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23/03/2005
Sortie de garde.
La nuit a été calme.
Une entrée de 6h30 est venue mettre un peu d’animation.
Homme de 60 ans, rupture de cordage et capotage de la petite valve mitrale, IM et OAP massifs.
Intubé, ventilé, transféré.
2 expressos, et c’est parti…
Une échographie cardiaque trans thoracique rapide, de débrouillage (dommage que je ne puisse pas numériser les images qui étaient magnifiques).
Je lui ai mis une VVC et une artère radiale en moins de 5 minutes (j’aime bien déconnecter le cerveau et n’utiliser que la fonction manuelle, surtout quand tout se passe bien).
Un peu de dobutamine, et hop, au bloc dans la matinée.
Je ne sais rien du patient, qui n’a été pour moi qu’un creux sous clavier, et une gouttière radiale gauches entourés de champs verts jetables. Pas d’empathie, pas de sentiment. De la technique pure.
Ca fait du bien parfois de mettre la fonction empathie au repos, de ne plus analyser les actions et réactions du patient, de ne plus se surveiller pour ne pas dire quelque chose qui serait mal interprété, de ne pas devoir simplifier à l’extrême des mécanismes faisant l’objet de centaines de publications dans le Monde, et pas toujours élucidés, de ne pas avoir à parler si l’on n’en a pas envie, et de répondre aux questions en grognant, si on le veut.
Bref, de régresser à un stade primaire, comme Robinson dans sa soue.
Bon ce n’est pas tout, mais je vais devoir reprendre mes habits civilisés, jusqu’à la prochaine garde.
PS: image en ETO, tirée d'internet, montrant un superbe prolapsus de la petite valve mitrale, comme chez mon patient
07:44 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)
22/03/2005
Le Corse.
Mon troisième Chef de Service était corse.
N’imaginez pas les fromages explosifs, ni les vendetta héréditaires, ni enfin les siestes nycthémérales heureusement entrecoupées par des sommeils réparateurs.
N’imaginez pas non plus un accent à couper au couteau, mais une intonation plus subtile, accentuée lors des menaces.
Imaginez un élu du peuple, avec un pouvoir politique conséquent, ou cela revient au même, qui le fait croire.
Imaginez un pouvoir universitaire et médical tels qu’ils pouvaient exister avant la technocratie actuelle.
Imaginez une ville du Sud, ou les réseaux, et clans règnent en maîtres, ou la Règle n’existe que pour savoir par où la contourner.
Il a connu l’époque bénie ou son pouvoir n’avait pas de limites, un claquement de doigt faisait apparaître un agrégé de chirurgie digestive ou de radiologie, maugréant pour la forme, mais présent et obéissant.
La rédemption d’un service obtenu est toujours longue à obtenir.
Comme tout chef se respectant, il choisissait une favorite, et la propulsait dans l’échelle sociale : école des cadres, BMW Z3, fourrures…
Evidemment la favorite en titre, et ses devancières assuraient un service de renseignement efficace sur tout ce qui se passait dans le service, encore un instrument de pouvoir.
Un couple d’amis industriels corses (ça existe !!) désire passer quelques jours en ville pour les soldes de janvier, et quelques soirées au Casino (pas le supermarché !). Pas de problème, leur chambre double est réservée de telle date à telle date. Certes, ils avaient des pathologies de la vieillesse. Mais pas de quoi passer 8 jours à l’Hôpital à 1000-1100 euros la journée. Les aides soignantes gardaient la clef de leur chambre dans leurs poches, jusqu’à leur retour nocturne et tardif, après une virée au Casino (petite gourmandise de Madame).
J’ai fait leur entrée un jour. Que mettre comme motif d’admission ? J’ai fait comme les générations d’internes qui m’ont précédé, et j’ai marqué la phrase rituelle sur le dossier médical : « Admission pour bilan de santé ».
Une amie (non corse) a un festival de Jazz dans un mois.
Pas de problème, sa chambre seule est déjà réservée.
« Tu réserve la chambre, Lawrence ».
« Ce sera fait, Monsieur ».
Son ex-femme a une migraine ?
Il fait ouvrir une unité de soins intensifs cardiologiques, qui était fermée pour une partie de l'été. Evidemment, scanner cérébral dans la minute.
Un protocole de recherche clinique très juteux (7500 euros par patient), pas de problème non plus, les indications sont élargies, et les contre-indications pudiquement passées sous silence.
Il prépare sa retraite dans le privé en envoyant tous les patients du service en convalescence dans une certaine maison de rééducation (même si le patient habite à l’opposé de la ville), et à son départ, il emporte tous les dossiers médicaux de sa consultation privée.
Un jour, convoqué dans son bureau (moment toujours un peu anxiogène), j’assiste à une scène qui restera gravée dans ma mémoire.
Un patient, chemise Boss à rayures bleues grande ouverte, est penché au dessus du bureau professoral. Et le Professeur l’ausculte de sa place, penché lui aussi au dessus de son sous-main, les oreillettes de son stéthoscope au niveau des apophyses mastoïdes : « Rentre ! ».
Quel bel édifice symétrique ! Pour ça, le client (non plus un patient) payera 107euros, et reviendra le mois d’après, pour un « contrôle ».
Ses patients, si fiers de se faire suivre par lui, ne sont pour lui qu’objets de mépris, sauf si ils sont détenteurs d’une parcelle de pouvoir qu’il pourra utiliser (avocats, syndicalistes…).
Il déboulait les samedis et dimanches dans le service, suant et sifflant (BPCO post tabagique avancée), pour faire la visite devant la liste des patients affichée au mur.
Attention alors, si on ne répondait pas à une de ses questions, il tournait rouge pivoine et explosait de rage, en hurlant des insultes que je n’ai jamais entendues ailleurs :
« Tu es con à bouffer des bites par paquets de douze ».
« Appelle Untel [un agrégé de chirurgie digestive], et dis lui : mes couilles».
Malgré tout, je l’ai choisi comme membre de mon jury de thèse, et je pense à lui avec un brin de tendresse (pourtant, jamais je ne voudrais revivre cette époque, avec du recul, je ne le supporterai pas), car il est un des derniers dinosaures d’une époque (heureusement) révolue, celle de la toute puissance.
C’était une crapule, mais tellement caricaturale, qu’elle en devenait attachante.
Sa fin de carrière n’est pas très heureuse à ce que l’on m’a dit.
Il est cantonné dans un bureau dans une grande clinique privée, dont il ne fait plus trembler les murs. Il doit continuer à suivre tous ses vieux patients, ressassant leur gloire respective perdue. Ah, naufrage de la vieillesse…
Sa principale collaboratrice est une ASH, sa dernière Mme de Maintenon, qui le critique dans son dos, rédige et signe ses ordonnances, et doit lui faire une gâterie entre deux patients.
De plus en plus rarement.
La fin d’un règne.
15:50 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)
20/03/2005
Malevil.
Un autre de mes livres multi-lus.
Cet ouvrage de Robert Merle raconte l’existence précaire d’un groupe de survivants à un cataclysme nucléaire.
Par contre, je déteste le film
L’ouvrage a été écrit en 1972, année de ma naissance, en pleine guerre froide.
L’histoire est donc un peu démodée, à l’heure du bioterrorisme, « so seventies » dirait Lorenzo du Mercutio Club.
L’écriture est parfaite de simplicité, le trait est précis comme d’habitude chez Merle.
Le héros, Emmanuel Comte, prend la tête d’un groupe de survivants assez disparate (1 communiste, 1 athée, et 2 catholiques). Au début, il faut s’organiser pour survivre physiquement (semailles, entretien des quelques bêtes restantes…), mais aussi moralement (lecture de la Bible, le soir « au cantou », et ce malgré son athéisme).
Les décisions sont prises en commun, même si Emmanuel arrive souvent à faire pencher la balance dans son sens. Sauf une fois, lors d’un vote sur le « partage » de la « Miette », seule femme en âge de procréer, survivante au début du roman (lectrices, ne vous insurgez pas, la « Miette » garde son libre arbitre, mais Emmanuel juge la monogamie contraire à leurs nouvelles conditions de vie, au contraire des cinq autres hommes).
La communauté est attaquée par des bandes de pillards sans foi ni loi, puis ils rencontrent une autre micro société structurée à quelques kilomètres d’eux.
Ici, aucune démocratie, c’est la théocratie d’un curé qui règne sans partage.
Evidemment, les deux groupes s’opposent, et le curé (« Fulbert ») est un rude adversaire.
Que va faire Emmanuel pour s’opposer à lui ?
Il va se nommer Evêque, et va célébrer le culte catholique, malgré son athéisme (« qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse »).
Il le fait en partie pour contrebalancer le pouvoir délétère, que Fulbert a sur ses ouailles, mais aussi car il se rend compte qu’une Société ne peut vivre sans un minimum de croyances ou de spiritualité.
Là est le cœur du roman.
Pas de Société sans spiritualité, donc pourquoi ne pas en « créer » une, à partir de croyances ataviques, ou d’un syncrétisme.
Une grande majorité des éléments bibliques ont un point de départ réel.
La Manne est ainsi une sécrétion sucrée d’un arbre nommé « Quercus vallonea », le Déluge, une réminiscence des catastrophiques crues de L’Euphrate, relatées par des tablettes sumériennes. Dans un autre texte fondateur de l’Occident, mais non spirituel, celui-ci, l’Odyssée, Homère décrit de façon romancée des lieux et phénomènes connus par les marins de la Méditerranée (Cf. les travaux de Victor Bérard). L’Odyssée n’est finalement rien d’autre qu’un guide pour le plaisancier (cette phrase est ironique, bien sûr, je trouve ce texte magnifique).
Donc, j’imagine que les hommes occidentaux ont façonné durant des millénaires une doctrine, pas forcément pour assujettir l’autre (au début), mais pour servir de tuteur à la Société humaine.
Evidemment, c’est mon point de vue d’athée.
Mais, il faut bien dire que les religions ou philosophies « alternes » (mot à la mode) pullulent depuis que l’Eglise a amorcé un déclin, qui me semble inexorable.
Je préfère nettement voir une église pleine, que des cadavres carbonisés dans une clairière du Vercors.
Donc, la quête de sens est une valeur à la hausse.
Heureux ceux qui ont la Foi, ou ceux qui vont croiser le Chemin de Damas (Actes 9 :3), ou heurter un pilier de la Cathédrale de Chartres tel Péguy.
« Heureux les simples en esprit » (Matthieu 5:3), qui n’ont pas à chercher un sens à leur vie, et à celle des autres.
Emmanuel fonde donc une « religion », proche de la Bible, assez similaire au protestantisme (son oncle est protestant). Il retient des Paraboles et des Livres l’histoire de gens simples, confrontés à une nature hostile, autrement dit, sa situation.
Cette lecture « historique » de la Bible exclut bien évidemment toute idée d’intolérance, de pêché, de repentance, notions que je méprise.
C’est l’antithèse du nazisme, qui est une religion/doctrine basée sur la haine, mais qui a permis d’assurer la main mise de quelques uns sur tout un peuple (Cf. une note du 20/02, « Le Roi des Aulnes).
Sally et moi n’avons pas fait baptiser nos deux fils. Si ils croient, il devront faire une démarche volontaire pour rentrer dans la communauté des Chrétiens. Par mon Baptême, j’en fais partie, mais l’absence de démarche volontaire rend à mon avis, cette appartenance sans valeur. Je n’ai toutefois jamais réellement envisagé l’apostasie.
Pour l’instant, je n’ai pas besoin d’avoir de béquilles pour vivre, peut-être que cela va venir, comme pour certains :
« Je crois aux forces de l'esprit et je ne vous quitterai pas ».
14:15 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (4)