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14/05/2006

Les catilinaires

Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina ? combien de temps encore serons-nous le jouet de ta fureur ? jusqu'où s'emportera ton audace effrénée ? Quoi ! ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin, ni les forces répandues dans toute la ville, ni la consternation du peuple, ni ce concours de tous les bons citoyens, ni le lieu fortifié choisi pour cette assemblée, ni les regards indignés de tous les sénateurs, rien n'a pu t'ébranler !

Tu ne vois pas que tes projets sont découverts ? que ta conjuration est ici environnée de témoins, enchaînée de toutes parts ? Penses-tu qu'aucun de nous ignore ce que tu as fait la nuit dernière et celle qui l'a précédée ; dans quelle maison tu t'es rendu ; quels complices tu as réunis ; quelles résolutions tu as prises ?

 

O temps ! ô moeurs ! tous ces complots, le Sénat les connaît, le consul les voit, et Catilina vit encore ! Il vit ; que dis-je ? il vient au sénat ; il est admis aux conseils de la république ; il choisit parmi nous et marque de l'oeil ceux qu'il veut immoler. Et nous, hommes pleins de courage, nous croyons faire assez pour la patrie, si nous évitons sa fureur et ses poignards ! Depuis longtemps, Catilina, le consul aurait dû t'envoyer à la mort, et faire tomber ta tête sous le glaive dont tu veux tous nous frapper. Le premier des Gracques essayait contre l'ordre établi des innovations dangereuses ; un illustre citoyen, le grand pontife P. Scipion, qui cependant n'était pas magistrat, l'en punit par la mort. Et lorsque Catilina s'apprête à faire de l'univers un théâtre de carnage et d'incendies, les consuls ne l'en puniraient pas ! Je ne rappellerai point que Servillus Ahala, pour sauver la république des changements que méditait Spurius Mélius, le tua de sa propre main : de tels exemples sont trop anciens.

 

Il n'est plus, non, il n'est plus ce temps où de grands hommes mettaient leur gloire à frapper avec plus de rigueur un citoyen pernicieux que l'ennemi le plus acharné. Aujourd'hui un sénatus-consulte nous arme contre toi, Catilina, d'un pouvoir terrible. Ni la sagesse des conseils, ni l'autorité de cet ordre ne manque à la république. Nous seuls, je le dis ouvertement, nous seuls, consuls sans vertu, nous manquons à nos devoirs.

Cicéron. Extrait de la première Catilinaire.

A méditer, en ces temps troublés....

 

Traduction trouvée ici.

20:30 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)

Enée, c ki ?

Une patiente m’a donc donné une version modernisée de l’Enéide.

Le livre a été imprimé en septembre 1965. D’un format un peu supérieur à un livre de poche, sa couverture est blanche, cartonnée, et revêtue d’une représentation d’Enée et probablement de sa mère, Vénus. Le dessin sent bon les années 60, à défaut du bouquin qui sent, lui le vieux tabac (la patiente, multi-pontée des jambes est une fumeuse invétérée).

Le texte, sent lui aussi les années 50-60.

G. Chandon (je n’ai trouvé son prénom nulle part, peut-être ses parents l’ont nommé tout simplement « G » ??) note dans sa brève notice que

« Il nous est apparu que la jeunesse aurait profit, avant même que d’aborder l’étude des Classiques, à s’imprégner de ces récits héroïques où les Dieux et les Hommes voisinent dans une pittoresque simplicité ; et que les esprits de notre temps, comme ceux de tous les temps passés ou à venir, ne pouvaient que gagner à se familiariser, dès leur aube, avec les héros du grand Virgile. »

Phrase bien plus antique à mes yeux que les vers de Virgile.

Tout y est : de multiples virgules, quatre verbes conjugués et un point-virgule ; témoins d’une phrase longue inconcevable au temps du SMS et des phrases concises (j’ai failli taper « pensée concise »…).

En langage SMS, avec des pouces de compétition (313 caractères, avec les espaces) et avec un forfait platine, cela pourrait donner :

« i nou est apparu ke la jeunS orè profit, avan mem q dab0rdé létud d ClaSiques, @ simprégner d c résits hér0ïqus où les dieu i lè homm vwas1ent dan 1 pitoresqu simplicité ; e k' lé esprits 2 n0tr temps, co seu 2 ts ls tan passés ou @ vni, n pouvèe k ganier @ s familiariser, dé leur 0b, ave les hér0s du grd VirJle »

Le ton paternaliste et moralisateur me parait aussi incroyablement archaïque, bien qu’écrit il y a moins de 50 ans.

Ce qui détonne aussi, c’est le principe que ce qui a été, est et sera bon. Cela parait presque incroyable à notre époque d’incertitude, ou même ce qui vient juste d’être est déjà dépassé.

Etonnant aussi, cette notion acceptée que Virgile fasse partie des « classiques ». Aujourd’hui, ce serait plutôt Pierre Perret (Dan Brown dans 20 ans ?).

Même le non-dit date cet ouvrage.

Dans le texte original, Didon et Enée couchent ensemble dans une grotte, alors qu’ils ne sont même pas mariés (quelle horreur !!!) :

Didon et le chef des Troyens aboutissent dans la même grotte.
En premier lieu, Tellus, et Junon, qui préside aux hymens,
donnent le signal; les éclairs et l'éther complice ont brillé
pour les noces, et en haut de la grotte, les Nymphes ont hurlé.
Ce jour-là fut le premier qui causa sa mort et ses malheurs;
en effet, ni souci des apparences ni réputation ne lui importent,
et Didon désormais n'envisage plus des amours furtives :
elle parle de mariage, couvrant sa faute de ce nom.
(IV 165-172).

Heureusement, pour les yeux innocents de « la jeunesse », G. Chandon a totalement expurgé ce passage, certes pas très torride, mais moralement « sensible » il y a bien bien longtemps!

La suite du texte antique est même plus actuelle que la version « ad usum delphini » du brave G. Chandon.:

Aussitôt, la Renommée parcourt les grandes villes de Libye,
la Renommée, de tous les maux le plus véloce :
la mobilité accroît sa vigueur et la marche lui donne des forces;
petite d'abord par peur, elle s'élève bientôt dans les airs,
et, tout en foulant le sol, tient la tête cachée dans les nuages.
La Terre sa mère, par colère contre les dieux, l'a mise au monde
pour donner, selon la légende, une dernière soeur à Céus et Encélade;
rapide car dotée de pieds et d'ailes agiles, monstre horrible,
gigantesque; autant porte-t-elle de plumes sur son corps,
autant possède-t-elle sous ces plumes d'yeux vigilants (étonnant à dire !),
autant de langues, autant de bouches sonnantes, autant d'oreilles dressées.
La nuit, elle vole entre le ciel et la terre, grinçant dans l'ombre,
et ne ferme point les yeux pour se livrer au doux sommeil;
Le jour, elle guette, postée au sommet d'un toit
ou sur de hautes tours, et sème la terreur dans les grandes cités,
opiniâtre messagère d'inventions, de faux et de vérité.
Elle se plaisait à répandre partout les propos les plus divers,
et diffusait tout à la fois ce qui était et ce qui n'était pas arrivé :
Énée, un homme né de sang troyen, est arrivé,
et la belle Didon ne dédaigne pas de s'unir à lui;
maintenant, ils jouissent ensemble du long hiver, dans le luxe,
oublieux de leurs royaumes, et prisonniers d'une passion honteuse.
(IV 173-194).

Remplaçons « grotte » par cave, « Renommée » par portable/SMS et « royaumes » par quartiers, et l’on se retrouve avec une poignante histoire de banlieues, bien dans l’air du temps et surtout pleine d’émotion (très important) et prête à faire 4 pages dans VSD.

L’histoire n’est qu’un éternel recommencement !

   

Traduction trouvée ici.

19:10 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (4)

De garde.

Vendredi, j’ai eu une garde agitée.

A l’hôpital, ce n’est pas inhabituel, mais ma nuit n’a été entrecoupée que de rares plages de sommeil.

Appel du SAMU à 20h00, pour admettre une dissection aortique. Il est un peu loin, l’hélicoptère ne peut pas décoller, il arrivera un peu plus tard dans la nuit.

A 22h30, l’homme d’une soixantaine d’année  rentre directement au bloc.

Il sort vers 4h00 (la pire des heures). L’intervention a été remarquablement courte, et le patient stable toute la nuit. En le réceptionnant, nous avons évoqué un temps bien révolu avec les infirmier(e)s.

Les plus anciennes se souvenaient qu’on ne les opérait pas, et que l’on attendait une fin quasiment inéluctable (1% de mortalité par heure dans les premiers jours). Les moins anciennes se souvenaient des premières interventions, débouchant presque toutes sur un décès, ou des séquelles importantes.

Je me souviens des interventions qui duraient 8-12 heures au début de mon internat, avec des résultats assez aléatoires.

Maintenant, l’intervention et le postopératoire sont presque « banals ».

Il faut dire que ce patient avait une vie saine, sans hypertension, sans tabac, sans facteurs de risque opératoire en somme.

C’est le chirurgien qui a trouvé la cause de la dissection : une bicuspidie aortique très calcifiée, sténosante même.

Un peu plus tard dans la nuit (23h00, la pire des heures) une infirmière me fait remarquer que le pacemaker externe d’une patiente endormie(elle n’est pas intubée) semble dysfonctionner. Je regarde ; en effet, certaines stimulations n’entraînent pas de contraction (facilement visible lorsque l’on a une pression artérielle sanglante). Je règle l’appareil, et satisfait, je le repends à la potence. Et là, plus de contraction, artère plate. Arrêt cardiaque.

Je commence à la masser, elle s’assoit l’air effaré, et gaspant pour chercher un oxygène qui ne peut plus alimenter ses organes, du fait de l’absence de débit cardiaque.

On la recouche à plusieurs pour continuer le massage.

C’est assez difficile d’agir dans l’urgence et de réfléchir en même temps et en pleine nuit. Au bout de 10-15 secondes éternelles, je vérifie les connections du pacemaker, et je remarque qu’une fiche est sortie de son emplacement.

Je la rebranche, le rythme repart, on rassure la malade qui a vécu un horrible cauchemar, mais bien réel, celui-ci.

En allant m’allonger, je me demande si je suis encore capable d’assurer des gardes en réa. Cette question est assez récurrente en ce moment, car je récupère de moins en moins bien, et je me questionne sur mes capacités à gérer des patients lourds.

Je me demande si j’ai encore les bons réflexes.

Bon, d’un autre côté, je me suis toujours posé cette question : au début à cause du manque d’expérience, puis à cause du manque de gardes (j’avais arrêté pendant 5 mois quand j’étais sur Paris), puis maintenant, après 200-220 gardes, je me demande si je ne suis pas trop vieux…

           

Je m’endors.

Je rêve que je participe à un concours hippique avec Elisabeth II.

   

Appel à 6 heures (la pire des heures) : un patient greffé cardiaque ventilé, ne ventile plus, justement.

L’infirmière a vite fait le diagnostic : le ballonnet de la sonde d’intubation s’est percé.

Et hop, petite intubation à l’aube.

Je ne me recouche pas, et commence à lire le bouquin que j’avais emmené (l’Enéide modernisée par G. Chandon).

  

Une infirmière vient me chercher : la dialyse d’une patiente vient de tomber en rade.

Il faudrait remettre un catheter veino-veineux dans une veine centrale, son abord fémoral étant de toute évidence devenu indisponible.

D’habitude j’aime bien ça.

Mais pas cette fois : nuit quasi blanche, patiente de plus de 100 Kgs, l’autre veine fémorale déjà occupée, pas de cou (du moins, on ne le voit pas sous les replis graisseux), et plein de petites excoriations potentiellement infectées sur les voies d’abord des deux sous-clavières.

Je dis à l’infirmière que la relève va se charger de ça.

Je retourne à mon bouquin.

  

La relève arrive à 8h30.

Enfin !

08/05/2006

The Constant Gardener.

J’ai trouvé une série d’articles du « Washington Post » ici et ici.

  

J’ai résumé un de ces papiers qui me semble fort intéressant.

 

Il raconte comment un laboratoire pharmaceutique a expérimenté en 1996, semble-t-il en dehors de tout cadre légal, un nouvel antibiotique (la Trovafloxacine ou Trovan®) chez de jeunes enfants nigérians souffrant de méningite.

Ce nouveau médicament a été donné à 100 enfants alors que d’autres étaient traités au même moment par MSF, à l’aide de thérapeutiques approuvées.

 

Cet essai a été qualifié par un rapport nigérian « d’illégal, avec une molécule non enregistrée », soit « un cas clair d’exploitation de l’ignorant ». Ce rapport, rédigé il y a cinq ans n'a jamais été publié. Plusieurs des rares copies disponibles ont disparu mystérieusement au cours des dernières années. Un exemplaire est cependant arrivé à la rédaction du "Post", grâce à un informateur anonyme.

Le laboratoire a déclaré avoir agit dans un « but purement philanthropique », afin d’aider les médecins sur place. Toutefois, les médecins employés par la firme semblent avoir quitté la zone à la fin de l’essai, alors que l’épidémie faisait toujours rage.

L’information n’a été qu’orale, semble-t-il (il n’existe aucun document disponible sur le consentement « éclairé » des parents).

Une lettre antidatée justifiant l’acceptation du comité d’éthique nigérian a été rédigée par l’investigateur principal de l’essai, après la fin de celui-ci. De plus, cette lettre avait un en-tête d’un comité d’éthique qui n’avait pas été encore créé à l’époque.

L’investigateur principal de l’étude déclare n’avoir jamais été mis au courant des résultats de cet essai. Il déclare par ailleurs n’avoir vu les articles scientifiques, dont il était le premier auteur que lorsque la commission d’enquête nigériane les lui a présentés.

Cette commission a estimé que cet essai a violé : la loi nigériane, la déclaration d’Helsinki (qui régule l’expérimentation médicale), et la convention des Nations-Unies sur les droits de l’enfant.

Sur 100 enfants prenant de la trovafloxacine, 5 sont décédés. Six autres sont décédés en prenant le médicament de comparaison. L’imputabilité de la trofloxacine dans ces décès n’a pas été établie.

La firme a répondu n’avoir pas été contactée par le gouvernement nigérian et donc juge inapproprié de répondre sur les conclusions du rapport.

Toutefois, elle déclare avoir agit en connaissance de cause du gouvernement nigérian, et en accord avec la loi nigériane et les textes de la compagnie régulant la sécurité des patients.

Les infirmières locales auraient donné aux parents des explications, et ses derniers auraient donné leur accord verbal. De plus le laboratoire précise que la trovafloxacine avait été étudiée largement avant cette expérimentation, et que cette molécule a obtenu le  meilleur taux de survie lors de cet essai.

Enfin, la firme déclare que la trovafloxacine a sauvé des vies et que la société désapprouve vigoureusement l’accusation d’avoir conduit cet essai de façon « non éthique ».

Le « Post » précise que le Trovan® devait rapporter 1 milliard de dollars par an, mais que la FDA n’a jamais autorisé son utilisation chez l’enfant. Chez l’adulte, ses effets secondaires (hépatiques, cas de décès inexpliqués) ont conduit à une restriction d’utilisation en 1999.

Cette molécule n’a jamais été autorisée en Europe.

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En somme, une histoire compliquée ou tout le monde se renvoie la balle, sur fond de misère africaine.

Quelques QCM suivent, pour voir si vous avez bien compris ma note(!!).

  

***

- Pourquoi le labo a expérimenté en Afrique une molécule destinée aux pays occidentaux ?

           

A.    Pour faire bénéficier aux enfants africains des dernières nouveautés thérapeutiques, avant même leur commercialisation en Occident.

B.     Pour pénétrer le marché africain, et ravir la première place du palmarès des antibiotiques aux préparations magistrales des marabouts.

C.     Parce qu’en cas de problème, une demi-chèvre remplacera bien un petit enfant mort d’effets secondaires.

D.    Parce que l’application de la législation nigériane est inversement proportionnelle aux dessous de table.

E.     Parce que le marché de la méningite est en pleine expansion dans les pays occidentaux.

***

- Pourquoi la lettre du comité d’éthique est fausse ?

A.    Parce que le comité d’éthique n’existait pas encore, ce qui le rendait incorruptible.

B.     Ce n’est pas un faux, c’est une anticipation.

C.     Parce que le Mze, il a dit que ce papier était important pour les autres Mze de son pays.

D.    C'est pas moi qui l'ai écrite, ni les articles d'ailleurs, je sais ni lire, ni écrire!

E.     Ce n’est pas un faux, on l’a écrite à l’insu de mon plein gré (comme les articles).

***

- Pourquoi cette démarche est éthique et désintéressée ?

A.    Parce les familles des enfants n’ont pas eu à payer un traitement coutant 5.93 dollars par comprimé.

B.     Parce que le comité d’éthique l’a dit dans une lettre

C.     Parce que les médecins de la firme ont aidé à combattre une grave épidémie de méningite, et cela même si ils ont du revenir au pays précipitamment (par peur de la contamination, et ils ont préféré  laisser leur trovafloxacine pour l’entier bénéfice des petits africains -quel cœur, tout de même-).

D.    Tout a été fait selon les règles. On a expliqué tous les effets secondaires potentiels aux familles. A propos, vous savez comment on dit "hépatite fulminante parfois mortelle" en yorouba?

E.     Ethique, on ne sait pas, mais désintéressé, c’est certain. Aucun intérêt pour ces gosses !

***