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26/07/2006
Petite note sombre.
Petite note sombre.
Simple aller-retour en ville, cette après-midi, car l’infirmière de consultation m’avait noté en « congés annuels ». Même si elle m’a vu travailler la semaine dernière après 3 semaines de vacances, et un « à la semaine prochaine » rituel. Donc, bien entendu, je n’avais pas de patient.
Je lui fais remarquer qu’elle aurait pu se poser la question : « Pourquoi ? ca me fait un médecin de moins à m’occuper, je pourrais partir plus tôt… ». C’est sûr, faire des ECG et partir à 16h19, c’est un travail dont la pénibilité n’est approchée de loin que par celle du travail au fond des mines dans Germinal. Un médecin et un jour de moins avant la retraite, c’est toujours ça de gagné.
D’ailleurs, dans un autre hôpital, on m’a demandé si je venais le lundi 14 août.
« Euh, oui, pourquoi ?
- Parce que mardi c’est le 15.
- Ah bon ? Et alors ?
- Si tu ne venais pas, on ne serait pas venues non plus.
- Et les patients, ils font le viaduc ? Du 12 au 15 inclus sans cardiologue dans tout l’Hôpital ? D’autant plus que vendredi 11, il y aura vraisemblablement personne, à la veille d’un si grand week-end… »
Elles ne m’ont rien répondu. Je vais finir par passer pour un dangereux maniaque psychorigide.
En ville, une enseigne de pharmacie annonce 37°C. Des petits vieux avancent courbés par leurs cabas et la chaleur étouffante. Ils ont la bouche ouverte. En général, ce n’est pas bon signe, ce qui habituel chez un chien est plutôt terminal chez nous.
Sous un ciel laiteux toxique (couleur fenêtre Word mise en arrière plan), les voitures roulent à 70 Kms/H (90-20) sur l’autoroute dans sa portion intra muros. Avec la clim à fond, la consommation ne doit pas être tellement inférieure à celle habituelle. D’un autre côté, c’est toujours mieux que 90 avec la clim à fond…
Arrivé à la maison, je termine la boite « king size » de Smarties, ramenée de Suisse pour mes enfants en écoutant Alanis Morissette.
J’ai à la fois honte, mal au ventre et je suis un peu déprimé.
Vivement la fin de cette journée.
**************
J’ai failli oublier, ce matin, un petit moment « colorée blonde » qui ne m’a même pas trop fait rire sur le coup.
Le patient de Guyane (cf. note infra) est orpailleur, métier assez classique dans cette région.
J’avais à ma gauche une jeune généraliste qui apprend le döppler avec moi (en soi même, c’est déjà assez loufoque…).
« J’ai une usine d’orpaillage en Guyane »
« Pauvres bêtes ! », me glisse à l’oreille ma collègue.
« Pardon ?
- Pauvres bêtes, il les empaille !
- Mais non, c’est de « orpaillage », pas « empaillage » ; tu n’as jamais entendu ce terme ?
- Non, c’est quoi ? Mais tu sais, je suis blonde… »
On ne peut pas lui enlever ça, elle est lucide et mignonne.
15:55 Publié dans ma vie quotidienne | Lien permanent | Commentaires (5)
Boire jusqu’à la lie.
Ce matin, coup de téléphone sur le portable, en pleine vacation de döppler.
Au bout du fil, le mari de la patiente dont j’ai parlé hier.
Le centre privé d’IVG est complet, jusqu’à mi-août, ils me demandent de téléphoner pour faire accélérer un éventuel rendez vous au CHU.
Je refuse, trouve plein de raisons pour ne pas le faire. Mais personne n’est là pour me tendre la bassine pour m’en laver les mains ; la gyneco vue hier est partie en long week-end et le généraliste est aux abonnés absents.
Après 15 minutes de discussion houleuse, je m’exécute.
Ce sera demain.
Le reste de la vacation m’a peu intéressé, même le dernier patient, français vivant en Guyane, aux 9 femmes arawaks (dont les 5 veuves de son frère) et ses 29 enfants.
Là, je me gave de smarties pour oublier.
11:51 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)
25/07/2006
Appuyer sur le bouton.
Depuis 8 jours, une patiente me pose un problème de conscience.
A la suite d’une quatrième grossesse, elle présente un œdème du poumon. Le service me l’envoie pour bilan. A l’échographie, altération de la fraction d’éjection à 40%.
Deux hypothèses : cardiopathie du post partum ou myocardite virale.
Avec les internistes, je fais un bilan extensif, et je n’arrive pas vraiment à trancher.
Le contexte social est difficile, comme le disait un de mes anciens maîtres : « Ces gens sentent la pauvreté ».
Rien de péjoratif, mais un ensemble de petites observations me font entrevoir une famille modeste, avec 4 enfants, une jeune mère un peu dépassée et un père peu « entourant ». Les grands-parents sont inexistants.
L’annonce de la pathologie cardiaque a semé désordre et inquiétude. A chaque consultation, son état s’améliorait et je les rassurais. Mais elle continuait néanmoins à décrire des plaintes somatiques multiples, de plus en plus fonctionnelles. Peut-être un appel à l’aide devant des tâches domestiques écrasantes.
J’ai proposé de l’hospitaliser à la clinique pour qu’elle se repose, mais son mari y a mis son véto. La dictature des gens que l’on aime est la pire de toute.
Elle a un traitement associant IEC et bêta-bloquants, j’ai réussi à arrêter les diurétiques il y à quelques mois. A cette époque, je les avais mis en garde contre une nouvelle grossesse. Malheureusement, elle est tombée enceinte. Elle est actuellement à 12 semaines et demi.
Ils viennent me voir lundi matin avec leur fardeau.
Le mari désire zéro risque, et dans le cas contraire, pousse vers l’avortement, malgré ses croyances (il est musulman, elle est d’origine catholique a priori).
Elle est plus nuancée, et hésite beaucoup.
Après quelques minutes, je me rends compte qu’ils veulent que je prenne la décision pour eux. Ils ne sont pas capables d’analyser la situation en pesant les risques ; ils sont paralysés par leurs craintes/espoirs.
Je recommence mes explications, et ils posent les mêmes questions.
Je note encore la différence entre les deux.
Je rédige une lettre à sa gynéco, en préconisant (conseillant, que peut-on utiliser comme terme, ici ??) un avortement, du fait des risques cardiaques.
Une chose est néanmoins claire dans mon esprit : si cet enfant avait été le premier, j’aurais probablement poussé à le garder.
C’est là qu’est l’écharde dans ma chair. Bien qu’athée, la vie m’est sacrée, et ils me demandent une décision que je ne peux pas prendre à leur place. Et ils sont bien au-delà des discussions casuistiques et de risques relatifs ou absolus. Ils ne demandent pas de conseil, mais une décision.
Mais, je suis bien incapable de quantifier ce risque. Le peut-on seulement ?
Il existe, j’en suis certain, mais c’est tout.
A chaque inflexion en faveur de le garder, le mari repart à la charge avec son risque zéro, et elle acquiesce, silencieusement derrière lui.
Je les vois l’un après l’autre, pas mieux.
Je caresse les têtes des quatre enfants piaillant qui sortent de la consultation en ne me sentant pas à l’aise.
La gynéco me rappelle le soir, elle a la même analyse que moi, notamment sur le contexte social. Ils lui ont aussi demandé de prendre leur décision. Elle a esquivé en les adressant vers un centre d’IVG demain. Je ne la blâme pas.
Ce soir, la jeune femme m’appelle sur le portable, après avoir vu son bébé sur l’écho de datation, elle est encore plus désemparée.
Elle va y aller, mais à reculons. Son mari ne préfère pas l’accompagner.
Leur nuit va être difficile.
La mienne aussi.
22:12 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (7)