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07/04/2006

Archéologie.

J’ai un peu réfléchi à mes années de Médecine. Je vais compléter cette note, en explorant plus le côté études, que le côté hospitalier.

Entre fin 1990 et avril 2002, 12 ans d’études médicales entre mon premier jour à l’amphi Hermann et ma thèse.

 

Des deux P1, je ne retiens que quelques fragments.

 

J’ai encore chez moi, sur une bande magnétique, des enregistrements réalisés pendant des cours plus ou moins houleux, avec chansons de carabins, et tout le tralala. En écoutant mes commentaires, et ceux de mes deux compagnons (caroline et Frédéric, tous deux perdus de vue actuellement), nous n’avions pas l’air bien malheureux. Peut-être aussi, que nous étions « carrés » à cette époque, et que le chahut nous arrangeait finalement. Je n’ai jamais ressenti de pression majeure de la part des carrés, lorsque j’étais « bizuth ». D’un autre côté, nous formions un petit groupe homogène qui nous permettait de retrouver telle ou telle information d’un cours passablement agité.

J’ai aussi le souvenir d’un clochard, probablement « invité » par des anciens, qui avait perturbé le cours d’embryologie du Pr. JF Guérin (il enseigne encore). Il lui avait crié du fond de l’amphi qu’il ne racontait que des « conneries ». Quand le concierge est arrivé, il avait miraculeusement disparu.

Je me souviens aussi d’un prof d’anatomie alcoolique, qui arrivait parfois en cours en titubant. Je ne parle même pas de ses shémas, qui tenaient plus de Bacon que de Rouvière.

Nous passions des heures entières à nous coller sur telle ou telle question, en tirant les intitulés dans des annales ou dans une assiette à soupe (à défaut d’un chapeau).

Aucun de nous trois n’a craqué durant ces deux années, du moins ne l’a fait voir aux autres. Nous nous motivions pour travailler, et résister à la pression.

A cette époque, comme avant l’internat, je rêvais au concours, me levais en pensant au concours, allais en amphi en pensant au concours, révisais l’après midi en pensant au concours, mangeais en pensant au concours, et m’endormais en pensant au concours.

Ce que l’on pourrait appeler la pensée unique. Même nos lambeaux de loisirs étaient dominés par le sentiment de culpabilité diffuse de ne rien faire au lieu de travailler. Toutes nos poses étaient chronométrées, et ce n’était pas une image.

Frédéric s’est un peu désuni à la fin de notre deuxième P1, en tombant sous le charme d’une brune aux yeux verts, carrée elle aussi. Ca n’a pas manqué, ils ont échoué tous les deux.

  

P2 jusqu’en D3.

Un tunnel, là aussi. Mais surtout du fait de mon histoire avec Caroline. Sinon, la rencontre avec l’hôpital a été un choc : choc avec les patients, choc avec le monde du travail. Premiers morts, premières histoires abominables. J’ai beaucoup choisi en chirurgie, avant de rencontrer l’amour professionnel de ma vie, la cardio. L’externat n’apporte que ce qu’on lui donne, sauf erreur monumentale de choix de service, j’ai toujours pu retirer quelque chose de mes choix. Ainsi, en ORL, j’ai appris à regarder des tympans, et je fais actuellement le faraud en montrant à Sally quel beau coup de main j’ai pour regarder les oreilles de mes petits (je me suis acheté un otoscope l’an dernier, si si, incroyable pour un cardio de base comme moi).

C’est clair que je n’étais pas toujours bien éveillé, ni curieux, comme toujours dans ma vie, j’étais dans la moyenne. Bien évidemment, je n’ai pas oublié le travail éminemment fastidieux que représentait le classement des examens complémentaires. Si le papier disparaît, pour laisser place à l’informatique, que vont bien pouvoir faire les externes pendant les heures qu’ils passaient à ranger les examens ?

Mystère. Qui n’a pas aussi ressenti le découragement devant le monceau d’examens accumulé pendant le week-end ? Les lundis matins étaient toujours les pires jours de la semaine.

Mais bon, bon an mal an, j’ai trouvé ce que je voulais faire. Ce qui est, in fine, le but de l’externat, finalement (je n’en imagine pas d’autre,étant donné le système actuel).

Examens deux fois par an, rébarbatifs, stressants, mais avec des rattrapages en septembre pour les accidents de parcours (j’en ai eu un ou deux, je crois).

    

D4.

Nouveau tunnel, les 12 derniers mois avant l’internat.

Pour le coup, j’étais seul cette fois. Exit Caroline, exit Frédéric. Je n’avais trouvé personne avec qui travailler. J’ai tracé mon chemin avec l’aide inespérée et tardive de mon paternel. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs, là non plus. Mes matinées à l’hôpital étaient de véritables oasis où je ne travaillais pas mes cours. J’avais calculé que je travaillais 12-13 heures par jour, avec 4 heures de stage et 7-8 heures de sommeil. Un peu moins que les autres, en général, qui sacrifiaient leurs heures de sommeil.

Les dernières semaines, j’avais presque inversé mon cycle nycthéméral. Je me levais à 2-3 heures du matin, et je bossais jusqu’à 18 heures, ou je me couchais.

Pendant mes pauses, j’ai eu un aperçu sur différentes méthodes de chasse exposées dans l’inénarrable (et indéboulonnable) « histoires naturelles », compagne des insomniaques depuis des années. Entre deux questions, je m’initiais à la chasse à la « grouse » dans les Highlands.

Je me faisais du café fort (avec cafetière italienne) par bols entiers. Un jour, peu de temps avant le concours, ma paupière droite a papillonné toute seule pendant 5 bonnes minutes. J’ai considérablement diminué ma consommation par la suite. Qui a dit que le café n’était pas toxique à fortes doses ?

  

Internat.

4 ans d’hôpital, saupoudrés de cours indigents certains vendredis. On ne peut pas vraiment appeler cela des études. Après 8 ans de théorie, l’heure est venue de se confronter à la pratique, enfin.

   

Conclusions.

  

En somme, certes rien de bien enthousiasmant jusqu’à l’internat, mais bien loin de la via dolorosa que l’on peut craindre. C’est sûr, vaut mieux être célibataire et « asexué » pendant  la/les P1 et l’année avant l’ECN (nouvelle dénomination de l’internat), mais en dehors de cela, je n’ai pas le sentiment d’avoir gâché ma vie pendant ce temps.

Assez rapidement, le monde hospitalier permet d’échapper à la routine des cours et des révisions et ouvre une fenêtre incomparable sur notre humanité.

 

06/04/2006

La P1

Je suis tombé sur un article de Sandrine Blanchard, dans « Lemonde.fr » d’aujourd’hui.

 

« La galère des apprentis médecins » raconte la vie de quelques étudiants en première année de Médecine à Lille.

 

Tout y est : la pression des autres (explicite ou implicite), le travail insensé, les périodes de découragement, puis la délivrance ou l’amère désillusion.

Mes deux P1 datent de 1990-1991 et 1991-1992, il y a près de 16 ans !

Le taux de réussite était de 22%, un peu plus que les 17% de cette année.

    

 

En lisant cet article, j’ai eu l’impression, peut-être erronée, qu’il était « injuste » de faire passer les apprentis médecins sous de telles fourches caudines ("On s'en veut de regarder la télé, car on sait que, pendant ce temps, d'autres travaillent"). Que ces années étaient destructrices pour les recalés, et même les lauréats ("Avant les examens de janvier, j'étais quasiment en pleurs. Heureusement que mes parents m'ont soutenue, raconte-t-elle. C'est dur. Psychologiquement, on n'en sort pas indemne").

 

Ce point de vue me rend perplexe.

Je ne tiens pas compte de mes propres souvenirs, probablement améliorés, « patinés » par un recul de 16 ans. Je pense n’avoir retenu que les bons côtés, source de nostalgie rassurante. Ce que j’en retiens donc après 16 ans : c’était dur, pas la période la plus agréable de ma vie, mais sans plus. Je ne me reconnais pas du tout dans cette "via dolorosa" médicale.

 

De plus, encore une fois, dans cet article, le dogme du « tout pour tout le monde» règne en maître.

Pourquoi je ne pourrais par faire Médecine, puisque je veux le faire (Parce que je le vaux bien…) ?

Pourquoi pas moi, alors que d’autres l’ont fait ?

Ces questions, qui me semblent nécessaires initialement, se pervertissent avec le temps (et notre époque). Petit à petit, cette salutaire impulsion de départ devient une revendication.

Un peu comme un alpiniste escaladant l’Annapurna se plaindrait des mauvaises conditions et de ses souffrances, puis irait râler parce que la montagne est trop haute, trop froide…

 

Tout devient une revendication actuellement ; tout est dû à tout le monde.

Et personne n’accepte plus l’échec, vécu comme une discrimination ("Les reçus-collés se sentent complètement frustrés et les parents ne comprennent pas que 10 sur 20 ne soit pas suffisant").

Personne n’accepte plus l’effort (« Un programme titanesque débité sans répit par les professeurs, dont certains n'acceptent pas de faire de polycopiés »). Non, mais vous vous rendez compte ! Même pas de poly !


 

J’ai bien compris que tout est dramatisé (l’effort demandé, la pression psychologique des autres, l’attente des résultats…) pour aller dans le sens de la mode actuelle, et rendre l’article plus attractif , mais l’idée véhiculée me semble dangereuse.

 

Bref, une illustration de notre société ventripotente, assistée, non productive et geignarde.

 

On se prépare à des lendemains qui déchantent…

 

05/04/2006

Lyautey.

Ce matin, en faisant un döppler, je parlais avec le patient de l’origine du pouvoir de Hitler (en ce moment, c’est ma période).

 

Lever à midi, soirées cinéma (King-Kong était son film préféré), Hitler ne foutait pas grand-chose (théorie du « lazy dictator » de I. Kershaw), et se gardait bien de prendre une décision épineuse (un de ses ministre de l’agriculture a attendu 2 ans avant d’avoir une audience avec lui).

 

Bien évidemment, cela ne l’exempte pas du tout de l’écrasante responsabilité qu’il porte dans le déclenchement de la deuxième guerre mondiale et la Shoah. Il a su s’entourer de brutes bien plus douées que lui pour organiser et appliquer ses « visions ».

Rien ne se faisait sans son consentement, même tacite. Il suscitait plus qu’il n’ordonnait, contrairement à l’image que l’on se fait d’un dictateur.

 

Le patient m’a alors sorti une magnifique citation de Lyautey, qui résume le summum de l’autorité :

 « Ne rien faire, tout faire faire, mais ne rien laisser faire ».

 

Pour mémoire, Clemenceau avait dit de ce brillant militaire et homme d’Etat :

« Ça, c'est un homme qui a des couilles au cul. Dommage que ce ne soit pas souvent les siennes »

20:22 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (8)