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15/07/2006

L'empereur est nu!

Il y a de longues années vivait un empereur qui aimait par-dessus tout les beaux habits neufs ; il dépensait tout son argent pour être bien habillé. Il ne s’intéressait nullement à ses soldats, ni à la comédie, ni à ses promenades en voiture dans les bois, si ce n’était pour faire parade de ses habits neufs. Il en avait un pour chaque heure du jour et, comme on dit d’un roi : « Il est au conseil », on disait de lui :

« L’empereur est dans sa garde-robe. » La vie s’écoulait joyeuse dans la grande ville où il habitait ; beaucoup d’étrangers la visitaient. Un jour arrivèrent deux escrocs, se faisant passer pour tisserands et se vantant de savoir tisser l’étoffe la plus splendide que l’on puisse imaginer.

Non seulement les couleurs et les dessins en étaient exceptionnellement beaux, mais encore, les vêtements cousus dans ces étoffes avaient l’étrange vertu d’être invisibles pour tous ceux qui étaient incapables dans leur emploi, ou plus simplement irrémédiablement des sots. « Ce seraient de précieux habits, pensa l’empereur, en les portant je connaîtrais aussitôt les hommes incapables de mon empire, et je distinguerais les intelligents des imbéciles. Cette étoffe, il faut au plus vite la faire tisser. »

Il donna d’avance une grosse somme d’argent aux deux escrocs pour qu’ils se mettent à l’ouvrage. Ils installèrent bien deux métiers à tisser et firent semblant de travailler, mais ils n’avaient absolument aucun fil sur le métier.

Ils s’empressèrent de réclamer les plus beaux fils de soie, les fils d’or les plus éclatants, ils les mettaient dans leur sac à eux et continuaient à travailler sur des métiers vides jusque dans la nuit. J’aimerais savoir où ils en sont de leur étoffe, se disait l’empereur, mais il se sentait très mal à l’aise à l’idée qu’elle était invisible aux sots et aux incapables.

Il pensait bien n’avoir rien à craindre pour lui-même, mais il décida d’envoyer d’abord quelqu’un pour voir ce qu’il en était. Tous les habitants de la ville étaient au courant de la vertu miraculeuse de l’étoffe et tous étaient impatients de voir combien leurs voisins étaient incapables ou sots.

Je vais envoyer mon vieux et honnête ministre, pensa l’empereur. C’est lui qui jugera de l’effet produit par l’étoffe, il est d’une grande intelligence et personne ne remplit mieux sa fonction que lui. Alors le vieux ministre honnête se rendit dans l’atelier où les deux menteurs travaillaient sur les deux métiers vides. Mon Dieu ! pensa le vieux ministre en écarquillant les yeux, je ne vois rien du tout ! Mais il se garda bien de le dire. Les deux autres le prièrent d’avoir la bonté de s’approcher et lui demandèrent si ce n’était pas là un beau dessin, de ravissantes couleurs.

Ils montraient le métier vide et le pauvre vieux ministre ouvrait des yeux de plus en plus grands, mais il ne voyait toujours rien puisqu’il n’y avait rien. « Grands dieux ! se disait-il, serais-je un sot ? Je ne l’aurais jamais cru et il faut que personne ne le sache ! Remplirais-je mal mes fonctions ? Non, il ne faut surtout pas que je dise que je ne vois pas cette étoffe. » Eh bien ! vous ne dites rien ? dit l’un des artisans. Oh ! c’est vraiment ravissant, tout ce qu’il y a de plus joli, dit le vieux ministre en admirant à travers ses lunettes. Ce dessin ! … ces couleurs ! …

Oui, je dirai à l’empereur que cela me plaît infiniment. Ah ! nous en sommes contents. Les deux tisserands disaient le nom des couleurs, détaillaient les beautés du dessin. Le ministre écoutait de toutes ses oreilles pour pouvoir répéter chaque mot à l’empereur quand il serait rentré, et c’est bien ce qu’il fit. Les escrocs réclamèrent alors encore de l’or et encore des soies et de l’or filé. Ils mettaient tout dans leurs poches, pas un fil sur le métier, où cependant ils continuaient à faire semblant de travailler.

Quelque temps après, l’empereur envoya un autre fonctionnaire important pour voir où on en était du tissage et si l’étoffe serait bientôt prête. Il arriva à cet homme la même chose qu’au ministre, il avait beau regarder, comme il n’y avait que des métiers vides, il ne voyait rien. N’est-ce pas là une belle pièce d’étoffe ? disaient les deux escrocs, et ils recommençaient leurs explications. « Je ne suis pas bête, pensait le fonctionnaire, c’est donc que je ne conviens pas à ma haute fonction. C’est assez bizarre, mais il ne faut pas que cela se sache. »

Il loua donc le tissu qu’il ne voyait pas et les assura de la joie que lui causait la vue de ces belles couleurs, de ce ravissant dessin. C’est tout ce qu’il y a de plus beau, dit-il à l’empereur. Tous les gens de la ville parlaient du merveilleux tissu. Enfin, l’empereur voulut voir par lui-même, tandis que l’étoffe était encore sur le métier.

Avec une grande suite de courtisans triés sur le volet, parmi lesquels les deux vieux excellents fonctionnaires qui y étaient déjà allés, il se rendit auprès des deux rusés compères qui tissaient de toutes leurs forces - sans le moindre fil de soie. N’est-ce pas magnifique, s’écriaient les deux vieux fonctionnaires, que Votre Majesté admire ce dessin, ces teintes. Ils montraient du doigt le métier vide, s’imaginant que les autres voyaient quelque chose.

« Comment ! pensa l’empereur, je ne vois rien ! Mais c’est épouvantable ! Suis-je un sot ? Ne suis-je pas fait pour être empereur ? Ce serait terrible ! Oh ! de toute beauté, disait-il en même temps, vous avez ma plus haute approbation. » Il faisait de la tête un signe de satisfaction et contemplait le métier vide. Il ne voulait pas dire qu’il ne voyait rien. Toute sa suite regardait et regardait sans rien voir de plus que les autres, mais ils disaient comme l’empereur : « Oh ! de toute beauté ! » Et ils lui conseillèrent d’étrenner l’habit taillé dans cette étoffe splendide à l’occasion de la grande procession qui devait avoir lieu bientôt. Magnifique ! Ravissant ! Parfait ! Ces mots volaient de bouche en bouche, tous se disaient enchantés.

L’empereur décora chacun des deux escrocs de la croix de chevalier pour mettre à leur boutonnière et leur octroya le titre de gentilshommes tisserands. Toute la nuit qui précéda le jour de la procession, les escrocs restèrent à travailler à la lueur de seize chandelles. Toute la ville pouvait ainsi se rendre compte de la peine qu’ils se donnaient pour terminer les habits neufs de l’empereur. Ils faisaient semblant d’enlever l’étoffe de sur le métier, ils taillaient en l’air avec de grands ciseaux, ils cousaient sans aiguille et sans fil, et à la fin ils s’écrièrent :

Voyez, l’habit est terminé ! L’empereur vint lui-même avec ses courtisans les plus haut placés. Les deux menteurs levaient un bras en l’air comme s’ils tenaient quelque chose : Voici le pantalon, voici l’habit ! voilà le manteau ! et ainsi de suite. C’est léger comme une toile d’araignée, on croirait n’avoir rien sur le corps, c’est là le grand avantage de l’étoffe. Oui oui, dirent les courtisans de la suite, mais ils ne voyaient rien, puisqu’il n’y avait rien.

L’empereur enleva tous ses beaux vêtements et les escrocs firent les gestes de lui en mettre. Dieu ! comme cela va bien ! Comme c’est bien pris, disait chacun. Quel dessin, quelles couleurs, voilà des vêtements luxueux. Les chambellans qui devaient porter la traîne du manteau de cour tâtonnaient de leurs mains le parquet et les élevaient ensuite comme s’ils ramassaient cette traîne. C’est ainsi que l’empereur marchait devant la procession sous le magnifique dais, et tous ses sujets s’écriaient :

Dieu ! que le nouvel habit de l’empereur est admirable. Personne ne voulait avouer qu’il ne voyait rien, puisque cela aurait montré qu’il était incapable dans son emploi, ou simplement un sot. Jamais un habit neuf de l’empereur n’avait connu un tel succès. Mais il n’a pas d’habit du tout ! cria un petit enfant dans la foule. Grands dieux ! entendez, c’est la voix de l’innocence, dit son père. Et chacun de chuchoter de l’un à l’autre :

Il n’a pas d’habit du tout … Il n’a pas d’habit du tout ! cria à la fin le peuple entier. L’empereur frissonna, car il lui semblait bien que tout son peuple avait raison, mais il pensait en même temps qu’il fallait tenir bon jusqu’à la fin de la procession. Il se redressa encore plus fièrement, et les chambellans continuèrent à porter le manteau de cour et la traîne qui n’existait pas.

 

Les habits neufs de l’empereur (1837).

Hans Christian Andersen.

21:30 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (2)

14/07/2006

Le cardiologue cardiaque.

medium_hopeless.jpgJ’avais presque oublié.

Je suis allé chercher la nuit dernière en unité un cardiologue d’une cinquantaine d’années en plein œdème pulmonaire. Je l'ai emmené en réa.

Il sait parfaitement ce qu’il a, et que la seule option thérapeutique, le remplacement valvulaire mitral est à haut risque chez lui (réintervention après des pontages en 2001, fonction ventriculaire gauche altérée, radiothérapie thoracique à l’adolescence…).

Il a tout analysé froidement, et se laisse aller à prendre des remèdes qu’il a toujours jugés inefficaces, parce que ces derniers temps, il s’étouffe toutes les nuits.

Dans la plupart des yeux des patients qui s’étouffent brutalement, on peut y lire la peur, la stupeur et l’incompréhension.

Dans les siens, uniquement le désespoir.

C’est encore pire.

 

Il devrait être opéré la semaine prochaine.

J’espère que tout se passera bien.

20:59 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : médecine

Conques.

medium_Conques.jpgJ’avais oublié notre passage à Conques, haut lieu du pèlerinage de Compostelle.

La cité et son abbatiale sont enchâssées sur le versant d’une petite vallée boisée.

Rien  autour, sinon le silence et la spiritualité résiduelle des milliers de pèlerins qui ont cheminé par ce village.

Nous avons parlé longuement avec un hospitalier qui a tout abandonné à l’âge de 62 ans pour dédier sa vie au « Camino ».

Autant d’histoires que de pèlerins : cette suissesse hébergée 3 mois par une famille espagnole, ce restaurateur montpelliérain qui a laissé sa femme il y a 3 mois pour tailler la route avec son âne, notre interlocuteur les pieds en sang, soigné et hébergé gratuitement.

Toutes nos pseudo valeurs contemporaines s’effacent dans ce lieu hors de l’espace et du temps.

J’ai retrouvé un passage dans « Thérapie » qui résume bien ce que l’on peut ressentir à Conques.

 

« J’ai décrit les trois stades du développement personnel selon Kierkegaard - l’esthétique, l’éthique et le religieux - et suggéré qu’il existait parmi les pèlerins les trois catégories correspondantes. (c’était une idée à laquelle j’avais réfléchi en route.) L’esthète se souciait principalement de prendre du bon temps, de goûter les plaisirs pittoresques et culturels du Camino. Pour l’éthicien, le pèlerinage constituait essentiellement un test d résistance morale et d’autodiscipline. Il (ou elle) possédait une notion très stricte du comportement approprié au pèlerinage (ne pas dormir à l’hôtel, par exemple) et il avait sur la route une attitude très compétitive par rapport aux autres. Le vrai pèlerin, c’était le pèlerin religieux, au sens kierkegaardien. Pour Kierkegaard, le christianisme était « absurde » : eût-il été rationnel qu’il n’y aurait pas eu de mérite à y croire. Le principe, c’était donc de choisir de croire sans y être poussé par la raison - de faire un saut dans le vide et, du même coup, de se choisir soi même. Parcourir à pied quinze cents kilomètres jusqu’au sanctuaire de Santiago sans savoir s’il y avait réellement quelqu’un d’enterré là, cela représentait un tel saut. Le pèlerin esthète ne prétendait pas être un vrai pèlerin. Le pèlerin éthicien était sans cesse tourmenté par la question. Le vrai pèlerin se contentait d’accomplir son pèlerinage. »

 Thérapie. david Lodge

 

Je me classe dans les esthètes, à moins que de posséder une Peugeot Partner « bleu EDF-GDF » ne soit un critère d’exclusion (qu’en aurait pensé Soren ?).

 

En quittant Conques, j’ai dit à Sally que nous avions effleuré ce qu’était le Camino.

« A peine fait signe », a-t-elle répondu en souriant.

Elle a parfaitement raison.