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02/06/2006

Un problème de poids (2).

Je résume le billet précédent.

 

Un laboratoire sort un médicament qui améliore des critères intermédiaires (ou « mous »). Aucune étude n’est disponible sur les paramètres « durs » que sont la morbi-mortalité.

Qu’à cela ne tienne, rendons incontournable un critère mou, tel que le syndrome métabolique, pour faire prescrire des pilules. D’où de multiples publications, soudainement dans les journaux médicaux pseudo scientifiques.

 

Deuxième acte : le grand public.

 

Je ne citerai en exemple que cet article, publié dans « Le Monde » du 27/07/05, titré : « La pilule miracle de Sanofi Aventis contre le tabagisme et l'obésité ».

Article pour le moins favorable, vous imaginez....

 

Bien entendu, tout patient plus ou moins obèse va parler à son médecin de cette « pilule miracle ». Ce dernier sera d’autant plus enclin à la prescrire qu’il en aura entendu parler de manière dithyrambique ces 6 ou 7 derniers mois.

D’une certaine manière, c’est un bon moyen de faire de la publicité directe aux patients, sans contrevenir à la loi (contrairement aux EU, la publicité directe en temps que telle est interdite en France).

Donc, un plan marketing à mon avis parfait, étalé dans le temps, avec un lancement précédé d’une préparation psychologique intense en direction des médecins, et c’est plus nouveau, des patients.

 

Dernier succès en date ( le 27/04/2006), l'avis favorable de la comission d'AMM de l'Agence européenne du médicament:

 

«  Traitement des patients obèses (IMC supérieur ou égal a 30 kg/m2 ), ou en surpoids (IMC > 27 kg/m2) avec facteurs de risque associés, tels que diabète de type 2 ou dyslipidémie en association au régime et à l'exercice physique »

 

L'AMM européenne ne devrait pas tarder.

 

Que vaut la molécule par elle-même ?

A l’heure actuelle, les données disponibles sont les suivantes :

Quatre études, portant sur près de 6500 patients ont été publiées dans de grandes revues scientifiques (la série des « RIO »).

 

Les résultats sont :

Perte de 4 à 5 kg en 1 an, en complément d’une alimentation hypocalorique (-2 kg dans le groupe placebo), sans gain supplémentaire si le rimonabant est poursuivi 1 an de plus. En cas d’arrêt, le poids initial est repris en 9 mois.

Le médicament augmente le HDL (le « bon cholestérol »), diminue les triglycérides, améliore l’équilibre glycémique (amélioration absolue de 0.7% du Hb A1c) et diminue la tension artérielle (-2.1 mm Hg pour la systolique, et -1.7 mm Hg pour la diastolique).

40% des patients ont abandonné le traitement au cours du suivi (même proportion dans le groupe placebo).

Un des quatre essais a inclus spécifiquement des diabétiques de type 2 (RIO diabète).

Les effets secondaires les plus fréquents sont : syndromes anxio-dépressifs, nausées et diarrhées. Aucune donnée de pharmacovigilance n’est disponible au-delà de 2 ans.

On peut interpréter ces chiffres en bien ou en mal, mais je trouve que par rapport aux incertitudes dues au manque de données de pharmacovigilance, le bénéfice attendu n’en vaut pas la chandelle.

 

Je ne prescrirai cette molécule que lorsqu’une amélioration indéniable de la morbi-mortalité aura été démontrée (étude CRESCENDO en cours, avec près de 17000 patients prévus).

Par contre, je suis certain qu’elle va faire un tabac.

Tout a été fait pour cela...

Un problème de poids (1).

Depuis une semaine, je voulais écrire une note sur un médicament qui devrait prochainement être commercialisé en France.

 

Depuis une semaine, l’idée me trotte dans la tête à mes heures perdues ; j’ai même commencé à réunir une petite base documentaire.

 

Prescrire est arrivé dans ma boite hier, et miracle, tout un article est dédié à mon sujet.

J’ai fait la synthèse de tout, et je vais essayer d’être clair.

 

Le sujet de cet article est centré sur le rimonabant, ou Acomplia, médicament bientôt commercialisé par Aventis-Synthelabo.

En vous racontant ce que j’ai perçu du lancement de cette molécule, je voulais vous montrer comment on vend des pilules en 2006.

Il y a un an environ, on me propose de participer à une soirée marketing. En gros, on réunit 6-12 médecins dans une pièce (cardiologues dans ce cas), et on analyse leur réaction devant plusieurs plans marketings plus ou moins avancés. On ne connaît ni le nom de la molécule, ni qui finance la soirée. La soirée est bien entendue rémunérée (150 euros).

 

Ce soir là, nous est présentée une molécule qui a comme propriétés de faire diminuer le poids, le périmètre abdominal, la quantité de graisse viscérale, et l’améliorer une partie du bilan lipidique (HDL et triglycérides) et glucidique (amélioration de l’Hb A1c). Par ailleurs, ce médicament semble aider au sevrage tabagique, et fait diminuer la tension artérielle de quelques points.

 

Nous n’étions pas vraiment enthousiasmés par cette molécule, c’est le moins que l’on puisse dire. En effet, dans l’évaluation de l’efficacité d’un médicament, nous nous intéressons en premier à ce que l’on appelle des « critères durs ». Ces critères sont simples : mortalité et morbidité cardio-vasculaire (infarctus, AVC…).

Autrement, si un médicament ne diminue pas la mortalité ou la morbidité, il a peu de chance d’enthousiasmer un cardiologue. Le problème est qu’aucune étude n’avait été faite sur ces fameux critères durs.

Nous n’avions à notre disposition que des critères intermédiaires ou « mous ».

Un critère intermédiaire est un facteur de risque de mortalité ou de morbidité.

Vous allez me dire que c’est pareil : un médicament qui diminue un facteur de risque va nécessairement diminuer la morbi-mortalité cardio-vasculaire.

C’est faux, car la Vie ne se laisse pas facilement modéliser par des axiomes aussi simplistes.

 

L’exemple le plus frappant en cardiologie est l’étude CAST (N Engl J Med. 1991 Mar 21;324(12):781-8.).

Pour résumer : en post infarctus du myocarde (en aigu), les patients font des troubles du rythme ventriculaire. Les troubles du rythme ventriculaire sont un facteur de risque de mortalité.

La flécaine est un antiarythmique, c'est-à-dire qu’elle diminue le risque de troubles du rythme ventriculaire.

Les cardiologues de l’époque ont vite monté l’axiome suivant :

La flécaine diminue le risque de troubles du rythme (critère mou), donc elle va diminuer la mortalité (critère dur) dans l’infarctus.

Ca parait logique, mais en fait l’étude CAST a montré le contraire : la flécaine augmente la mortalité en post-infarctus !

 

D’où la nécessité de se méfier de tout discours (en cardio, ou dans d’autres spécialités) du genre : le traitement améliore A, et comme A est un facteur de risque de B, le traitement améliore B.

 

Ecoutez donc les visiteurs médicaux: ils utilisent ce genre d’axiome pour vanter des médicaments qui n’ont pas fait leur preuve sur des critères durs.

 

Revenons au début de l’histoire.

On nous a aussi demandé si le mécanisme d’action, totalement novateur nous attirait : on a répondu que non, l’important étant l’efficacité.

Que pensions-nous de l’aide au sevrage tabagique  ? Rien, pas assez de preuve.

 

Puis, petit à petit, au cours des mois qui ont suivi, nous avons été littéralement bombardés d’articles sur l’importance de la graisse viscérale et du syndrome métabolique dans le risque cardio-vasculaire. Ces articles sont publiés dans des revues auxquelles vous êtes le plus souvent abonnés gratuitement : Cardiologie Pratique, Cardinale, Impact médecine…. Ces revues mensuelles regroupent des articles résumant des conduites à tenir, ou de grands thèmes. On y trouve énormément de publicité, et pas besoin d’être médium pour savoir qui les finance.

Donc, durant des mois, on nous explique doctement que le syndrome métabolique est fondamental. Bon, en tant que cardiologue de base, je n’en avais pas vraiment conscience. Ce qui me rassure, c’est que certains diabétologues, non plus (ici et ici).

Mais, comme on nous le dit, ça doit être vrai !

 

Qu’est ce que le syndrome métabolique ?

C’est une association (variable au cours des années, et en fonction des recommandations) de plusieurs éléments : tour de taille élevé, triglycérides hauts, HDL cholestérol bas, HTA, glycémies élevées (critères AHA/NHLBI 2005).

Quel hasard stupéfiant, tout de même !

Le syndrome dont on m’avait à peine parlé durant mes années de médecine, et dont on vante tant l’importance absolument fondamentale depuis quelques mois dans des revues pseudo scientifiques est justement l’ensemble des éléments que corrige le rimonabant.

Incroyable.

...

Suite à la prochaine note.

08/05/2006

The Constant Gardener.

J’ai trouvé une série d’articles du « Washington Post » ici et ici.

  

J’ai résumé un de ces papiers qui me semble fort intéressant.

 

Il raconte comment un laboratoire pharmaceutique a expérimenté en 1996, semble-t-il en dehors de tout cadre légal, un nouvel antibiotique (la Trovafloxacine ou Trovan®) chez de jeunes enfants nigérians souffrant de méningite.

Ce nouveau médicament a été donné à 100 enfants alors que d’autres étaient traités au même moment par MSF, à l’aide de thérapeutiques approuvées.

 

Cet essai a été qualifié par un rapport nigérian « d’illégal, avec une molécule non enregistrée », soit « un cas clair d’exploitation de l’ignorant ». Ce rapport, rédigé il y a cinq ans n'a jamais été publié. Plusieurs des rares copies disponibles ont disparu mystérieusement au cours des dernières années. Un exemplaire est cependant arrivé à la rédaction du "Post", grâce à un informateur anonyme.

Le laboratoire a déclaré avoir agit dans un « but purement philanthropique », afin d’aider les médecins sur place. Toutefois, les médecins employés par la firme semblent avoir quitté la zone à la fin de l’essai, alors que l’épidémie faisait toujours rage.

L’information n’a été qu’orale, semble-t-il (il n’existe aucun document disponible sur le consentement « éclairé » des parents).

Une lettre antidatée justifiant l’acceptation du comité d’éthique nigérian a été rédigée par l’investigateur principal de l’essai, après la fin de celui-ci. De plus, cette lettre avait un en-tête d’un comité d’éthique qui n’avait pas été encore créé à l’époque.

L’investigateur principal de l’étude déclare n’avoir jamais été mis au courant des résultats de cet essai. Il déclare par ailleurs n’avoir vu les articles scientifiques, dont il était le premier auteur que lorsque la commission d’enquête nigériane les lui a présentés.

Cette commission a estimé que cet essai a violé : la loi nigériane, la déclaration d’Helsinki (qui régule l’expérimentation médicale), et la convention des Nations-Unies sur les droits de l’enfant.

Sur 100 enfants prenant de la trovafloxacine, 5 sont décédés. Six autres sont décédés en prenant le médicament de comparaison. L’imputabilité de la trofloxacine dans ces décès n’a pas été établie.

La firme a répondu n’avoir pas été contactée par le gouvernement nigérian et donc juge inapproprié de répondre sur les conclusions du rapport.

Toutefois, elle déclare avoir agit en connaissance de cause du gouvernement nigérian, et en accord avec la loi nigériane et les textes de la compagnie régulant la sécurité des patients.

Les infirmières locales auraient donné aux parents des explications, et ses derniers auraient donné leur accord verbal. De plus le laboratoire précise que la trovafloxacine avait été étudiée largement avant cette expérimentation, et que cette molécule a obtenu le  meilleur taux de survie lors de cet essai.

Enfin, la firme déclare que la trovafloxacine a sauvé des vies et que la société désapprouve vigoureusement l’accusation d’avoir conduit cet essai de façon « non éthique ».

Le « Post » précise que le Trovan® devait rapporter 1 milliard de dollars par an, mais que la FDA n’a jamais autorisé son utilisation chez l’enfant. Chez l’adulte, ses effets secondaires (hépatiques, cas de décès inexpliqués) ont conduit à une restriction d’utilisation en 1999.

Cette molécule n’a jamais été autorisée en Europe.

**********************************

En somme, une histoire compliquée ou tout le monde se renvoie la balle, sur fond de misère africaine.

Quelques QCM suivent, pour voir si vous avez bien compris ma note(!!).

  

***

- Pourquoi le labo a expérimenté en Afrique une molécule destinée aux pays occidentaux ?

           

A.    Pour faire bénéficier aux enfants africains des dernières nouveautés thérapeutiques, avant même leur commercialisation en Occident.

B.     Pour pénétrer le marché africain, et ravir la première place du palmarès des antibiotiques aux préparations magistrales des marabouts.

C.     Parce qu’en cas de problème, une demi-chèvre remplacera bien un petit enfant mort d’effets secondaires.

D.    Parce que l’application de la législation nigériane est inversement proportionnelle aux dessous de table.

E.     Parce que le marché de la méningite est en pleine expansion dans les pays occidentaux.

***

- Pourquoi la lettre du comité d’éthique est fausse ?

A.    Parce que le comité d’éthique n’existait pas encore, ce qui le rendait incorruptible.

B.     Ce n’est pas un faux, c’est une anticipation.

C.     Parce que le Mze, il a dit que ce papier était important pour les autres Mze de son pays.

D.    C'est pas moi qui l'ai écrite, ni les articles d'ailleurs, je sais ni lire, ni écrire!

E.     Ce n’est pas un faux, on l’a écrite à l’insu de mon plein gré (comme les articles).

***

- Pourquoi cette démarche est éthique et désintéressée ?

A.    Parce les familles des enfants n’ont pas eu à payer un traitement coutant 5.93 dollars par comprimé.

B.     Parce que le comité d’éthique l’a dit dans une lettre

C.     Parce que les médecins de la firme ont aidé à combattre une grave épidémie de méningite, et cela même si ils ont du revenir au pays précipitamment (par peur de la contamination, et ils ont préféré  laisser leur trovafloxacine pour l’entier bénéfice des petits africains -quel cœur, tout de même-).

D.    Tout a été fait selon les règles. On a expliqué tous les effets secondaires potentiels aux familles. A propos, vous savez comment on dit "hépatite fulminante parfois mortelle" en yorouba?

E.     Ethique, on ne sait pas, mais désintéressé, c’est certain. Aucun intérêt pour ces gosses !

***

03/05/2006

15 ans de visite médicale.

« Prescrire » dans son numéro d’avril, propose un dossier (librement consultable) sur l’évaluation de la visite médicale en France depuis 15 ans.

J’ai souvent parlé de cette revue, qui se veut être un véritable contre-pouvoir vis-à-vis de la désinformation, trop souvent distillée par les firmes pharmaceutiques.

Il faut lire prescrire comme on lit le « Canard », c’est caustique, mais pas encore pris en défaut (une poignée de procès, tous gagnés).

Sa lecture est salutaire dans le sens qu’elle aiguise l’esprit critique. Il faut savoir dire non à la pensée unique du marketing des firmes. Il faut néanmoins apprendre à juger les nouvelles molécules, sans toutefois dénigrer systématiquement. Sylla est souvent pire que Charybde.

Dans ce dossier, la rédaction de « prescrire » résume 15 ans d’évaluation de la visite médicale par des médecins volontaires. Les évaluations se font à l’aide de formulaires qui sont analysés secondairement. Les « enquêteurs » sont relayés tous les un an et demi environ. Sauf erreur, leur nombre n’est jamais donné.

Que disent les chiffres ?

Ils sont malheureusement éloquents.

Deux exemples parmi d’autres :

En 1991-1992, le visiteur médical citait spontanément les effets secondaires dans 23% des cas, 77% ne les citaient pas.

En 2004-2005, 32% des visiteurs les citaient au moins partiellement (15% totalement, 17% partiellement), 62% ne les citaient pas, et 6% les niaient (alors qu’ils sont reconnus).

Depuis 1996, le décret R.5122-11 (ancien R. 5047-3) oblige les visiteurs médicaux à remettre au médecin l’avis de la Commission de la transparence (organisme public) émis sur la molécule présentée. En 1998-1999, premières années, 3% des visiteurs le faisaient. En 2004-2005, ils étaient encore 3%.

C'est vrai que cet avis est souvent "saignant", totalement à contre-pied du lyrisme de certains visiteurs. Ainsi, une statine récente, au budget publicité colossal (1 milliard de dollar par an) a obtenu un modeste ASMR V (rien de plus par rapport aux autres statines) à cette fameuse commission.

   

Bon, on ne peut pas demander à un visiteur de démolir son produit au cours d’une présentation. On ne peut pas, non plus,  lui demander de faire la liste de tous les effets secondaires d’une molécule (le plus souvent, le « Vidal » en donne une vingtaine).

  

Pourquoi ?

  

Tout simplement car il faut prendre conscience que ces présentations ne sont que de la publicité. Les visiteurs qui faisaient leur boulot en présentant leur molécule, et non en essayant de la faire prescrire à tout prix sont en voie de disparition.

C’est pourquoi je considère la visite comme du spam, ni plus, ni moins.

Je garde d’excellents rapports avec une poignée de visiteurs, mais je ferme dorénavant (très poliment) la porte aux autres.

Pour les jeunes médecins, « Prescrire » cite quelques ficelles du marketing des nouvelles molécules dans la rubrique « le mot de Gaspard » (également en accès libre)..

Amusez vous à les repérer dans votre pratique quotidienne !

- Multiplication des indications

- Création de produits successeurs

- Sensibilisation à la maladie avant lancement (c’est ma préferrée)

- Reformulation (nouvelles galéniques)

- Maximisation du brevet

- Pénétration de la clientèle (par le biais de services d’aide à l’observance, ou d’associations de malades).

 

12/04/2006

Les néandertaliens

Lettre de consultation rédigée pour une patiente de neurochirurgie :

« Merci de voir Mme XXX, hospitalisée pour des métastases vertébrales responsables d’un syndrome de compression medullaire et porteuse d’une insuffisance cardiaque, arythmie, HTA »

Pas de « cher confrère » rituel, pas de traitement, pas de demande claire, pas de point à la fin de la phrase, pas de formule de politesse finale, pas de signature.

A la fin de la consultation, j’appelle mon compère de toujours, et lui lis la lettre.

« Uhmm, et alors, tu as fais quoi ? Tu as répondu aussi sèchement ?

- Non, je me suis retenu, mais j’ai failli.

- D’un autre côté, ils n’ont pas appris à écrire il y a longtemps…

- Pas faux…. »

Nos neurochirurgiens n’ont aucune pression lorsqu’ils opèrent un cerveau, ils ne savent pas à quoi ça sert.

Le vainqueur est…le sponsor !

J’ai trouvé ce matin un article intéressant dans le « Washingtonpost.com » d’aujourd’hui.

L’auteur, Shankar Vedantam s’interroge sur la validité des essais cliniques financés par l’industrie pharmaceutique (Comparison of Schizophrenia Drugs Often Favors Firm Funding Study).

  

Pour résumer l’article, la comparaison de deux antipsychotiques est favorable à la molécule de celui qui paye l'étude clinique !

Eli Lily a financé 5 études, toutes favorables au Zyprexa (sa molécule) par rapport au Risperdal (Janssen). Ce dernier laboratoire a financé 4 autres études, dont 3 ont démontré exactement le contraire.

Comment cela est donc possible ?

- C’est tout d’abord possible car tout essai clinique est entaché d’une probabilité d’erreur de 5%.

- Le sponsor/l’auteur peut « optimiser » l’essai en utilisant le principe de la « non infériorité ». Ce mode de calcul est moins « dangereux » pour une nouvelle molécule que la classique recherche de « supériorité ». Ces études sont d’ailleurs, de plus en plus fréquentes. J’arrête de lire un article dès que je lis que l’essai est de ce type. Hop, poubelle !

- Le sponsor/l’auteur peut « optimiser » l’essai en défavorisant l’adversaire, c'est-à-dire en sous dosant intentionnellement la posologie donnée. Il peut aussi choisir une molécule ancienne, bien connue pour son manque d’efficacité, ou pour ses effets secondaires. Ainsi, l’an dernier, un visiteur médical m’a présenté une étude comparant un anti-hypertenseur de dernière génération et de l’Adalate (nifédipine), molécule que même les paléocardiologues n’utilisent plus ! Heureusement pour lui, c’est la molécule de son laboratoire qui a gagné.

- Le sponsor/l’auteur peut « optimiser » l’essai en « bidouillant » les statistiques. Là, je suis, comme la plupart de mes collègues, incapable de le mettre en évidence. Par « bidouiller », je ne parle pas de fausser les résultats en ajoutant des patients virtuels par exemple, mais en utilisant une technique statistique un peu « limite ». La « non infériorité » est un exemple (mais je sais la repérer maintenant, grâce à un collègue qui fait un DU de statistiques). Bien entendu, lorsque l’on estime une amélioration clinique non strictement quantifiable, comme en psychiatrie, l’auteur/le sponsor a plus de latitude pour « interpréter » les résultats en sa faveur.

- Le sponsor/l’auteur peut demander que les résultats ne soient pas publiés. Il en a le droit, puisque les données lui appartiennent légalement. J’ai ainsi participé à une étude multicentrique, qui finalement négative, n’a jamais été publiée. Pas de publication, pas de bruit. Laissons la molécule mourir en silence…

-Enfin, il peut y avoir tricherie franche, mais je n’ai pas d’exemple impliquant un sponsor. Mais l’an dernier, une équipe indienne a avoué avoir truqué ses résultats pour les rendre probants (étude sur les risques cardio-vasculaires et l’alimentation).

Pourquoi y a-t-il si peu d’études financées par des groupes non liés à l’industrie pharmaceutique ?

Parce que cela coûte très cher, et que les Etats ne sont pas prêts à s’engager dans le processus. Je pense aussi que cela reviendrai à vouloir vider l'océan avec une paille.

Toutefois, quand ils le font, les résultats peuvent être intéressants. Pour en revenir aux antipsychotiques, l’antique, peu sponsorisée et donc peu prescrite (elle a aussi de fâcheux effets secondaires medullaires) clozapine fait mieux que nos deux premiers concurrents (étude CATIE). En France, des études financées par les pouvoirs publics sont en cours, notamment EVA3S, dont les cardiologues/médecins vasculaires/neurologues et chirurgiens vasculaires attentent impatiemment les résultats.

PS.

J'ai pensé, comme d'habitude, citer le texte en intégralité. Bien sûr en donnant le nom de l'auteur et du journal.

En regardant la page web de plus prêt, j'ai vu que l'on pouvait demander une licence d'utilisation pour 1 an. Je me suis dit: mon site n'est pas à but lucratif, je vais m'inscrire, il vont probablement rien me demander...

J'ai mis mon URL (probablement pour estimer le nombre de visites), et le coût de la licence s'est affichée: 400$US !!.

Bon, je vais me contenter de citer les références... 

09/03/2006

Cœur et café.

Boire du café ; est-ce un facteur de risque cardio-vasculaire ?

 

Question fréquente des patients, comme moi adeptes de café, mais jusqu’à présent sans réelle réponse fiable.

 

Theheart.org résume une étude qui est sortie dans le JAMA du 8 mars (Cornelis MC, El-Sohemy A, Kabagambe EK. Coffee, CYP1A2 genotype, and risk of myocardial infarction. JAMA 2006; 295:1135-1141.).

 

En gros, il existe 2 populations dans cette étude réalisée au Costa Rica (on se demande bien pourquoi…).

D’un côté les «CYP1A2 1A/1A », les métaboliseurs rapides de la caféine, de l’autre les « CYP1A2 1A/1F » et les « CYP1A2 1F/1F », qui sont des métaboliseurs lents.

Les biochimistes et pharmacologues en herbe, auront reconnu sous l’acronyme « CYP1A2 », le fameux cytochrome P450 (le 1A2, en l’occurrence), qui joue un rôle fondamental en pharmacodynamique.

 

Et bien, vaut mieux être « rapide » dans ce cas particulier.

L’ingestion de café dans cette population au pire, n’est pas délétère, et, au mieux, a une action protectrice. Moins 52% d’infarctus pour ceux qui boivent une tasse par jour, moins 43% pour ceux qui en boivent 2-3 tasses. Ne vous jetez pas sur votre machine à café, pour prendre le seul café quotidien qui vous rendra quasi immortel, ces chiffres ne sont que relatifs !

Enfin, ils ne concernent que les moins de 59 ans.

 

Par contre, si l’on est « métaboliseur lent », les risques d’infarctus augmentent pour 2-3 tasses, et plus de café par jour (+ 64% à plus de 4 tasses).

 

Les auteurs ne précisent pas quelle est la proportion de chaque groupe dans la population du Costa Rica, mais sa relative multi-ethnicité rend ces résultats valables pour une grande partie des groupes humains.

 

Moralité, boire 1 tasse de café par jour ne fait rien risquer ; au-delà, ça dépend de vos gènes.

 

Bon Kawa à tous !

27/02/2006

Qui va financer? (suite)

Encore un excellent article du Monde.

Il fait écho à un article de "Prescrire", que j'avais cité ici.

Encore une fois, une bonne idée initiale, remettre à niveau périodiquement les médecins, est pervertie par les principaux acteurs du système. La FMC est trop souvent une nième tribune donnée aux laboratoires pharmaceutiques, pour vanter leurs dernière panacée.

A propos, je me suis fâché avec une visiteuse médicale il y a deux semaines. Elle s'est tout d'abord un peu imposée à moi, mais comme elle avait organisé et financé un repas de service la semaine précédente, je n'ai rien dit.

Puis elle m'annonce que son diurétique anti-hypertenseur (un thiazidique) est moins hypokaliémiant que l'indapamide ancienne galénique. Petit rappel: l'indapamide est d'abord sorti sous sa forme à libération immédiate, mais de nombreuses et sévères hypokaliémies ont conduit à une modification de sa galénique, qui est devenue "LP" (à libération prolongée). Je lui ai fait remarqué que ce n'était ni pertinent (de se comparer à une "mauvaise" molécule), ni très éthique (vis à vis du labo adverse, qui a modifié sa molécule).

Ca ne lui a pas plu.

Tant pis...

             

Un Rapport dénonce l'opacité de la formation médicale continue
  

Dans un rapport transmis, mardi 21 février, à Xavier Bertrand, ministre de la santé, l'inspection générale des affaires sociale (IGAS) dresse un réquisitoire sévère contre l'organisation de la formation médicale continue (FMC). Selon le document, ce secteur, censé améliorer les pratiques médicales des professions de santé, brasse des millions d'euros dans une opacité totale, multiplie les conflits d'intérêts et n'a jamais, depuis dix ans, appliqué les textes réglementaires.

         

Une situation qui perdure, dans l'indifférence des pouvoirs publics, mais à la satisfaction de l'industrie pharmaceutique et des syndicats médicaux. "Les diverses tentatives de refonte du système de la FMC, initiées en 1996 (...), ont sans cesse achoppé sur des problèmes de gouvernance et de financement, sur fond de rivalités syndicales", constate l'IGAS. "Force est de constater la faiblesse problématique du rendement du service public dans ce domaine et le gaspillage des ressources investies dans l'élaboration des textes législatifs", ajoute-t-elle.

  

Combien de médecins la FMC concerne-t-elle, et pour quel coût ? Impossible à dire, puisqu'il n'existe pas de "données globales et fiables". L'inspection estime que seul un médecin sur cinq participe à des journées de formation, alors que celle-ci est obligatoire depuis 1996. Seuls les financements institutionnels (70 millions d'euros en 2005) sont connus. Ceux de l'industrie pharmaceutique "restent opaques". Evalués "entre 400 et 600 millions d'euros", ils constituent pourtant "le vecteur essentiel de financement de la FMC".

          

"Le niveau réel de financement de l'industrie est d'autant plus malaisé à cerner que la frontière entre dépenses de promotion et dépenses de formation est difficile à tracer", relève l'IGAS. Celle-ci observe que la formation des médecins libéraux est largement financée par les laboratoires pharmaceutiques, et celle des hospitaliers par l'industrie biomédicale. Tout cela concourt à un système qui ne garantit pas l'indépendance des formations et qui, "sauf à accepter que la FMC ait pour fin essentielle la promotion des produits, est en totale contradiction avec les objectifs affichés de maîtrise médicalisée des dépenses de santé".

             

Le rapport de l'IGAS souligne "l'omniprésence des conflits d'intérêts". Ainsi, les organisations syndicales siègent-elles dans les instances d'agrément des organismes de formation, alors qu'elles ont elles-mêmes créé leurs propres organismes. L'IGAS cite un exemple éloquent : "En 2004, près de la moitié des fonds publics de la FMC a été attribuée aux organismes de formation situés dans la mouvance du même syndicat représentatif pour une seule catégorie de médecins". "Il serait préférable, poursuit-elle, d'exclure les organisations syndicales de la gestion des appels d'offres."

        

Sandrine Blanchard

       

Article paru dans l'édition du 28.02.06

 

21/02/2006

Paludisme et drépanocytose.

J’ai vu une patiente de 25 ans lundi matin à la consultation. Elle est porteuse d’une drépanocytose, et en lui faisant une échocardiographie, je lui ai trouvé une atteinte cardiaque assez sévère.

 

 

En faisant des recherches sur « Pubmed », et « Google » (parfois même meilleur que Pubmed pour trouver des articles de fond…), j’ai retrouvé une association dont j’avais déjà entendu parler.

 

Il s’agit de deux maladies touchant sensiblement la même population, celle de l’Afrique sub-saharienne. Ces deux maladies sont le paludisme et la drépanocytose.

Le paludisme, vous connaissez, c’est une maladie parasitaire qui entraîne une destruction des globules rouges, et une cascade thrombotique et immunitaire parfois fatale.

Parfois est un euphémisme.

Depuis que vous avez commencé à lire cette note, soit environ 1 minute, 5 hommes, femmes ou surtout enfants sont décédés du paludisme quelque part dans le Monde.

La drépanocytose est une maladie génétique qui entraîne une modification de l’hémoglobine. Cette hémoglobine déficiente, nommée "S", provoque une modification des globules rouges. Ces derniers prennent la forme d'une faucille, d'ou l'autre nom de la drépanocytose: l'anémie falciforme.

 

Cette pathologie est potentiellement grave. La mort peut survenir en période pédiatrique (en cas de drépanocytose homozygote notamment), ou entraîner des accidents vasculaires répétitifs si le patient parvient à l’âge adulte (souvent drépanocytose hétérozygote).

Ce qui est intéressant dans cette histoire est que la drépanocytose, qui est donc en générale délétère, a un effet protecteur diminuant la sévérité du paludisme. A priori, pour faire simpliste, l'hématozoaire du paludisme déteste les globules rouges en forme de faucille. Il ne peut donc pas infester un patient drépanocytaire de manière massive, ce qui diminue assez nettement le risque de décès

Ce qui fait qu’en zone d’endémie palustre, la population porteuse du gène est en quelque sorte favorisée par rapport aux autres ; par conséquent, elle s’accroit plus.

Ainsi, en Ouganda, par exemple, 46% de la population est hétérozygote, sous la pression du paludisme. Aux Etats-Unis, cette anomalie ne touche « que » 8% de la la population noire américaine, pourtant de même souche.

 

Mais ne nous trompons pas, la drépanocytose est une sale maladie, qui d'ailleurs, par la morbi-mortalité engendrée a tendance à disparaître (moins de porteurs, donc moins de transmission, et ainsi de suite) dans les zones géographiques… non impaludées.

Voilà, c’était le petit conte du mardi soir (post garde), j’espère que ça vous a plu.

 

 

De nombreux sites se penchent sur ce problème, en voici deux : ici, et ici.