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14/12/2006

Note à caractère utilitaire.

Depuis une semaine je cherche à me souvenir du titre d’un film américain datant de moins de dix ans.

Dans une des scènes, le personnage principal rêve qu’il tombe les bras en croix dans un parterre de roses rouges (ou roses).

 

Quelqu’un a une idée du titre ?

Science sans conscience…

N’est que ruine de l’âme.

 

Bien belle phrase, et bien beau concept pas toujours facile à appliquer dans une pratique médicale de plus en plus « normalisée ».

 

Je suis une femme de 76 ans depuis fin 2005 pour une hypertension artérielle.

Elle souffre d’une insuffisance respiratoire chronique obstructive sévère per tabagique (elle fume toujours)  et post tuberculeuse avec des critères spirométriques effondrés. Bien sûr, pour corser la difficulté du traitement anti HTA, cette BPCO est plus ou moins cortico-dépendante.

Elle est suivie en pneumo, et par une médecin généraliste.

Quand je la vois pour la première fois, elle ne me parait pas commode.

Maigre et osseuse, des allergies à n’en plus finir et surtout un suivi professoral imposant (agrégé de pneumo, agrégé de dermato, agrégé de médecine interne).

En gros, elle veut bien être traitée, mais pas avec n’importe quoi. Le « n’importe quoi » étant bien sûr hautement subjectif. Elle critique tous ses soignants, notamment la généraliste.

Elle est dyspnéique au moindre effort, sibilante et a tendance à respirer les lèvres serrées quand je la fais monter sur la couchette.

En lisant le dossier, je me rends compte qu’elle a un épanchement péricardique jugé « important ».

A l’examen, jambes fines mais turgescence jugulaire nette.

La tension est à 150/80.

Je modifie un peu le traitement et demande un contrôle échographique.

Ce dernier examen répond : discuter le drainage.

Bon, je la trouve bien fragile et je la traite par aspirine à forte dose pour essayer de résorber l’épanchement. Sans succès.

Elle vient me voir assez souvent, et finalement, je m’attache à cette petite bonne femme courageuse. On en arrive à se faire voir les photos de nos enfants (pour moi) et petits enfants (pour elle).

Chaque fois que je la vois, je me pose la question d’un drainage. Je me pose la question de la nature de cet épanchement (néoplasie, tuberculose…) et de l’amélioration de la dyspnée qui pourrait en découler. Ce qui me fait hésiter est primo le risque opératoire et secundo le fait qu’elle supporte la position couchée sans broncher (je suis un cardiologue primaire : on ne draine (à visée thérapeutique) que si le décubitus est mal toléré). A chaque consultation j’hésite puis rituellement je la couche à plat, puis hésite encore.

A chaque fois l’écho répond « envisager le drainage ».

Je parle avec elle : elle a peur de se faire endormir avec son insuffisance respiratoire (je la comprends) et elle préfère vivoter et voir ses petites filles que de risquer une intervention pour aller mieux.

Je demande l’avis d’une copine anesthésiste qui exclut un drainage sous locale.

La médecin généraliste me demande de jeter un coup d’œil à ses artères de jambes, notre patiente se plaignant de vagues douleurs bilatérales et atypiques. Je lui fais un döppler : sténose serrée de l’artère fémorale superficielle gauche au tiers supérieur. Arggg, encore une indication potentielle de geste invasif. Heureusement pour ma conscience, l’IPS de repos est à 1 et elle est tellement dyspnéique à l’effort qu’elle n’arrive même pas à son périmètre de marche probable. Je repousse donc toute intervention pour le moment.

 

Je tourne encore un peu en rond autour du péricarde. Elle se sert clairement de mes hésitations pour ne pas se faire drainer : « je vous fais confiance, mais ne me faites pas opérer… ». J’ai quand même le sentiment que si j’insistais un peu, elle irait au bloc.

Toujours l’éternel problème de la balance risque/bénéfice.

 

D’où est venu mon salut ?

Et bien, de la médecin généraliste.

Par le biais de ses courriers, elle m’avait laissé une impression un peu, disons mitigée. Ses préoccupations se fixant sur ce qui me semblait être de nombreux et petits détails.

De plus, mes consultations étant assez souvent « Rock N’ Roll », je n’avais jamais trouvé le temps de l’appeler afin de parler de cette patiente.

Ces deux facteurs ont fait que je l’avais un peu oubliée dans cette histoire, malgré mes retours de courriers quasi systématiques.

 

Hier, j’ai pris le temps.

Je suis tombé sur une femme très bien.

Pas du tout « intellectuelle de gauche » comme je l’avais pensé initialement (je parie que cette phrase va faire exploser les commentaires…).

Elle m’a clairement fait savoir sa préférence pour l’abstention thérapeutique lourde.

On a discuté une bonne vingtaine de minutes.

Je lui ai donné mon portable pour faciliter les contacts en cas de nouveaux soucis (notre patiente a fait une syncope à domicile il y a 15 jours, ce qui m’avait fait encore plus tourner autour de son épanchement).

 

Finalement, un praticien confronté à un cas difficile est souvent soumis à  plusieurs forces parfois antagonistes.

Primo, sa propre expérience, qui couplée à l’approche du malade (scientifique et humaine) lui permettent de choisir un schéma thérapeutique qu’il estime être le meilleur.

Secundo, le doute inhérent à tout choix difficile va le pousser à demander des avis à d’autres confrères. C’est la « pluridisciplinarité ». C’est très bien, mais surgit alors la crainte que le destin médical du patient lui échappe.

Tercio, la relation avec le patient, qui en devenant affective peut devenir gênante pour la prise en charge en troublant une réflexion qui devrait être objective.

 

Dans ce cas, sans diluer ma responsabilité, ni m’en laver les mains, j’ai noué (un peu tardivement) une alliance avec un autre médecin prenant à cœur le destin de cette patiente. Cela m’a permis d’affirmer la décision thérapeutique que je pense être la bonne, même si elle ne répond pas aux « canons » de la médecine actuelle.

 

Et si la médecin généraliste avait poussé à la roue pour la faire drainer ?

14:36 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)

13/12/2006

L’avenir ?

L’immense fantasme d’une grande partie de l’industrie pharmaceutique serait de pouvoir promouvoir ses produits directement auprès du public en Europe (aux EU, c'est déjà le cas depuis longtemps), pour que celui-çi fasse pression sur les prescripteurs. D'ailleurs, ils font tout pour, j'en parlerai un autre jour.

 

Bien évidemment, le public serait une cible facile, car sensibilisé à la maladie (et pour cause) et surtout ignorant de bien des subtilités de l’évaluation de la balance risque/bénéfice de telle ou telle molécule.

Déjà que l’immense majorité des médecins (dont moi) est une cible assez facile pour la rhétorique des laboratoires malgré 10-11 ans d’études médicales, alors imaginez vous le fleuriste ou le boucher du coin !

 

En lisant un article sur le « Washington Post » online de ce matin, je tombe sur la publicité suivante :

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Le « Lipitor » est le nom commercial de l’atorvastatine (« TAHOR » en France).

Deux remarques (indépendantes des performances de la molécule):

 

Primo, l’attaque directe contre les concurrents directs du « Lipitor », notamment le « Crestor » d' Astra-Zeneca. Ce n’est pas exceptionnel aux EU, mais la comparaison directe, interdite en France me surprend toujours un peu. Mais là, les choses sont claires, et les « ennemis » bien identifiés. On retrouve bien sûr cette confrontation en discutant avec les visiteurs médicaux.

 

Secundo, le gentil sexagénaire (il est né un 11 mai 1946) de la photo est un chirurgien cardiaque, Robert Jarvik, spécialisé dans l’assistance cardiaque, notamment la conception des cœurs artificiels de la série des « Jarvik » (« Jarvik 7» puis récemment « Jarvik 2000 Heart »). Il a fondé en 1988 une société dédiée à la fabrication et au développement de ces systèmes : la « Jarvik Heart, Inc ».

C’est cet homme qui a inventé le cœur artificiel qui permet de sauver des centaines voire des milliers de vies par an.

Petite remarque ancillaire : il ne semble n’avoir jamais eu trop de difficultés pour trouver des noms à ses créations.

Demander un avis sur les statines et les dyslipidémies à un chirurgien cardiaque inventeur et PDG d’une société qui fabrique des cœurs artificiels en dit long sur le respect que porte l’annonceur pour le grand public.

En gros, on leur balance un nom connu, ça va les éblouir. Personne ne se demandera si la « vedette » mise en avant a seulement une fois prescrit une statine de sa vie. En tout cas, "Pubmed" (LA base de données sur les études scientifiques) répond qu'il n'a jamais rien publié sur les statines (comme l'atorvastatine...).

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Personnellement, j’aurais mis quelqu’un plus connu et surtout avec plus de crédibilité : Noah Wyle.

Il a quand même bien dû prescrire des statines dans un des épisodes de la série « Urgences » ?

 

Ne riez pas, ça va venir chez nous tôt ou tard.

  
 

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Petit supplément:

 

A quoi pense-t-il en souriant devant l’objectif ?

 

A. Le lipitor est vraiment la meilleure statine que je n’ai jamais prescrite.

B. J’ai bien fait de choisir cette petite cravate violette, elle me va à ravir.

C. Putainnnn, souris, tu te fais des couilles en Or (en VO pour les puristes : "Putainnnn, I’m making solid gold bollocks") !

D. Mon cardio m’a mis sous Crestor le mois dernier, est-ce finalement un bon choix ?

E. Après le déjeuner, séance photo pour la Wii.