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13/02/2005

Waterloo, morne plaine

medium_waterloo_area_lge.jpgDemain, lundi, je vis mon Waterloo hebdomadaire, depuis le premier novembre 2004.
La scène est immuable :



«
- Bonjour Agathe (c’est le nom de la secrétaire du cabinet)
- Bonjour Lawrence (nous nous tutoyons)
- Combien de patients ?
- x (x étant un nombre entier compris entre 0 et 6)
- Bieeeen… (il faut garder la face), les rendez-vous sont à quelle heure ?
- 14h00, puis x autres heures séparées souvent de 45 à 50 minutes.
il n’y a déjà personne qui vient me voir, alors je ne suis pas en mesure d’imposer un horaire quelconque - donc je passe une après-midi pour voir x patients -
- Parfaiiiiit… (id.) »


Je lis alors mon courrier (publicitaire en majorité) dans la salle de consultation, mélange improbable entre un mobilier des années 70 (mes 2 associés ont la cinquantaine), et une pièce à hauts plafonds blancs sales d’un hôtel particulier du XIXème.
Le magnifique parquet, fait de lambris de 3 à 4 teintes de bois cohabite avec une tapisserie années 70 de couleur indéterminée (marron, brunâtre…).
X et Y n’ont fait aucun travaux, ni acquisition depuis un temps immémorial (un musée s’est même montré intéressé par notre appareil d’échographie, un superbe Vingmed 750), car nous devons emménager dans des locaux neufs vers mai 2006.
La semaine dernière, en dictant un courrier, mon fessier est passé à travers une chaise en plastique transparent, elle aussi très facilement datable.
Agathe est adorable, elle ne sait ni taper, ni coter les rares actes que j’effectue, ni enregistrer/comprendre d’éventuels messages (patients, labo. d’analyses médicales), n’est pas très diplomate au téléphone, et elle n’a absolument aucune notion en médecine.
Je vois tellement peu de patients, que lorsqu’elle répond au téléphone, même au cours de ma demi-journée, elle lance un monocorde « Cabinet de cardiologie des docteurs Y et Z ».
Y et Z étant mes eux associés.
Mais elle a une qualité immense, qui l’a fait choisir par mes associés : elle n’a aucun charme.
L’antépénultième secrétaire était parfaite, mais elle est devenue la maîtresse d’un des cardiologues du cabinet (ils étaient 4, avant ma venue).
Ce dernier, est revenu après six mois de batifolage auprès de sa femme, qui a exigé, telle une Salomé bafouée, la tête de l’infortunée secrétaire.
Les trois autres ont refusé, et l’association a volé en éclat.

La dernière secrétaire était elle aussi parfaite, mais trop chère.
L’avant avant dernière, parfaite elle aussi, est devenue la deuxième femme de Y.

Ma situation actuelle serait risible si je n’avais pas à payer une partie du loyer (loyer du local+secrétaire+frais), qui dépasse largement ce que je gagne en libéral.
Bien évidemment, c’est normal de ne pas avoir de patients au début.

Première morale de l’histoire : avoir une activité salariée ou prendre beaucoup de gardes (je fais les deux) pour pouvoir garder la tête hors de l’eau pendant les premiers mois d’activité libérale. Donc prévoir sa sortie de l’hôpital longtemps avant (heureusement je l’avais fait, ouuuuf…)

Deuxième morale : il est très difficile de trouver une bonne secrétaire de nos jours…

Troisième morale : bien choisir ses associés et bien analyser la situation avant de signer (mais, malgré ces petits détails, leurs qualités excèdent largement leurs défauts).

PS:
Ne sortez pas vos chéques, je vis bien, et j'arrive à nourrir ma petite famille sans problème de fin de mois! (mais j'aime bien me plaindre, d'ou le nom de la catégorie)

16:07 Publié dans Caliméro | Lien permanent | Commentaires (0)

12/02/2005

Le chirurgien hongrois

medium_s528178a.jpgCe matin, j’ai pris le temps d’écouter le grand patient chauve, aux sourcils broussailleux, que j’ai évoqué hier dans « fa-ti-gué ».

Il a 68 ans et un cœur en effet bien fatigué.
Il faut dire qu’il l’a beaucoup utilisé.

Fils d’une famille hongroise modeste, absolument non médicale (père musicien, grand-père mécanicien et ébéniste), il tente de rentrer en fac de médecine en 1956 (l’année de l’invasion par le pacte de Varsovie).
« Idées pas assez communistes », il est recalé.
Il s’échappe de son pays en traversant la frontière avec d’autres qui fuient devant les chars soviétiques.
Il débarque à Strasbourg, dans un pays qui a tant fait rêvé sa génération, pays de cocagne et de liberté.
Il ne parle que russe et hongrois, et travaille comme manœuvre avec des ouvriers polonais.
Il s’inscrit à la fac en 1957, et passe le PCB (ancêtre de notre PCEM1) après avoir appris le français (R.E.S.P.E.C.T….), et obtenu une bourse d’études (« une seule condition, passer et réussir les examens chaque année »)
Il passe sa thèse en 1969, et il s’oriente vers la chirurgie.
Toutefois, il n’obtiendra jamais de reconnaissance officielle de son statut de chirurgien, et il est obligé de partir en Afrique pour exercer.
Il fait de la coopération, puis entre chez « Médecins du Monde » en 1987, puis part en Afghanistan, en pleine guerre contre les russes. Il travaille dans un bloc de fortune, au beau milieu des montagnes et des bombardements.
Il semble avoir pris du plaisir à voir les russes prendre une raclée (je veux bien le croire !).
Il rédige un journal intime (belle mise en abyme…), et pour ne pas être lu, il écrit en partie en latin.
Là encore, respect, car malgré mes 6 ans de latin, je suis bien incapable de formuler une quelconque phrase qui ne soit pas dans les pages roses du Larousse (ne te lève pas de ton siège, tout excité, jeune padawan, ces pages ne recèlent que des locutions latines et grecques -nooon, rassied toi encore, « locution grecque » n’est pas une pratique sexuelle exotique-).

C’est le genre d’homme qui me réconcilie avec l’humanité (au moins jusqu’au prochain 4x4 Cayenne que je verrai garé sur un emplacement réservé aux handicapés).

PS:
En tapant "chirurgien hongrois" dans Google (le nouveau Dieu: il sait tout, peut tout, est partout), j'ai retrouvé un autre chirurgien hongrois, quasi inconnu du grand public, mais qui a sauvé des millions de vies, Ignaz Philipp Semmelweis (1818-1865).
Il a décrit, contre vents et marées à l'époque, les premières mesures d'hygiène qui ont permis de lutter contre les affections puerpérales (en fait des septicémies) qui fauchaient des millions de femmes depuis le premier accouchement.
L'an dernier, j'ai vu en consultation à l'hôpital une de ses descendantes, une demoiselle Semmelweis pour une consultation pré opératoire en gynécologie.
J'étais tellement stupéfait de ma découverte, que je l'ai félicitée d'avoir eu un ancêtre aussi exceptionnel (elle a du me prendre pour un illuminé).
J'ai téléphoné à la copine anesthésiste qui me l'avait adressée pour lui parler de son cas.
Elle n'avait pas fait le rapprochement avec le grand homme; pourtant sa thèse portait sur les complications du péri-partum, et elle citait même son travail…
Bien évidemment, je me suis ignominieusement et abondamment foutu de sa figure

Comment peut-on être Persan ?

medium_l1020455.jpgJ’ai découvert hier un autre excellent blog de psy, celui de Shayalone.
Une note m’a intrigué, celle du 28/11/2004, « Réponse à Otopsie ».
Otopsie demande comment on peut-être homosexuelle, psychiatre, et pouvoir accompagner des enfants dans leur développement sexuel.

Je ne répondrais pas, car Shayalone l’a fait parfaitement.

Sa réponse m'a beaucoup intéressé, car moi aussi, j’aime les femmes.
Et dans le cas ou j’aurais une fille (ce qui n’est pas improbable, même si pour l’instant seul mon « Y » est sorti), je voulais savoir comment accompagner son développement sexuel sans la perturber (appelons un chat un chat, la rendre lesbienne…) ?

PS:
J’ai peut-être trouvé une explication uniciste à l'homosexualité féminine et masculine (voire à l’homosexualité tout court).
Homosexuel(les), c’est tout simplement que vos parents ont couché ensemble.
Je m’explique.
Une fille s’éveille à la sexualité, en partie grâce à l’influence éducative de son père qui aime les femmes ; un garçon, grâce à celle de sa mère, qui aime les hommes.
C’est tellement simple, que personne n’y avait pensé avant.
La preuve que cette théorie tient la route : sans parents couchant ensemble, pas d’enfants homosexuel(les).
Et les hétérosexuels ?
Une variation anatomique un peu fréquente….

(Euuuuh, je vais le récupérer où mon Nobel ??)

15:40 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (4)

11/02/2005

Fa-ti-gué

Je n'ai insulté personne,
je suis resté calme,
je n'ai pas fait de gaffe (ou presque…)

(la dernière en date : à une patiente en rémission d’un lymphome depuis 2002, qui a thrombosé son port-a-cath, puis fait une embolie pulmonaire très sévère, et qui se demandait pourquoi elle n’avait pas demandé à son cancérologue de l’enlever avant :
« - Maaaaais nooooon, ne regrettez pas, la plupart du temps, quand on enlève un port-a-cath, il faut le reposer quelques mois après…. ».
Vite, vite, une pelle et une pioche pour m’enterrer très profond…)


Quelques visages surnagent de cette journée :

- Un ancien légionnaire allemand, à qui j’ai expliqué le trajet de ses pontages aorto-coronariens (circonflexe kaputtt….).
- Un ancien jour de foot, devenu mathématicien (à qui j’avais préalablement dit que les joueurs de foot avaient le QI d’un haricot…).
- un chirurgien hongrois retraité qui a consacré 2 années de sa vie à sauver des vies en Afghanistan, lors de la guerre contre les russes (il FAUT que j’aille discuter avec lui)
- un marseillais typique, insupportable (pléonasme ?).
- une des secrétaires de la clinique qui est unilatéralement amoureuse de moi, et qui n’est pas très discrète…
- un kiné de la clinique, à l’air abattu, qui se sait porteur d’un cancer du colon depuis 48 heures.
- un confrère juif, fils d’une patiente, avec qui j’ai constaté la montée de l’antisémitisme (une surveillante a un jour reproduit un conflit israélo-palestinien en miniature en couchant dans la même chambre un juif et un arabe (pourtant tous les deux nés en Tunisie): 2 heures de pourparlers, car chacun voulait expulser l’autre de SA chambre…. ).
- et surtout une gentille patiente de 78 ans que j’avais convaincue de se faire opérer du cœur fin janvier. L’intervention a été un fiasco (nécessité probable d’une deuxième intervention, nécessairement plus risquée…). Bref, je culpabilise, j’explique tout à la patiente et à sa famille. Je me rends alors compte du nom de la bestiole qui a failli l’emporter sur le compte rendu d’hospitalisation : Streptococcus lugdunensis (Lugdunum est le nom latin de ma bonne ville de Lyon).

Je suis donc un Cardiologus lugdunensis.

22:50 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)

Sortie de garde

medium_grumble.jpgLe Dr. Passmore va être grognon aujourd’hui, qu’on se le dise…
2 h de sommeil cette nuit en réa chir cardiaque.
Ensuite j’enchaîne jusqu’à 20h dans une clinique de rééducation cardio-vasculaire.
C’est un choix de vie, mais laissez moi être grognon.
Mis à part le manque de sommeil, la nuit de chasse a plutôt été bonne : un choc métabolique (7.10 de pH, 10 de bicar) sur une chirurgie vasculaire qui a mal tourné, et deux échographies de dissections aortiques (deux femmes de 50-60 ans)..
La nuit, je suis moins cardiologue, et plus réanimateur (petit réanimateur, car le post opératoire n’est pas la réa polyvalente).
J’aime bien changer de costume, cela permet de rester humble quand on pratique une spécialité à temps partiel, et qui n’est pas la sienne.
Par ailleurs, l’absence de réflexe oblige à la réflexion.
Cela peut paraître un peu dangereux pour le patient, mais à mon avis, pas tant que cela.
En effet, une longue pratique permet d’avoir des réflexes conditionnés, salvateurs en cas de décision rapide à prendre; mais la tentation est alors grande de supprimer toute réflexion de l’acte médical (c’est en général une tendance humaine de déconnecter le cerveau à la moindre occasion, on le vérifie tous les jours…). C’est là que le médecin redevient dangereux.
C'est pour çà que je ne prends plus de garde en cardiologie
7h15.
Je suis relativement en forme, et surtout je n'ai pas commis l'erreur fatale d'essayer de me rendormir entre 5h00 et 8h00. Ces trois heures de sommeil se payent d'un état comateux irrémédiable durant tout le reste de la journée.
7h25, 35 minutes avant la relève,déjà 1 café et un double expresso dans le ventre….
Attention, médecin grognon….

07:31 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (2)

10/02/2005

Conflits d'intérêts

Depuis quelques mois, chaque auteur d'article scientifique médical est tenu de déclarer à la fin de sa publication si il a déjà reçu de l’argent de l’industrie pharmaceutique (voire si il est sous contrat –consultant ou autre-), et par qui a été payée l’étude.

Un premier bilan s’impose : presque tous sont salariés de ces firmes, et presque toutes les études sont financées en partie, ou totalement par ces dernières.

Est-ce bien ?

Oui, car si l’industrie pharmaceutique ne finançait pas la recherche, nous en serions toujours aux sangsues, et aux ventouses.
Non, car le risque de corruption des résultats (et de corruption tout court) est bien évidemment non négligeable. Par ailleurs, les firmes ne vont financer que des recherches potentiellement rentables

Un exemple ?

En 1966, Sodi-Palares un médecin mexicain remarque que si l’on perfuse une solution de glucose+insuline+potassium (« GIK ») à des patients en infarctus du myocarde aigu, la durée de l’infarctus diminue.
Vous imaginez le prix de revient minime du litre de cette solution.
Puis arrivent les premiers thrombolytiques, qui débouchent les coronaires.
Prix de revient : 750-1500€ l’ampoule de streptokinase (bien entendu, inaccessible pour le Mexique, et les autres pays du Tiers Monde).
Evidemment l’industrie finance des études, qui montrent en quelques mois l’intérêt de ces molécules (intérêt immense, un vraie révolution pour une maladie qui avait 50% de mortalité hospitalière à l’époque, contre 5% maintenant).Curieusement (…), Sodi-Palares ne trouve personne pour financer ses recherches.

Le temps passe, les thrombolytiques sont remplacés par l’angioplastie simple, puis les stents, qui deviennent actifs depuis peu (environ 2200-2300€ par stent)
Les thrombolytiques sont toujours utilisés par les pays du Tiers Monde (Brésil, Mexique.., pas trop pauvres quand même), et certains hôpitaux périphériques en France (Eh oui, quand ils sont trop éloignés d’une table de coronarographie, vaut mieux un thrombolytique que rien du tout…).
Cette année, après 39 ans, est sortie la première étude valable sur le GIK (The CREATE-ECLA trial. JAMA. 2005 Jan 26;293(4):437-46.)
Plusieurs pays en voie de développement (belle hypocrisie…) ont regroupé leurs fonds publics pour la financer.
Alors ?....
Malheureusement pour les rêveurs et idéalistes qui auraient aimé une fin heureuse pour cette lutte inégale, le GIK ne marche pas.

L’auteur déclare être sous contrat avec la branche diagnostique des laboratoires Roche (Roche Diagnostics France, Meylan),
avoir voyagé tous frais payés grâce à l'industrie (Monaco, Paris, Prague, Oslo, Calvi (mon meilleur souvenir), Barcelone,- j'ai loupé la Martinique en décembre....-, bientôt Cagliari, jamais en dessous d'un ****),
avoir mangé des centaines de fois à l'oeil,
avoir reçu des centaines de stylos, règles ECG, pointeurs laser, kits manucure, serviettes en toile, blocs-notes, clés USB, savon liquide, portefeuille en cuir, presses papier, portes-clef, agendas, lampe de bureau type "banker", échantillons pharmaceutiques...,
mais il déclare n'avoir jamais couché avec une visiteuse médicale (il ne faut pas exagérer, restons éthiques).

09/02/2005

Le singe nu

Deux histoires drôles et vraies pour terminer la journée.

Je retrouve un soir Sylvie, mon interne et les infirmières hilares.
Elle avait reçu un patient dont la langue maternelle n'était, de toute évidence, pas le français, et par malheur il était quasi aphasique à la suite d'un accident vasculaire cérébral.
Ma consciencieuse Sylvie va l'examiner, et à bout, après 15 minutes d'un interrogatoire et d'un examen neuro à sens unique, elle termine ce dernier par la phrase définitive:
"MONSIEUR, B-O-U-G-E-Z les quatre mains"

Une autre, toujours de Sylvie:
Je buvais le café, avec deux autres médecins hommes, et Sylvie.
Nous parlions de choses et d'autres (surtout d'autres....)
Sylvie, dans le feu de la conversation nous assène un:
"De toute façon, c’est facile pour vous (sous entendu les médecins mâles), même quand on n’a pas le physique de Robert Redford, habillé d’une blouse blanche, vous pouvez coucher avec toutes les infirmières que vous voulez…. »

C’est tellement vrai, que nous vivons tous les trois avec une infirmière.
Nous avons éclaté de rire, et nous avons hué la pauvre Sylvie qui ne savait ou se mettre.

23:30 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)

Vulnerant omnes, ultima necat.

medium_ambassad.gifLa mort est omniprésente en médecine, singuliérement en cardiologie ou elle frappe comme l'éclair ("la mort subite"), ou elle envahit le corps et l'esprit à petit feu (les insuffisances cardiaques terminales).

J'ai assisté aux deux, des centaines de fois.

J'ai acquis avec le temps une capacité d'abstraction, qui permet de me protéger contre de telles épreuves (comme beaucoup de médecins). La difficulté est de pas tomber de Charybde en Sylla, entre l'indifférence voire le cynisme, et l'hypersensibilité.

Chaque situation est différente, il est impossible de se donner une ligne de conduite claire.
Une constante, peut-être (en tout cas pour moi), liée à la législation actuelle et à la préservation des familles: ne jamais parler d'euthanasie, ne jamais demander ce que la famille souhaite que l'on fasse.

Primo car cette pratique est toujours illégale.
Je ne sais même pas si il faudrait la légaliser, "institutionnaliser" une situation toujours extrême, et toujours différente. Comment enfermer dans une loi une situation aussi protéiforme, et aussi "fondamentale"?
L'hypocrisie qui règne dans mon milieu me choquait, on ne parle jamais de ce sujet, tout est fait en catimini (ou parfois, pire, rien n'est fait...). En vieillissant, je trouve moins choquant ce voile pudique, à condition que chacun assume de prendre une décision, quand elle est nécessaire.

Secundo, car on ne peut pas se défaire systématiquement d'un tel fardeau en laissant prendre la décision à une famille souvent désespérée, et privée de tout repère médical. Je n'infantilise pas les proches, mais j'espère leur éviter de prendre une décision qu'ils pourraient regretter plus tard. Enfin, certaines situations cliniques sont si complexes et d'issue si incertaine, que même un médecin chevronné peut être désemparé.
Heureusement que la question d'une euthanasie ne s'est, pour l'instant, que rarement posée à ma conscience.

En fait, une fois seulement de manière aiguë.

J'étais de garde un soir, et une infirmière m'appelle du service d'ORL: un de ses patients s'étouffe, et elle pense que c'est cardiaque.
Sur place, je vois qu'il n'a rien de cardiaque.
Ce patient de 70-75 ans avait un cancer du larynx qui envahissait peut-être la trachée. Pour le savoir, on lui avait fait avaler de la baryte pour observer son trajet sous scopie. Il y avait en effet une fistule...
Peu de temps après son retour dans le service, il s'étouffait.
Sa femme, du même âge dormait dans un lit de camp dans sa chambre. Evidemment elle était affolée, et suppliait de lui dire qu'il allait s'en tirer.
Pronostic terrible à court terme, mort horrible par étouffement, cul de sac d'une éventuelle ventilation mécanique, femme aimante et désespérée.
Que faire....
Je l'ai récupéré en cardio, et j'ai expliqué à sa femme que c'était la fin.
Après avoir parlé aux infirmières, et demandé leur avis, j'ai préparé une perfusion que je lui ai installée (je ne voulais pas qu'elles le fasse).
Il s'est arrêté de respirer quelques minutes après, dans les bras de sa femme.
Le plus difficile n'est pas de prendre la décision, mais de la prendre seul, d'ou l'importance d'en parler avec une équipe infirmière en qui l'on a confiance (et vice versa).

J'ai passé un mauvais moment car techniquement, et dans l'absolu, j'ai tué ce patient.
Ce qui est la pire des chose pour un être humain, est encore au delà pour un médecin.
Mais je pense que ce patient, que je n'ai jamais connu, méritait, comme nous tous, une mort humaine et digne.
Le plus difficile est toujours pour ceux qui restent.

23:00 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)

Les marchands du Temple

Je suis une professionnelle.
J'ai été formée pendant 1 an de manière intensive, et j'ai mon bac.
Mais j'ai quelque chose de plus que toutes les autres, un instinct carnassier sans faille.
J'ai explosé tous mes objectifs le mois dernier, mais je peux encore faire mieux.

Putain d'ascenseurs, encore en panne.
Je suis parfaite ce matin, petit ensemble en cuir noir, à la fois sage et un peu coquin, petit chemisier rouge qui laisse entr’apercevoir ma poitrine. Si je ne tirais pas cette satanée petite valise Delsey à roulettes, qui dépareille mon ensemble, je crois que je me désirerais.
En plus, elle pèse son poids; je la déteste.
Qu'est ce qu'il a ce type avec son trou dans le cou?
Il a un regard vitreux, beurk, il me regarde...
Je le déteste.
Qu'est-ce que je fais dans cet ascenseur avec tous ces vieux glaireux....
Ouf, il sort avant moi.
Enfin, mon terrain de chasse.
C'est ma première visite depuis le changement.
Je déteste ces changements.
Je suis la meilleure.
Couloir à droite, deux fois, petit regard sur la gauche à travers la baie vitrée du secrétariat.
Que du bleu, et du rouge. Il est encore trop tôt, ils n'y sont pas encore.
Je le sais, je suis une professionnelle.
Je laisse les ascenseurs à droite, je prends à gauche.
Petit coup d'oeil circulaire.
Je cherche mon coin favori, trois chaises en bois au verni fendillé, fixées sur une barre métallique.
Elles sont parfaites pour l'affût, en peu en retrait, avec une vue imprenable sur le hall où se jettent 4 ascenseurs (dont 3.5 sont toujours en panne), et surtout qui est le point de convergence de 3 couloirs.
Un noeud de communication, aurait dit mon ex., qui avait fait des études.
Je suis une professionnelle.
Merde, un groupe de gitans squatte mon territoire de chasse.
Je les déteste.
Les hommes fument, les grosses femmes ne font rien pour contrôler leurs marmots qui piaillent et courent de partout.
Je croyais que le silence était de règle ici.
Je les déteste.
Plan B (Je suis une professionnelle...)
Couloir à gauche.
Petit regard circulaire.
Un groupe de tâches blanches à droite, à 15 mètres.
Je retiens mon souffle.
Je suis prête à bondir, mais déjà j'enregistre des informations utiles: jeunes, l'air insouciant, jeans troués/blanchis, nombreux (5-6), bruyants, stéthoscopes dans la poche.
Pas intéressants, je leur balancerai quelques règles ECG plus tard, une fois ma proie capturée
Je prends le couloir de gauche.
Je le traverse avec toute la grâce dont je suis capable.
Des râles, des appels, des toux, des crachats, des pets.
Quelle horreur.
Mais il faut en passer par là
Je suis une professionnelle.
Une naine, mal mise, la cinquantaine, dans une tenue blanche (BLANC, mais c'est un faux ami, dont il faut se méfier), encore trop grande pour elle, deux dents de devant pointant comme un soc de charrue (je sais ce que c’est, mes grands parents étaient agriculteurs).
Je la connais, je la déteste.
Mais elle peut m'être utile.

"- Bonjour (sourire éclatant), vous savez ou il est ?
- Qui ça? (petit sourire agriculteur malveillant)
Elle est conne ou quoi?
- Ben...
- il doit être dans la pièce à côté...., vous n’avez pas des stylos ?
- Pas sur moi, je les ai laissés dans la voiture....
- ... (sourire bovin crispé)"

Je passe à côté.
medium_l1020458.jpgTenue blanche, fille (dommage...), jean mais ni bleu ni blanchi.
Doute...

"- Bonjour (sourire éclatant), vous êtes interne?
- Euhhh, j'ai pas le temps...
- Nous ne nous sommes jamais vues?
- Je viens d'une autre ville, je suis un peu pressée ce matin, c'est mon premier jour (moue crispée)
Salope, mais je t'aurais quand même
- 30 secondes, un produit nouveau, r-é-v-o-l-u-t-i-o-n-n-a-i-r-e.
Regard résigné
- alors vite...
Je suis une professionnelle.
Vite dans la Delsey, le prospectus avec plein de courbes dedans (il faudra quand même que je demande un jour ce qu'est "un petit p...")
- STANTOR 0.4 mg, nouvelle statine microdosée, biodisponibilité optimale car sous forme de S-énantiomère (euhhh.... pourvu qu'elle ne demande pas ce que c'est, vite, vite passons....), moins 40% de LDL-cholestérol en trois mois.
- c'est bien
Elle remonte dans mon estime, elle aura peut-être un petit stylo, à la fin.
- mais combien de réduction de morbi-mortalité, à combien est le p ??
Merde, une intellectuelle.
Plan B.
Je suis une professionnelle.
- Dans ce tableau, vous voyez que 0.4mg de STANTOR font mieux baisser le LDL que 20 mg de TEHOR, ou 60 mg d'ALISOR...
Ca ne veut rien dire, mais ça produit toujours son effet.
- Uhmmm, c’est bien, et la morbi-mortalité?
- Moins de LDL, égal moins de morbi-mortalité (tout le monde le sait, même mon concierge...), et STANTOR, première statine microdosée (0.4 mg) est la meilleure pour faire baisser le LDL.
- Intéressant...
Ben voyons, je suis une professionnelle.
- Si vous voulez manger un morceau à midi, je peux vous inviter avec vos co-internes, entre jeunes cardiologues prometteurs (sourire éclatant), nous ne le dirons pas aux chefs (petit sourire de connivence, surtout, je suis un peu juste sur le budget ce mois çi, je prévoie même les fins de mois, je suis une professionnelle ).
Elle fait un grand sourire, c'est gagné
- Uhmmm, c'est mon premier jour d'assistanat aujourd'hui, si vous voulez inviter les internes, ils sont à l'office au café. Au revoir...."

Je suis une conne.

07/02/2005

Caroline (la rose et le réséda)

J'ai relu ma note d'hier sur Delphine et, je me suis revu la haïr ce fameux 8 décembre.
La note décrit assez exactement mon sentiment d'exaspération.
J'ai passé de merveilleux (trops brefs) moments à ses côtés, noyés dans un océan de frustration. Pas seulement physique (un petit peu tout de même), mais aussi sentimentale; j'étais persuadé qu'elle représentait ce que j'avais tant attendu.
A distance, je renie donc le terme de "s...", que j'ai tant pensé à cette époque.

Caroline était diamétralement opposée, comme Nouméa et Saint Pétersbourg.
Nous avons roulé notre bosse ensemble entre septembre 90 (rentrée première P1) et le 31 juillet 1998, date de sa dernière lettre.
Elle était donc très différente: petite, boulotte, les cheveux châtains clairs, de petites lunettes ovales, et autant de grâce qu'un percheron (la comparaison est un peu brutale, mais assez vraie, et pleine d'affection de ma part -voir Malvil de Robert Merle-).

Septembre 90, je me retrouve noyé dans le chaudron du mythique "amphi Hermann" (qui n'a rien à envier à Geoffroy Guichard un soir de derby Lyon-St Etienne) après trois ans dans un lycée trés catho-bon-chic-bon-genre-j'appartiens-à-une-élite surprotégé (s'embrasser en public était passible d'exclusion temporaire...).
Je fais la connaissance de deux autres bizuths perdus qui se sont fait plâtrer ensemble lors du bizutage: Caroline et Frédéric.
Nous décidons de travailler ensemble, après quelques tergiversations (je courrais alors un autre lièvre, encore une fois...).
Ils sont cathos tous les deux (uhmmm, çà commence mal...), lui est bon-chic-bon-genre, mais trés sympa (sa vie a été illuminée par un contact direct avec JPII lors d'un voyage pontifical en Savoie....).
Nous travaillons alors comme des fous, avec tous les petits hauts, et petits bas d'une année de concours.
Nous nous soutenons mutuellement, et comme au sein de tous les groupes de trois personnes, je tente de ne pas être isolé par ma différence: mon irrévocable athéisme (par de piètres petites manoeuvres bien indignes du "Le Prince" de Machiavel, que je lisais à cette époque là)
En fait, curieusement, c'est Frédéric qui a été "isolé", peut-être du fait d'une certaine rigidité de pensée (Caroline était plutôt du genre catho "bonhomme", genre Frère Tuck).
Nous étions toujours inséparables, mais un clivage s'était formé.
Nous avons tous les trois repiqué la P1.
Au bout de la deuxième P1, Frédéric s'est un peu "désuni" avec une joli brune nommée Sophie, et il a planté son concours.
Caroline et moi avions donc atteint le "Graal", devant lequel nous bavions depuis 2 ans: pouvoir consulter le tableau d'affichage des P2, afin de s'informer sur la date des choix de stages (l'extase). Ce tableau est situé à 2m50 de celui des P1, mais nous avions mis deux ans pour franchir cette distance, et le pauvre Frédéric n'y était pas parvenu.
Les années se sont alors succédées, avec pour rythme les deux partiels -février et juin- (Cf l'excellente note de Mélie:l'éponge).
Nous étions inséparables à la fac, aux sorties piscine du jeudi.....
J'ai commencé à la voir différemment, en un mot, à l'aimer.
Toute ma culture biblique provient de ces après-midis de révision, ou elle me racontait tel ou tel passage (mon histoire préférée: Joseph et ses frères)
J'ai mis deux ans pour le lui dire (mais je lui ai dit, pas comme pour Delphine, Cf. infra:yeah, I did it!).

Un après-midi de révisions (pour paraphraser une pub Lacoste: "on est toujours avant ou aprés une partielle en médecine"), nous faisions une petite sieste sur mon lit (c'était rituel, toutes les 2-3 heures, et totalement asexué):

"- dis moi...
- oui... (il faisait chaud dans la pièce, ou c'était moi...)
- comment envisages-tu notre relation ?(comme je l'ai déjà dit, j'étais très "intellectuel", bref c'était pas gagné....)
- uhmmm (combien peut-être long un grommellement!), je t'apprécie beaucoup, je ne veux pas te faire de peine, mais j'ai fait un choix de vie, je veux rentrer dans les ordres...
- ah bon............."

Que le monde est cruel, j'ose me déclarer après deux ans, et je tombe sur le pouce des doigts de la main qui veulent rentrer dans les ordres, en France et par an.
Après, le reste de l'histoire est plus difficile à raconter, car je n'en sort pas grandi.
Du jour au lendemain, je l'ai ignorée (par méchanceté ou vengeance, et aussi par instinct de conservation).
Notre relation étant quasi exclusive au sein de l'amphi, elle s'est retrouvée totalement isolée (j'étais quand même un peu plus sociable qu'elle...).
J'étais alors à la fois triste et heureux de la voir errer comme une âme en peine d'amphis en amphis, au gré des cours.
Puis est venu le sprint de l'internat, et Delphine, qui ont effacé son image, qui était omniprésente dans mon esprit.

On s'est revu une ou deux fois après.
Elle m'avait pardonné (le vieux réflexe de tendre la joue gauche- car comme la majorité de ceux qui frappent, je suis droitier-), ce qui rendait ma honte encore plus aiguë.
Mais elle avait changé, ses discours m’inquiétaient, car le frère Tuck avait peu à peu laissé place à Thérèse de Lisieux, et son mysticisme absolu (« la petite voie »).
Je ne la reconnaissais plus ; sa famille et sa sœur non plus (elle avait aggravé son mysticisme, avec une tendance à l'incurie; elle que j'ai connue si soucieuse de sa propreté).
Dans une de ses dernières lettres, elle m’annonçait avoir fait sa demande pour devenir « postulante ».
Depuis, plus de nouvelles, elle n'a jamais terminé sa médecine (absente du registre des théses, et inconnue du Conseil de l'Ordre)

Je l'imagine aider de petits enfants africains en pleine brousse, en robe de bure blanche.

Mais le fantôme de Thérèse de Lisieux me fait frémir parfois.

18:55 Publié dans Mon passé | Lien permanent | Commentaires (1)