a pas le physique de Robert Redford, habillé d’une blouse blanche, vous pouvez coucher avec toutes les infirmières que vous voulez…. »
C’est tellement vrai, que nous vivons tous les trois avec une infirmière.
Nous avons éclaté de rire, et nous avons hué la pauvre Sylvie qui ne savait ou se mettre.
23:30 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)
Vulnerant omnes, ultima necat.
La mort est omniprésente en médecine, singuliérement en cardiologie ou elle frappe comme l'éclair ("la mort subite"), ou elle envahit le corps et l'esprit à petit feu (les insuffisances cardiaques terminales).
J'ai assisté aux deux, des centaines de fois.
J'ai acquis avec le temps une capacité d'abstraction, qui permet de me protéger contre de telles épreuves (comme beaucoup de médecins). La difficulté est de pas tomber de Charybde en Sylla, entre l'indifférence voire le cynisme, et l'hypersensibilité.
Chaque situation est différente, il est impossible de se donner une ligne de conduite claire.
Une constante, peut-être (en tout cas pour moi), liée à la législation actuelle et à la préservation des familles: ne jamais parler d'euthanasie, ne jamais demander ce que la famille souhaite que l'on fasse.
Primo car cette pratique est toujours illégale.
Je ne sais même pas si il faudrait la légaliser, "institutionnaliser" une situation toujours extrême, et toujours différente. Comment enfermer dans une loi une situation aussi protéiforme, et aussi "fondamentale"?
L'hypocrisie qui règne dans mon milieu me choquait, on ne parle jamais de ce sujet, tout est fait en catimini (ou parfois, pire, rien n'est fait...). En vieillissant, je trouve moins choquant ce voile pudique, à condition que chacun assume de prendre une décision, quand elle est nécessaire.
Secundo, car on ne peut pas se défaire systématiquement d'un tel fardeau en laissant prendre la décision à une famille souvent désespérée, et privée de tout repère médical. Je n'infantilise pas les proches, mais j'espère leur éviter de prendre une décision qu'ils pourraient regretter plus tard. Enfin, certaines situations cliniques sont si complexes et d'issue si incertaine, que même un médecin chevronné peut être désemparé.
Heureusement que la question d'une euthanasie ne s'est, pour l'instant, que rarement posée à ma conscience.
En fait, une fois seulement de manière aiguë.
J'étais de garde un soir, et une infirmière m'appelle du service d'ORL: un de ses patients s'étouffe, et elle pense que c'est cardiaque.
Sur place, je vois qu'il n'a rien de cardiaque.
Ce patient de 70-75 ans avait un cancer du larynx qui envahissait peut-être la trachée. Pour le savoir, on lui avait fait avaler de la baryte pour observer son trajet sous scopie. Il y avait en effet une fistule...
Peu de temps après son retour dans le service, il s'étouffait.
Sa femme, du même âge dormait dans un lit de camp dans sa chambre. Evidemment elle était affolée, et suppliait de lui dire qu'il allait s'en tirer.
Pronostic terrible à court terme, mort horrible par étouffement, cul de sac d'une éventuelle ventilation mécanique, femme aimante et désespérée.
Que faire....
Je l'ai récupéré en cardio, et j'ai expliqué à sa femme que c'était la fin.
Après avoir parlé aux infirmières, et demandé leur avis, j'ai préparé une perfusion que je lui ai installée (je ne voulais pas qu'elles le fasse).
Il s'est arrêté de respirer quelques minutes après, dans les bras de sa femme.
Le plus difficile n'est pas de prendre la décision, mais de la prendre seul, d'ou l'importance d'en parler avec une équipe infirmière en qui l'on a confiance (et vice versa).
J'ai passé un mauvais moment car techniquement, et dans l'absolu, j'ai tué ce patient.
Ce qui est la pire des chose pour un être humain, est encore au delà pour un médecin.
Mais je pense que ce patient, que je n'ai jamais connu, méritait, comme nous tous, une mort humaine et digne.
Le plus difficile est toujours pour ceux qui restent.
23:00 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)