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24/11/2007
Télémédecine (via SMS).
Parfois, on tombe sur des patients fabuleux.
La semaine dernière, je reçois un patient après une intervention de chirurgie cardiaque.
40-45 ans, lui et sa femme sont très sympathiques. Il a une profession libérale, et le courant passe vite.
Au cours de la semaine, une échographie cardiaque montre un épanchement péricardique. C’est assez banal après une chirurgie cardiaque, mais le sien est assez abondant et mal placé (juste en regard du ventricule droit). En cas d’évolution défavorable, il pourrait tout à fait faire une tamponnade.
Je le contrôle de nouveau vendredi et l’examine. Je le bourre de corticoïdes en espèrant que l'épanchement est d'origine inflammatoire.
Il avait extrêmement hâte de sortir en permission ce samedi et ce dimanche, et je n’ai pas eu le courage de l’annuler. Je lui donne mon numéro de portable pour me contacter en cas de problème, même mineur. Je prends mon temps pour lui expliquer.
- Mais je vous préviens, aucun effort durant ces deux jours.
- D’accord, pas de problème.
- L’interdiction comporte aussi les câlins.
- Oh ! Noooon !
-Et si…
- Ce n’est pas possible…
- Uhmm, c’est d’accord, mais je vous interdis de bouger !
Grosse rigolade.
Nous retournons dans sa chambre ou nous attend sa femme.
Je lui explique tout jusqu’au moment des câlins. Il reprend la parole :
- C’est d’accord, mais je n’ai pas le droit de bouger.
Elle éclate de rire. Je me tourne vers elle.
- Mais, ça vous laisse néanmoins un éventail encore considérable
Rires.
J’insiste encore sur le point qu’ils peuvent me contacter à toute heure.
- Mais, mon portable étant du côté de mon épouse, je vous demande simplement de ne pas dire « Nous avons fait un câlin et ça va pas » à 3h00 du matin, si elle décroche. Elle pourrait ne pas apprécier !
Ils me promettent de faire le/les câlin(s) avant 22h. Je discute un peu : 20h !
Je sors de la chambre hilare.
Ce matin, je le réexamine de nouveau : tout est en ordre.
Il part en permission.
13h15, un SMS :
« Jusque là tout va bien. Merci, bon WE »
Je lui renvoie :
« Félicitations ! »
15:25 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (6)
Prescience.
« Pseudo science » tranche Wikipedia.
Je suis bien d’accord.
Mais la prescience fait partie du quotidien de notre métier.
Vous arrivez devant un patient, vous l’interrogez, vous lisez son dossier, vous l’examinez, et vous savez qu’il va lui arriver malheur.
Ses futures souffrances, épreuves et mort étourdissent subitement votre esprit.
Vous continuez à lui parler, vous souriez pour donner le change, lui aussi.
Vous n’êtes plus tout à fait avec lui, vous voyez ce qui va lui arriver, et vous vous sentez écrasé par l’inéluctabilité.
Mais vous devez continuer à sourire, coûte que coûte.
Ca m'arrive parfois, ça m'est arrivé hier avec un gentil patient qui a fait un gros infarctus.
Il ne le sait pas, mais la messe est dite.C’est une certitude, et malheureusement, en général, je ne me trompe pas.
Autre chose qui va vous paraître très prétentieux (mais ce ne l’est pas du tout dans mon esprit) : la connaissance et l’expérience sont parfois un énorme fardeau.
Ce sont les seuls moments où je trouve mon métier difficile.
11:05 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)
23/11/2007
En route vers un monde meilleur (3).
Une troisième histoire pour la route.
Toujours la même source (Theheart.org) datée du 22 novembre.
Un laboratoire sort une molécule sur laquelle beaucoup d’espoirs de profits sont fondés.
Cette molécule est commercialisée sans « grande étude » clinique décisive. On se fonde sur les études faites sur les statines pour la vendre.
Les statines font baisser le LDL cholestérol, et de nombreuses études ont démontré que c’était bénéfique en terme de morbi-mortalité cardiovasculaire.
Cette molécule fait lui aussi baisser le cholestérol, donc on présume qu'elle est bénéfique.
Vous avez saisi la nuance, qui n’en est toutefois pas une à mon humble avis.
En effet, il existe pas mal d’arguments (résumés dans cet article de 2004 paru dans Circulation) pour dire que les statines sont bénéfiques aussi pour une autre raison que la simple baisse du LDL. C’est ce que l’on appelle l’ effet pléïotropique des statines.
Attention, je ne dis pas que baisser le LDL est secondaire.
Mais cet argument augmente ma perplexité lorsque l’on nous assène doctement que si l’action de A sur un paramètre B est bénéfique, alors C qui a le même effet sera bénéfique aussi.
Oui, mais est-ce que c’est l’action sur B qui est bénéfique ? N’y a-t il pas un autre paramètre D modifié par A et non encore exploré ? N’est-ce pas le mode d’action de A, plus que son effet sur le paramètre B qui est important ?
Autant de questions que certains désirent que l’on ne se pose pas trop.
Cependant, je n’aime pas trop ce genre de raccourcis simplistes.
Cette molécule est donc commercialisée en association avec une statine (ça potentialise l’efficacité de cette dernière sur le LDL) ou isolée.
Or le laboratoire aimerait bien que la forme isolée se vende encore mieux.
Malheureusement, comme je l’ai dit, on ne dispose d’aucune étude de morbi-mortalité digne de ce nom pour montrer l’importance de prescrire cette molécule à nos patients.
Donc on va en faire une ! Uhmmm, uhmmm…
En fait peut-être pas.
Premièrement c’est très cher à mettre en route (beaucoup de patients, grosse logistique…) et on n’est pas sûr du résultat.
Et oui, si ça se trouve, l’étude risquerait d’être nulle, ou pire, négative.
Donc on va donc étudier un paramètre intermédiaire. C’est moins cher, et moins risqué.
Je vous l’ai déjà dit ici, si l’on veut prendre le moins de risque possible dans une étude, on mesure un paramètre intermédiaire.
Un paramètre peut se mesurer, donc on peut discuter son mode de mesure, sa précision, la marge d’erreur, et donc éventuellement « orienter » un peu le paramètre vers le côté qui nous convient.
Un mort ou un infarctus, et bien, on peut difficilement l’ « orienter », le cacher sous le tapis.
Donc on va mesurer l’épaisseur de l’intima-media au niveau d’une carotide.
Plus c’est épais, moins c’est bon.
Ceux qui font du döppler savent que ce paramètre est idéal pour ce pourquoi on l’a choisi.
L’étude a donc été réalisée.
Mais, les résultats ne sortent pas.
Emoi dans la communauté boursière et scientifique (ou vice versa).
Les résultats seraient-ils négatifs ?
L’investigateur principal se défend et dit que non, que ce retard est dû à des « technical difficulties with the large amount of data generated ».
C’est ballot, il y a tellement de données qu’on ne sait plus quoi en faire. Bien entendu, tout cela était imprévisible avant de démarrer l’étude…
Les inquiétudes boursières et scientifiques (ou vice versa) ont encore enflé car le « Primary End Point » a été changé au cours de l’étude. Et ça, c’est toujours très mal vu.
Quand vous changez l’objectif principal en cours d’étude, on va toujours vous suspecter de vous être rendu compte en faisant une analyse intermédiaire discrète que vous n’alliez pas l’atteindre. Et que donc vous vous assigniez un objectif un peu moins exigeant.
En théorie, les données sont gardées secrètes jusqu’à l’analyse finale (ou aux analyses intermédiaires « officielles » rendues nécessaires par des impératifs de sécurité).
Troisième point curieux, ces données sont ici sous le contrôle du sponsor de l’étude, et non comme d’habitude de l’investigateur principal.
Dans ces grandes études, les données appartiennent le plus souvent (toujours ?) au sponsor. Par contre, c’est l’investigateur principal qui en a le contrôle (il en est le garant).
Mais pas ici…
Lisez l’article, faites vous votre idée. Pour ma part je suis assez dubitatif, j’attends les résultats avec impatience.
Pas pour ma pratique courante, je me contre fiche totalement de la mesure de l’intima media comme argument de prescription. Tout ce qui m’intéresse est de savoir si mon patient va vivre plus longtemps et mieux.Mais j'ai hâte de savoir comment tout cela va se terminer, et si le laboratoire va pouvoir rétablir la situation, comme tout bon chat qui se respecte. Si ils sont négatifs, ce sera vraiment à désespérer !
Cet article montre aussi une dérive qui me semble fondamentalement dangereuse.
Maintenant, ce ne sont pas les médecins qui attendent le plus le résultat d’une étude scientifique, mais les investisseurs.
Et ce phénomène ne peut conduire qu’à des dérapages sanglants pour les patients, beaucoup moins pour les investisseurs ("Plaie d’argent n’est pas mortelle").
20:35 Publié dans Prescrire en conscience | Lien permanent | Commentaires (3)