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24/08/2008

Let’s talk about stats (2).

Il y a pas mal de temps, j’avais écrit ce billet sur les essais de non infériorité, et les risques de mauvaise interprétation clinique induits par leurs spécificités statistiques.

Depuis, j’ai lu plusieurs articles qui m’ont permis de corriger et d’affiner très partiellement mes idées sur le sujet.

Comme j’ai constaté que le théorème de Bayes vous a intéressé, et que la compréhension d’un minimum sur les statistiques biomédicales me semble fondamental pour optimiser sa pratique médicale, je vais donc essayer de faire une petite note de synthèse sur ce sujet.

Comme d’habitude, n’hésitez pas à commenter pour critiquer et enrichir le sujet.

 

Un test de « non infériorité » permet, comme le précisent Michel Cucherat et Eric Vicaut « de montrer que l’efficacité d’un nouveau traitement n’est pas trop inférieure à celle du traitement de référence, mais pas de conclure à la stricte équivalence d’efficacité ».

 

Imaginons une maladie X qui possède un paramètre mesurable pertinent pour l’évaluation de son pronostic.

Imaginons un traitement de référence, R, parfaitement connu (il a donc notamment été testé avec succès contre un placebo), et un traitement nouveau N en cours d’évaluation.

 

Comment comparer ces deux traitement R et N ?

Il suffit de faire un test d’hypothèses pour tester leur différence D.

C’est le choix de ces hypothèses H0 et H1 (l’hypothèse alternative) qui va déterminer le type de l’essai

 

Pour les essais de non infériorité, les deux hypothèses sont les suivantes :

 

H0 : risque absolu de différence ≥marge

H1 : risque absolu de différence <marge

La non infériorité est acceptée si la limite supérieure de l’intervalle de confiance de la différence D est strictement inférieure à la limite supérieure de cette marge, ce qui est le cas dans l’exemple suivant:

 

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Le choix de cette marge est donc un préalable absolument fondamental. Plus la marge est importante, et plus l’essai a de chances d’être « positif » pour N, mais au prix d’accepter une différence cliniquement inacceptable entre N et R.

Le malheur est qu’il n’existe pas de moyen statistique univoque pour le faire. Ce sont des critères « cliniques », et les résultats des essais préalables qui permettent de l’estimer.

Il existe tout de même un « consensus » qui oriente ce choix : la marge doit être environ égale à 50% d’une valeur égale à 95% du risque absolu de la différence entre R et un placebo.

 

Par exemple, prenons l’essai ONTARGET qui compare le telmisartan et le ramipril chez des patients à haut risque cardio-vasculaire.

Le risque relatif du ramipril par rapport au placebo dans l’étude HOPE était de 0.775. Les auteurs de ONTARGET ont choisi le 40ème percentile de cette valeur, soit 0.794 « afin de mieux estimer » l’effet du ramipril. Cela donne une valeur du risque relatif de 1.26 (soit 26% d'augmentation du risque relatif). Les auteurs de ONTARGET ont donc choisi comme marge la valeur égale à 50% de ce risque, soit 1.13 (13%).

A posteriori, ONTARGET a permis d’observer le résultat suivant :

 

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Soit une différence maximale potentielle d’efficacité de 9% (borne supérieure de l’intervalle de confiance à 1.09).

 

Quoiqu’il en soit, malgré cela, les auteurs et les « leaders d’opinion » ont conclu que les deux traitements étaient identiques :

 

 

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(numéro d'avril 2008 de "Consensus Cardio News")

 

Mais vous comprenez maintenant pourquoi on ne peut pas conclure à une stricte équivalence d’un point de vue statistique, car on tolère toujours dans ces essais un certain degré de perte d’efficacité.

Par contre, les cliniciens ont bien voulu sacrifier un peu d’efficacité du ramipril (potentiellement jusqu’à 9%, donc) contre une meilleure tolérance clinique pour le telmisartan et conclure in fine en « l’équivalence » des deux produits

Mais quand on veut promouvoir un article ou un produit, vaut mieux ne pas s’embarrasser de telles subtilités qui pourraient faire réfléchir le lecteur-prescripteur.

 

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(même numéro d'avril 2008 de "Consensus Cardio News")

"Le telmisartan est aussi efficace (vrai si l'on accepte, justement la possibilité d'une perte  partielle d'efficacité...) et mieux toléré que le ramipril (peut-être vrai, mais la tolérance n'était ni un critère primaire, ni un critère secondaire de ONTARGET)". Evidemment, vu comme cela, le slogan devient alors beaucoup moins sexy...

 

J’ai pris ONTARGET comme premier exemple, car l’ensemble de la communauté scientifique le considère comme un « bon » essai de non-infériorité.

Maintenant, nous allons considérer une série de « mauvais » essais, la série des essais SPORTIF.

Le programme de recherche SPORTIF comparait l’efficacité de la warfarine, un antivitamine K, et le ximelagatran un inhibiteur de la thrombine dans la prévention des accidents thrombo-emboliques chez des patients en fibrillation auriculaire.

La warfarine étant le traitement de référence, le ximelagatran étant le traitement alors en cours d’évaluation. Ne le cherchez pas en pharmacie, ce traitement a été retiré du marché quelques années plus tard pour un problème de toxicité hépatique.

Ce superbe article dissèque en détail ce programme, et notamment critique sévèrement la méthodologie des essais de non-infériorité.

Les auteurs de SPORTIF sont partis d’un taux d’événements thrombo-emboliques annuels de 3.1% pour la warfarine et d’une marge de non infériorité de 2% pour la différence absolue.

Si les auteurs avaient appliqué la règle communément admise des 50% dont j’ai parlé plus haut, ils auraient dû prendre une marge de 1%.

1%, 2%, cela peut sembler peu. Mais nous raisonnons en terme de différence absolue.

Si l’on considère la différence relative tolérée par les auteurs, on obtient une marge qui est au maximum de 1.65, soit près de 65%.

Autrement dit, les concepteurs de ces essais ont estimé que le ximelagatran sera « équivalent » à la warfarine, même si cette dernière est 65% plus efficace.

Pourtant, ces essais ont été publiés dans des journaux prestigieux, le Lancet, le JACC et le JAMA.

La conclusion des auteurs de l’article publié dans le Lancet est d’ailleurs tout à fait claire :

 

 

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Et la subtilité du choix de la marge, qui n'en est pas une, a été « expédiée » en 2 lignes dans l’analyse statistique :

 

 

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A l’époque, les réactions ont été dithyrambiques, par exemple de la part d’un très grand nom de la cardiologie française (mondiale) le 02/04/03 :

 

« Session chair Dr Jean-Pierre L B*** (University Hospital of Besanon [sic], France) called these results a "major breakthrough" for patients with AF. "No titration, fixed dose, no control of blood coagulation is definitely a major success, a major breakthrough, and we are all eagerly awaiting the results of the SPORTIF V trial." » (source : theheart.org, voir dans les références)

 

Permettez moi cette aparté qui n'a strictement rien à voir avec le sujet, mais il est toujours très très drôle, bien qu’un peu facile et un peu cruel de rechercher sur le net les déclarations péremptoires faites à l’époque par nos grands leaders d’opinion sur telle ou telle molécule qui a fait quelques mois ou années après un flop médical retentissant.

Autre exemple du 19/03/2005, pris au hasard (même source, ici) :

 

« "Le message de RIO Europe qui recoupe celui de RIO NA est que la perte de poids se maintient, de même que la perte du tour de taille et les effets secondaires après une longue période sont pratiquement inexistants. Ils surviennent dans les premières semaines voire mois puis ils s'abaissent" a indiqué le Pr Jean-Pierre B*** à Heartwire (Centre Hospitalier Jean Minjoz, Besançon). ».

(Pour rappel, la dernière mise en garde du 05/08/08 de l’Afssaps concernant le Rimonabant.)

 

 

Mais je m’égare, revenons à nos moutons.

 

 

Par ailleurs, les auteurs de l’article du JACC estiment à 1.9% plutôt qu’à 3.1% le nombre d’évènements annuels sous warfarine selon des séries « historiques ». Ils accusent donc aussi les auteurs des essais SPORTIF d’avoir sous-estimé de près de 50% l’efficacité de la warfarine, afin, bien entendu de favoriser le ximelagatran.

Heureusement que la FDA a des experts en statistiques, car l'intervalle de 2% a quand même fait tiquer l'agence. Finalement, l'hépatotoxicité (à cette époque supposée) du ximelagatran et ces fameux 2% font faire retoquer la demande d'extension d'AMM du laboratoire concernant la fibrillation auriculaire. C'est cette même hépatotoxicité qui va finalement conduire au retrait définitif de ce produit le 13/02/2006.

 

Autrement dit, un médecin qui fait uniquement confiance à l’information parcellaire ne reprenant que la conclusion de l’article, une information généreusement apportée (pas donnée) par l’industrie pharmaceutique ou des leaders d’opinion n’a absolument aucune chance de pouvoir avoir une réflexion critique dessus.

Un médecin « lambda » qui a la volonté de lire l’article n’aura que peu de chance de mettre en cause la conclusion.

Seul un médecin avec une solide culture statistique et beaucoup de temps devant lui pourra critiquer cet article. Dans l’immense majorité des cas, ce médecin n’est pas prescripteur.

 

Je tire de tout cela deux conclusions et demi.

Primo, je jette à la poubelle de façon systématique tout article qui n’est pas de supériorité, tant leur analyse me semble complexe. Complexité à la hauteur des possibilités de bidouillage de la part des auteurs.

Secundo, il est très difficile d’être à la fois prescripteur et capable d’analyser les données scientifiques sur lesquelles, pourtant, se basent nos prescriptions.

Secundo et demi, je n’écoute jamais les leaders d’opinion.

 

 


 

Ajout du 25/08/08: merci à JPJ d'avoir relu mon texte et de m'avoir envoyé par mail ses corrections éclairées

 

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Références:

 

Vicaut E, Cucherat M. Essais de non-infériorité : quelques principes simples. Presse Med. 2007 Mar;36(3 Pt 2):531-5. Epub 2007

 

The ONTARGET Investigators. Telmisartan, Ramipril, or Both in Patients at High Risk for Vascular Events. N Engl J Med. 2008 Apr 10;358(15):1547-59

 

Kaul S, Diamond G, Weintraub W .. Trials and Tribulations of Non-InferiorityThe Ximelagatran Experience. Journal of the American College of Cardiology , Volume 46 , Issue 11 , Pages 1986 - 1995

 

Executive Steering Committee on behalf of the SPORTIF III Investigators. Stroke prevention with the oral direct thrombin inhibitor ximelagatran compared with warfarin in patients with non-valvular atrial fibrillation (SPORTIF III): randomised controlled trial. The Lancet, Volume 362, Issue 9397, 22 November 2003, Pages 1691-1698

 

Susan Jeffrey. SPORTIF III: Ximelagatran as effective as warfarin to prevent stroke in AF. theheart.org. [HeartWire > News]; Apr 2, 2003. Accessed at http://www.theheart.org/article/256561.do on Aug 24, 2008

 

 

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Pour aller plus loin sur les essais de non-infériorité :

 

 

Kleist P. Dix exigences aux études d’équivalence thérapeutique ou Pourquoi absence de preuve d’une différence ne signifie pas la même chose qu’équivalence. Forum Med Suisse 2006;6:814–819

 

Un éditorial trouvé dans la revue Minerva.

 

Mismetti P, Laporte S, Cucherat M. Les essais de non-infériorité. Médecine thérapeutique. Volume 13, Numéro 4, Juillet-Août 2007 (accès payant)

 

La lecture critique des essais cliniques par Michel Cucherat, un polycopié disponible ici (son sujet dépasse largement les essais de non-infériorité).

 

Pour les geeks fanatiques de ce type d’essais, une page permettant d’estimer le nombre de patients à inclure dans un essai de non infériorité en fonction de différents paramètres.

 

23/08/2008

ball trap

Parfois les familles sont très pénibles.

Le pire type me semble être les « obsessionnels-inquiets ».

Ils traquent l’ensemble du personnel sur des détails au début insignifiants, puis arrivent presque systématiquement à mettre le doigt sur une grosse lacune.

J’en arrive alors à me poser la question : est-ce que nous commettons ces erreurs sous la pression dans ces cas particuliers, ou est-ce que l’erreur est systématique au cours d’une prise en charge médicale ?

Dans ce dernier cas, soit l’erreur n’a eu aucune conséquence (le corps humain est très résistant) et personne ne s’en est rendu compte ou on l’a discrètement poussée sous le tapis. Soit l’erreur a eu des conséquences, mais que personne n’a pu/voulu relier à la catastrophe finale (les tapis des soignants sont très vastes et très épais).

J’hésite, je crois qu’il y a un peu des deux.

En général, les familles pénibles sont un facteur de mauvais pronostic pour les patients. Le plus cruel et ironique est qu’elles sont intimement persuadées du contraire.

En général, dans les ambiances délétères, je fais le gros dos, ne bouge pas, noircit le dossier et accélère la sortie du patient en faisant de grands sourires. En gros, je joue au mistigri, et je constate que je ne suis pas le seul à le faire.

Tout l’inverse de ce qu’il faut faire en médecine.

 

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17:58 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)

Le tatouage

La médecine est une synthèse unique de trois facteurs, la maladie, l’être humain, et l’interface entre les deux.

C’est une évidence, mais chaque jour j’en fais l’expérience.

 

Un jour je vais apprécier une maladie à la physiopathologie complexe, à l’évolution surprenante, aux signes cliniques «classiques », c’est à dire décrits il y a 200, 300 ans, voire plus par nos grands prédécesseurs.

 

Un autre jour, je vais admirer la ténacité d’un patient par rapport à une maladie grave, ou au contraire constater avec tristesse son effondrement physique ou psychique. Chaque patient est différent, et je défie quiconque de prévoir à l’avance l’évolution de cette interface être humain/maladie.

 

Enfin, last but not least, l’être humain tout court, celui qui a préexisté à la maladie. Souvent si dérisoire, mais aussi parfois si  grand, et surtout si inattendu.

 

Pour illustrer ce dernier facteur, une petite histoire.

C’est un monsieur d’origine algérienne, non kabyle, la soixantaine, vivant en France depuis l’indépendance. Il ne parle pas très bien français. Il est réservé, discret et quand il me salue, il met sa main droite au cœur, comme le font la plupart des personnes de sa génération.

Pour l’examiner, je le fais déshabiller. Et je découvre, oh surprise, un tatouage « fait maison » qui représente une femme aux cheveux mi longs, encadrant un visage à peine évoqué, de face et en buste. Rien de sexuel, la poitrine n’est même pas esquissée.

Je lui demande l’âge du tatouage, il date des années soixante.

Je lui demande qui il représente.

Je m’attendais à presque tout : sa mère, sa soeur, sa petite amie du moment, sa femme…..

"C’est Madame Kennedy"

Inattendu, pour le moins. Il me précise qu’il l’a fait faire l’année de l’assassinat de JFK.

J’ai préféré ne pas aller plus loin et respecter l’histoire de ce gentil monsieur (ce n'est pourtant pas l'envie qui me manquait...).

 

C’est pour cela que j’aime tant mon métier. Scientifique, juste ce qu’il faut et incroyablement humain.

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10:08 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)

21/08/2008

ACCP 2008

Les dernières recommandations concernant le traitement et la prévention de la maladie thromboembolique sont disponibles et partiellement en accès gratuit dans le numéro de juin de Chest.

Les précédentes dataient de 2004.

Je crois que mises bout à bout, ces recommandations 2008 font 900 pages ! C’est dire comme le sujet est touffu.

Heureusement, c’est très facile de s’y retrouver.

 

Je profite de l’occasion pour vous rappeler l’existence du wiki des recommandations médicales qui voit  passer pas mal de monde (2826 visites sur la page de garde, 824 sur la liste des recommandations disponibles et 357 pour la page cardiovasculaire), mais que personne ou presque ne vient compléter.

Le but n’est pas d’être exhaustif, au contraire, mais d’avoir un endroit facile d’accès où chacun puisse retrouver la recommandation qui lui semble la plus utile.

16:44 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)

20/08/2008

Est-ce que ça en vaut la peine?

C’est encore un article remarquable du NYT qui pose la question pour la vaccination anti HPV.

L’article compare les efforts commerciaux titanesques des laboratoires pharmaceutiques pour promouvoir leur vaccination « anti cancer du col » d’un côté, et les "bénéfices" réels escomptés de l’autre.

Je vous conseille vivement de le lire.

Pour les flemmards, trois petits extraits ci-dessous :

 

“The lightning-fast transition from newly minted vaccine to must-have injection in the United States and Europe represents a triumph of what the manufacturers call education and their critics call marketing.”

“Merck lobbied every opinion leader, women’s group, medical society, politicians, and went directly to the people — it created a sense of panic that says you have to have this vaccine now,”

“Health economists estimate that depending on how they are used, the two cervical cancer vaccines will cost society $30,000 to $70,000, or higher, for each year of life they save in developed countries”

Pour mettre en relief le dernier extrait, cette carte de l’incidence annuelle du cancer du col pour 100000 femmes. Les dégradés de vert représentent les pays les moins touchés, les jaunes et rouges, les plus touchés. 80% des cancers surviennent dans les pays « en voie de sous développement », ce n'est pourtant pas là-bas que l'effort de diffusion du vaccin est mené. Curieux. Je présume que les laboratoires vont commercialiser dans quelques années un vaccin à très bas coût pour apporter cette "avançée médicale" là où les gens en auraient le plus besoin, après avoir rentabilisé leurs investissements. Comme pour les traitements anti HIV et anti cancéreux, si vous voyez ce que je veux dire...

 

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Drug Makers’ Push Leads to Cancer Vaccines’ Fast Rise

By ELISABETH ROSENTHAL

Published: August 20, 2008

The New York Times

Drug makers call the rapid deployment of a vaccine against cervical cancer education, but their critics call it marketing.

 

09:55 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)

Une professionnelle de santé

45-50 ans environ, aide-soignante probablement depuis 15-20 ans à l’hôpital public. Elle aura bientôt sa médaille d'argent du travail.

Son ancienneté pour tout viatique intellectuel. Un aplomb de sergent-major, notamment avec les patients. Je suis certain que vous pouvez l'imaginer: tour à tour jouant les imbéciles ou les onctueuses avec la hiérarchie, et systématiquement les despotes avec les patients.

Ce matin j’écoute d’une oreille distraite ce qui se passe dans le secteur d’à côté où elle officie (nous partageons en ce moment les mêmes locaux).

Ce matin, elle a bloqué le terminal de lecture de la carte vitale en tapant plus de troix fois un code erroné. Comme si taper et retaper le même code faux le rendait bon à partir d’un certain nombre de fois.

Elle joue la mauvaise foi comme une symphonie, et exige des patients leur attestation de carte de sécu pour couvrir son ânerie. Bien sûr, ils ne l’ont pas. Préalablement, elle a disputé sa correspondante à la « hotline » informatique qui ne pouvait rien pour elle.

Un esprit de synthèse  et une implication dans son travail énormes, aussi.

Elle répond à un ouvrier qui cherchait une infirmière (on est en pleins travaux) qu’elles n’étaient pas encore arrivées. En fait, elles étaient dans la pièce d’à côté, et c’est l’une d’entre elle qui a fait l’ouverture ce matin.

Une sacrée professionnelle de santé qui fait honneur au credo trinitaire de l’hôpital public :

 

« C’est pas mon malade.

J’étais pas là hier, ch’suis pas au courant.

Marchez pas dans le mouillé siouplait ! »

09:03 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (7)

19/08/2008

Les globules.

Histoire vraie, horrible (et comme souvent désespérément comique) arrivée à un ami très proche, confrère cardiologue.

Une habitante de l'immeuble, la cinquantaine se sent très fatiguée et a de la fièvre.

Comme son généraliste est en vacances, elle lui demande, via son épouse, un bilan biologique.

Les résultats sont cataclysmiques : polynucléose hyperleucocytose avec 80% de blastes.

Le labo appelle mon ami, qui appelle le centre anti-cancéreux de la région.

Il demande à parler à un hématologue, tombe sur un médecin et lui raconte l’histoire.

« En effet, mais moi, je suis spécialisé dans les globules rouges. Donnez moi vos coordonnées, je vais demander au service d’à côté qui est spécialisé dans les blancs de vous rappeler ».

 

Quand je pense que je croyais qu’avec nos spécialistes de l’ablation de la fibrillation auriculaire, ou de P2 (quadrant médian de la petite valve mitrale) nous étions les plus hyperspécialisés….

19:29 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (7)

Masef Tov !

Je sais, le jeu de mots est vaseux, pardon aux hébraïsants (מזל טוב!‏).

 

C’était simplement pour faire découvrir à ceux qui ne connaissent pas la fabuleuse caverne d’Ali Baba médicale qu’est le MASEF, notamment sa page de « scores médicaux ».

 

Merci à Arthur de me l’avoir fait connaître (c’est le meilleur médecin généraliste que je connaisse, et avec qui j’ai l’immense chance de travailler).

18:37 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)

Seeding trials.

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J’ai découvert cette notion en lisant un article de Hill et al. dans « Annals of Internal Medicine », découvert grâce à cette note du blog santé du « Wall Street Journal».

L’article dissèque une pratique de l’industrie pharmaceutique qui consiste à organiser des essais thérapeutiques afin d’inciter les médecins inclus comme investigateurs à prescrire une nouvelle molécule, et secondairement à faire prescrire cette molécule à des confrères proches.

Ces « seeding trials » (de seed, semer) n’ont pas pour but de répondre à une question scientifique, ni de faire avancer la médecine, mais seulement à recruter des prescripteurs en leur offrant la possibilité prestigieuse entre toute de faire partie d’un grand essai clinique, et de pouvoir utiliser avant tout le monde une molécule nouvelle.

Le médecin, entraîné dans un essai rétribué, illuminé de prestige, croyant être impliqué dans l'avancée de son Art, alors qu'il n'en est rien, a en général une très haute considération pour la molécule étudiée. Il va donc la prescrire larga manu quand elle aura son AMM, et fera partager son expérience positive à ses amis confrères.

 

 

L’étude disséquée est ADVANTAGE, sortie en 2003. Le laboratoire a mis en route cette étude officiellement pour comparer la tolérance gastrique du Vioxx par rapport à un anti-inflammatoire classique. L'essai VIGOR avait déjà répondu en grande partie à cette question 3 ans auparavant, donc l'intérêt scientifique de ADVANTAGE était particulièrement discutable.

Kevin P Hill et son équipe ont participé aux procès fleuves du Vioxx aux Etats-Unis du côté de l’accusation. Ils ont eu donc accès à l’ensemble des pièces à conviction, rapports internes, mails, mémos (disponibles ici)

 

Les vrais auteurs de ADVANTAGE étaient des employés du laboratoire. Toutefois, pour rendre l’étude plus crédible et prestigieuse, ce dernier l’a proposé « clefs en main » à un universitaire américain, le Dr Jeffrey R Lisse qui en est le premier auteur.

Ce dernier n’a rien eu d’autre à faire qu’à signer en bas de l’article.

Comme il l’a déclaré au New York Times en 2005 (cité dans l’article de Hill et al.) :

 

« Merck designed the trial, paid for the trial, ran the trial. Merck came to me after the study was completed and said, "We want your help to work on the paper." The initial paper was written at Merck, and then it was sent to me for editing. »

 

Si ce concept d'écriture en sous main vous intéresse, je vous conseille la lecture de cet article.

 

Plus exactement, c’est le service commercial du laboratoire qui a mis au point cet essai « dans un temps record » (conception en janvier 1999, premier patient inclus en mars 1999).

Les auteurs de ce « coup » ont même été récompensés par un prix interne au laboratoire.

Le second paragraphe du texte de la nomination pour ce prix est assez lumineux : les généralistes prescrivent beaucoup et ils se sentiront particulièrement flattés de participer à un grand essai clinique (« susucre », si vous me permettez).

Ils n’y sont pas allés de main morte. Devinez combien de centres (avec autant d’investigateurs) pour colliger les données de 5557 patients ? 600 centres !

Dix patients par centre pour une population de patients pourtant très répandue …

 

Certains cadres du laboratoire s’inquiètent quand même des risques que font prendre ces essais « intellectuellement redondants », car ils pourraient fournir à la FDA des données qui pourraient ne pas aller dans le sens du laboratoire. Bien sûr, personne ne mentionne les risques qu'ils font courir aux patients inclus dans l'essai:

 

« [T]he reason we have resisted doing large marketing clinical studies is just this. It opens a lot of data to FDA that compromises the large clinically meaningful trials. Small marketing studies which are intellectually redundant are extremely dangerous and the PAC [Products Advisory Committee] system with the marketing emphasis in CDP [Clinical Development Program, a part of Merck's Marketing Division] on all their studies opens Pandora's box which we have urged against from the beginning of time. Their budget is now 179 million for CDP—as much as our phase 2/3 new chemical entities used to be. I have told [another Merck colleague] I think it is wasteful. »

 

En l’occurrence ce cadre a eu raison puisque ADVANTAGE a confirmé la majoration du risque cardiovasculaire du Vioxx mis en évidence dans l’essai VIGOR.

Les auteurs de ADVANTAGE ont pourtant « curieusement » omis cette majoration du risque dans leur papier, mais malheureusement pour eux, cela c’est vu.

 

Il me faudrait plusieurs notes pour décortiquer le travail de Hill et al, je vous conseille donc de vous faire votre propre idée, de le lire (il est en accès gratuit), de relire ADVANTAGE avec un autre œil, et de rester vigilant dans le choix de vos sources d’informations médicales.

 

 

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Harold C. Sox and Drummond Rennie. Seeding Trials: Just Say "No". Annals 2008 149: 279-280. (l’éditorial très virulent de l’article de Hill et al.)

 

Hill KP, Ross JS, Egilman DS, Krumholz HM. The ADVANTAGE seeding trial: a review of internal documents. Ann Intern Med. 2008;149:251-8

 

Jeffrey R. Lisse, Monica Perlman, Gunnar Johansson, James R. Shoemaker, Joy Schechtman, Carol S. Skalky, Mary E. Dixon, Adam B. Polis, Arthur J. Mollen, Gregory P. Geba, AND for the ADVANTAGE Study Group. Gastrointestinal Tolerability and Effectiveness of Rofecoxib versus Naproxen in the Treatment of Osteoarthritis: A Randomized, Controlled Trial. Annals 2003 139: 539-546.

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Modification du 21/08/08:Pour être complet et objectif, la réponse sous forme de lettre ouverte du laboratoire.

17:48 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)

Grains de sable.

Un jour, j’ai vu un homme en consultation, .

Il a été opéré d’une anomalie rare, toutefois sans être soulagé immédiatement des symptômes qui l’avaient amené à consulter.

Seule l’intervention d’un thérapeute non médical avait permis de l’améliorer, des années plus tard, alors qu’il avait perdu tout espoir. D’ailleurs, il avait consulté ce thérapeute pour tout autre chose.

Nous avons discuté de sa longue quête du mieux être.

Il a été surpris de voir que chaque spécialiste consulté (il en a vu une bonne demi-douzaine) croyait fermement avoir la solution à ses problèmes, notamment le dernier qui l’a opéré.

Il a été aussi surpris de la diversité des avis au sein d’une même spécialité.

Je lui ai alors raconté l’histoire des grains de sable que l’on laisse s’écouler de sa main serrée. Ils tombent en formant un petit tas en forme de cloche. C’est la base expérimentale de la loi normale de distribution, développée notamment par Gauss.

Chaque petit grain de sable est un patient.

Nous savons très bien soigner ceux du centre, très mal ceux de l’extrême périphérie, dont il fait partie.

C’est une grande loi médicale.

Il m’a alors dit que chaque spécialiste essayait de le ramener au centre, au milieu des autres.

Pas faux.

Les médecins, nourris de cartésianisme, admettent rarement de ne pas savoir, de ne pas pouvoir classer un patient. Nous aimerions tous que le tas soit pointu, et qu’il n’y ait que peu ou pas de grains isolés.

Je fais pareil, bien entendu.

Mais j’aime beaucoup m’imaginer (nous imaginer) essayant de ramener nos petits grains de sable au centre, et ceux-ci s’accrochant au terrain, là où ils sont, voire pire, à la tranche de notre paume.

16:49 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)