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24/08/2005
Les vieux.
Un couple vient de se séparer avec pertes et fracas à la clinique.
Madame, âgée de 73 ans, séjournant actuellement dans notre établissement a eu une violente dispute avec son mari cet après-midi. Il a claqué la porte en lui jetant au visage qu’il la quittait.
Au bout de combien d’années de vie commune ?
Cet épisode m’en a rappelé un autre, encore plus dramatique, quoique burlesque.
Je crois que j’étais externe au pavillon A (les urgences chirurgicales) de l’Hôpital Edouard Herriot quand les pompiers nous ont emmené un couple très, très âgé.
Et assez mal en point.
La femme, octogénaire avait tout l’avant bras droit lardé de longues et profondes blessures effilées. Certaines blessures allaient jusqu’à l’os, ce qui n’était pas étonnant, étant donné sa faible masse musculaire. Son mari, octo ou nonagénaire était rentré dans une rage folle, et avait voulu la défigurer avec son rasoir coupe-chou ancestral lui aussi. La pauvre femme n’avait pu que se protéger en interposant son bras. Elle s’était défendu en cassant une bouteille de bière sur la tête de son mari, qui était dans le box d’à côté pour trauma crânien. Pendant que le senior la suturait, je suis allé voir la bête fauve. Il était assis, l’air abattu, son menton reposant sur ses mains appuyées sur sa canne. Hormis les tâches de sang sur sa chemise, et son pantalon de velours, rien ne pouvait laisser penser qu’une telle fureur pouvait surgir de ce petit papi assagi.
La cause d’un tel déchaînement de violence ?
Il la soupçonnait de le tromper avec le boucher du quartier, lorsqu'elle allait acheter la viande.
*******************
Les vieux
Paroles et Musique: J. Brel/G. Jouannest 1964Les vieux ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux
Même riches ils sont pauvres, ils n'ont plus d'illusions et n'ont qu'un cœur pour deux
Chez eux ça sent le thym, le propre, la lavande et le verbe d'antan
Que l'on vive à Paris on vit tous en province quand on vit trop longtemps
Est-ce d'avoir trop ri que leur voix se lézarde quand ils parlent d'hier
Et d'avoir trop pleuré que des larmes encore leur perlent aux paupières
Et s'ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit : je vous attends
Les vieux ne rêvent plus, leurs livres s'ensommeillent, leurs pianos sont fermés
Le petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter
Les vieux ne bougent plus leurs gestes ont trop de rides leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit
Et s'ils sortent encore bras dessus bras dessous tout habillés de raide
C'est pour suivre au soleil l'enterrement d'un plus vieux, l'enterrement d'une plus laide
Et le temps d'un sanglot, oublier toute une heure la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, et puis qui les attend
Les vieux ne meurent pas, ils s'endorment un jour et dorment trop longtemps
Ils se tiennent par la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant
Et l'autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère
Cela n'importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer
Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin
Traverser le présent en s'excusant déjà de n'être pas plus loin
Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit : je t'attends
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend
Image trouvée ici.
19:48 Publié dans Mon passé | Lien permanent | Commentaires (2)
23/08/2005
Les personnes âgées sont-elles des patients comme les autres ?
Les personnes âgées sont-elles des patients comme les autres ?
Bien sûr, a-t-on envie de répondre.
Pas si simple que cela en fait.
Première question, qu’est-ce qu’une personne âgée ?
Dans nos pays développés, dans la plupart des études cliniques, on s’accorde à fixer la limite à 70-75 ans.
Mais à vrai dire, il n’existe pas de borne fixe.
Disons qu’à partir de 70-75 ans, le métabolisme est assez modifié pour avoir une influence notamment sur les effets des médicaments pris (ce que l’on pourrait appeler « pharmacogériatrie »).
Petit rappel, pour toujours avoir ceci en mémoire, la durée de vie moyenne actuelle en Tanzanie est de 45.24 ans.
Donc comment traiter les personnes âgées ?
Bien, quelle question, comme les autres, en suivant les études cliniques, et les recommandations des sociétés savantes !
Encore une fois, pas si simple que cela.
Primo, car les buts thérapeutiques ne sont pas les mêmes.
Chez la personne âgée, le but principal est d’assurer une qualité de vie optimale, vient ensuite seulement de la prolonger.
Il faut souvent faire un choix en cardio : instaurer des médicaments potentiellement dangereux, mais permettant de prolonger la vie (et aussi la qualité de vie, par exemple IEC et bêtabloquants dans l’insuffisance cardiaque), ou assurer un confort de vie en instaurant un traitement par diurétique simple, assez peu dangereux (qui peut aussi devenir délétère si l’on ne surveille pas !).
J’ai vu assez de syncopes traumatiques sous bêtabloquants, ou d’insuffisances rénales aiguës sous IEC chez des patients âgés, voire très âgés pour être très prudent sur leur prescription systématique.
Secundo, les études dont nous parlons, sont-elles adaptées à des personnes âgées ?
Et bien non, la plupart du temps, l’âge moyen des études est autour de 50-55 ans.
Par exemple, la population de « CHARM-preserved » (Lancet 2003), une étude menée spécifiquement sur une pathologie touchant des patients âgés et très âgés, est de …
67 ans.
C’est mieux que la plupart des études, mais encore loin de ce qui se passe dans la vie réelle.
Autre problème que celui de l’âge, celui des maladies associées, les fameuses « comorbidités ».
Beaucoup d’entre elles sont des critères d’exclusion pour des patients potentiellement « incluables » dans des études cliniques.
Ainsi, prenons « MERIT-HF » (Lancet 1999), une des études fondatrices dans le traitement de l’insuffisance cardiaque.
Seuls 13% d’une population de 20388 patients insuffisants cardiaques pris au hasard dans une immense base de donnée aux EU, et âgés de plus de 64 ans (âge moyen de 78 ans) correspondent aux critères d’inclusion de l’étude (FA Masoudi. Am Heart J 2003).
Autrement dit, cette étude, encore une fois fondatrice, ne concerne que 13% des patients insuffisants cardiaques, âgés de plus de 64 ans.
Enfin, vient le problème de la polymédicamentation des personnes âgées.
Le risque d’interaction augmente avec le nombre de médicaments pris par jour, et atteint 10% avec 6-10 molécules, et dépasse 50% avec plus de 16 (Sources CREDES et PAQUID)
Seize comprimés différents, c’est énorme me direz-vous.
Lisez l’ordonnance de votre grand-mère/grand-père et vous serez surpris.
J’ai ressorti et résumé ce cours, que je faisais l’an dernier aux médecin généralistes dans le cadre de la formation médicale continue à la suite de la parution d’un article dans le dernier JAMA (Boyd CM, Darer J, Boult C, et al. Clinical practice guidelines and quality of care for older patients with multiple comorbid diseases. JAMA 2005; 294:716-724.)
Les auteurs s’interrogent sur la validité de études cliniques, et des recommandations de pratique médicale chez les personnes âgées.
Ils donnent un exemple virtuel frappant.
Soit un homme de 79 ans ayant les pathologies suivantes, toutes de gravité modérée :
Ostéoporose, osteoarthrite, diabète de type 2, bronchite chronique, et HTA.
Selon les recommandations actuelles (aux Etats-Unis), il faudrait :
- Prendre 12 traitements différents, avec 19 prises médicamenteuses, réparties en 5 fois sur 24 heures.
- Il faudrait qu’il fasse un peu d’exercice avec des poids pour son ostéoporose, mais cela est interdit par ailleurs si son diabète est compliqué par une neuropathie périphérique.
Douze traitements différents, représentent environ 30% de risque d’interactions médicamenteuses significatives.
Plus on avance, plus c’est complexe de soigner les gens….
Comme d’habitude, l’étude du JAMA est citée ici.
10:00 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (2)
22/08/2005
Monsieur, Madame et leur chien.
Aujourd’hui, j’ai reçu un couple de patients très comme il faut, et leur chien.
Ils rentrent dans le cabinet avec un petit chien mâle à poils ras dont je n’arrive pas à identifier la race (ma mère n’a jamais eu comme chiens que des bergers allemands, et dernièrement un grand Schnauzer).
C’est inhabituel de faire rentrer un chien dans un cabinet médical, mais bon, j’ai déjà vu tellement de choses plus bizarres.
Le scanner se met en marche tout de suite, je les scrute du coin de l’oeil pendant que je m’installe à mon bureau : Monsieur est fatigué avec des vêtements chiffonnés,Madame est une blonde colorée bien pomponnée, différence d’âge importante (70 ans pour le monsieur, 45 pour la dame, 2-5 pour le chien), niveau socio-économique élevé (je pense que Madame n’est pas la première épouse de Monsieur).
«
- Qu’est ce qui vous arrive ? (question initiale rituelle, peut-être lointaine référence à la « Noiraude » de mon enfance).
Elle prend immédiatement la parole :
- Gérald (j’avais raison pour le niveau socio économique) a eu des douleurs à la poitrine toute la nuit.
Le monsieur fait un geste de compression de la poitrine.
(Une lampe rouge d’alarme s’allume dans le coin de mon cerveau : danger++++)
Elle poursuit :
- Nous avons fait des manœuvres de cohérence cardiaque durant environ 10 minutes…
- Ehhhh ??? (j’avoue que j’écoutais d’une oreille, encore inquiet de cette histoire d’oppression thoracique nocturne. J’ai même pensé qu’elle lui avait fait un massage cardiaque, mais qu’elle appelait ceci comme cela !).
- Des manœuvres de cohérence cardiaque…
- C’est quoi ?
- La cohérence cardiaque, dans le livre de David Servan-Schreiber.
- Oulààààà, d’accoooooord. Qu’est ce que vous avez fait comme métier? (à Monsieur)
- J’étais chef d’entreprise. (bingo)
- Et c’est la première fois que vous avez mal comme cela ?
- Oui, ça a été très brutal
Elle prend la parole.
- Voyez-vous, Gérald et moi avons eu beaucoup de soucis, nous venons de vendre notre propriété dans le Luberon. Les premiers acheteurs, anglais se sont désistés. Ce sont finalement des danois qui ont acheté.
- Je comprends parfaitement….
Le reste de l’interrogatoire est sans particularité, l’ECG ne montre pas ce que je craignais tant, un infarctus hors délai. Par contre à l’écho, je trouve une petite lame d’épanchement péricardique. En y regardant de plus près, l’ECG comporte un petit sous-décalage PQ (pathognomonique de la péricardite aiguë).
Bref, je suis un petit peu soulagé, je me détends.
J’explique la maladie et le traitement, et nous nous dirigeons vers la sortie, eux et moi soulagés.
Je regarde de plus près le chien, son pelage gris est cranté, cela donne la curieuse impression qu’il porte une carapace de Tatou.
«
- C’est très joli, ce crantage sur votre chien.
- Vous trouvez ? (la bouche ouverte, les yeux pétillants)
- C’est moi qui l’ai fait ; ça m’a pris, un jour.
- Vous avez mis combien de temps ?
- Que quelques minutes, mais vous allez voir, je l’ai aussi fait à Gérald ! (nooooon !!??)
Et elle me montre la tête grisonnante de Gérald, qui comporte en effet un discret mais indiscutable crantage.
- Mais vous crantez tous les mâles de votre entourage ! »
Elle glousse, en me tendant la main.
Gérald reste impavide.
21:40 Publié dans Des patients... | Lien permanent | Commentaires (2)