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06/12/2006

1+2= ?

Mauvaise journée aujourd’hui.

 

Il y a deux semaines, je vois un homme de 50-55 ans, adressé par le médecin du travail de l’Hôpital pour « dédoublement du B2 ».

Bon, au début je suis assez dubitatif devant ce motif de consultation, presque prêt à en parler ici dans le registre « motif de consultation farfelu ».

 

Il est un peu pléthorique, fumeur non sevré à 50 paquets/année, et porteur d’une hypertrophie ventriculaire gauche modérée. Je le sais, car il a déjà consulté fin 2005 pour des précordialgies qui avaient motivé une coronarographie qui est revenue normale.

Il décrit une dyspnée à l’effort depuis plusieurs semaines. Aucune douleur thoracique.

A l’examen, il y a effectivement un dédoublement fixe du B2 (il ne varie pas à la respiration, ce qui est assez banal chez les sujets plus jeunes). Il n’y a aucun signe d’insuffisance cardiaque droite ou gauche.  Il tousse un peu.

A l’ECG, je remarque un axe droit, une onde p pulmonaire (pointue) et des ondes T négatives en V1-V3.

Il n’avait aucun de ses signes en fin d’année dernière.

Je me dis « tiens, un cœur droit sur un cœur pulmonaire chronique chez un tabagique ».

Je n’élabore pas plus, notamment sur la vitesse d’apparition des signes ECG.

Je prévois une consultation pneumo, un thorax, une scinti myocardique et une échographie cardiaque.

Hier au soir, il va voir le chef de service car il ne se sent pas très bien. Ce dernier accélère le rendez-vous d’échographie et le met à ma consultation de ce jour.

En arrivant cette après midi je tombe sur les résultats de mon bilan : HTAP à 65 mmHg sur l’échographie, FEVG à 40% (normale en 2005), petit épanchement péricardique.

Merde

Merde

Merde

Le risque du bilan confirme mes craintes : thorax un peu surchargé mais sans plus, scinti myocardique négative, et D-Dimères positifs.

J’appelle un copain en Médecine Nucléaire qui lui passe en urgence une scinti pulmonaire qui retrouve bien évidemment des défects pulmonaires.

Donc sauf cas rare, embolie pulmonaire bilatérale.

 

Dans ce cas (ce qui n’est pas si fréquent que cela) c’est l’ECG qui aurait pu donner le diagnostic : S1Q3T3, axe droit et hypertrophie auriculaire gauche. Pas vraiment de tachycardie toutefois (90-95 bpm). L’absence de scène clinique et de contexte évocateur (voyage, chirurgie récente…) m’a fait me fourvoyer.  

 

Trois leçons à tirer de cette histoire (leçons que j’ai pourtant ressassées 1000 fois dans ma carrière) :

« L’embolie pulmonaire, quand on y pense tout le temps, on n’y pense pas encore assez »

« L’embolie pulmonaire, quand on y pense tout le temps, on n’y pense pas encore assez »

« L’embolie pulmonaire, quand on y pense tout le temps, on n’y pense pas encore assez ».

 

Le reste de la consultation a été aussi pas mal agité.

Si dans quelques jours vous apprenez dans les médias qu’un roumain est décédé d’un infarctus lors d’une reconduction à la frontière, c’est de ma faute.

 

   

 

 

 

19:24 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)

05/12/2006

Monsieur M.

medium_endocarditis.jpgMonsieur M. a 70-75 ans et il n’a pas de chance, mais heureusement pour lui, il a un ange gardien hyper-efficace, et qui n’est pas encore aux 35 heures.

Il y a quelques mois de cela, on lui diagnostique une endocardite infectieuse mitrale. Déjà, à la base, c’est assez grave (10-25% de mortalité selon les séries d'endocardites valvulaires), mais chez lui, les lésions sont extrêmement sévères.

On indique un remplacement valvulaire.

Le chirurgien constate des dégât valvulaires majeurs, et il est obligé de gratter l’anneau mitral (le squelette fibreux qui soutient les valves) pour enlever le tissu infecté. Ce tissu infecté est littéralement pourri, et incapable de supporter les points de sutures qui servent d’ancrage à la prothèse valvulaire. Par ailleurs, c’est un nid de microbes, il faut donc l’exciser le plus possible.

Et là, catastrophe, l’anneau mitral fragilisé se rompt. La rupture annulaire est complication rare mais gravissime de la chirurgie mitrale. En 8 ans de gardes (2-6 gardes par mois), je n’en ai vu qu’une poignée dont encore moins sortaient de la réa, voire du bloc.

Là, le chirurgien, Grand Monsieur par ailleurs, ne se démonte pas; il répare l’anneau et fixe sa prothèse.

On serait aux Etats-Unis, tout le monde se serait levé dans le bloc, sifflé et applaudit à tout rompre. Bon, on est en France, tout le monde est déjà debout, sauf l’anesthésiste, et on est plus discret.

Le patient sort du bloc puis de la réa au bout de plusieurs semaines. Il arrive en clinique de convalescence ou je le rencontre et sympathise avec lui. Au début, il est terreux et ne quitte pas son lit, puis jour après jour il revit littéralement.

Pour nous faire rire, à la fin, il déambulait dans les couloirs en portant son déambulateur au dessus de la tête et à bouts de bras.

Puis il redeveint gris, et commence à s’essouffler. Il fait un OAP qui cède sous diurétiques.

On lui contrôle l’échographie, et malheureusement on diagnostique une rupture partielle des points qui attachaient la valve à son anneau. C’est une désinsertion valvulaire, on le re-mute en réa puis au bloc.

Là, ses chances de survie sont devenues négatives.

Le même chirurgien enlève l’ancienne prothèse et en réinsère une plus grande pour que les points se fassent au large des tissus fragilisés.

Contre toute crainte, il quitte le bloc puis la réa (ou j’ai discuté avec lui pendant une de mes gardes).

On l’a récupéré ce lundi à la clinique.

En pleine forme, toujours aussi gentil et pétillant.

 

Chapeau bas Monsieur l’ange gardien et Monsieur le Chirurgien.

17:00 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (8)

Tu ne vas pas dormir…

Hier au soir, nouvelle garde.

La réa était en feu.

Un poly traumatisé de 30 ans avec une rupture partielle de l’isthme aortique. Complètement ivre, il s’est fracassé en voiture. Huit côtes cassés, fracture du fémur, brûlures dorsales (car la voiture a pris feu), et donc un isthme partiellement rompu, il a néanmoins réussi à s’extirper tout seul de son véhicule.

Un post-opéré de ponts qui ne décollait pas des 70 de systolique.

Un post opéré d’un anévrysme de l’aorte abdominal qui ne descendait pas au dessous des 170 de systolique (c’est moyen pour les sutures…).

Et enfin, un post-opéré tardif qui s’était levé tout seul pour faire la grosse commission. Comme les fils et tubulures le gênaient un peu, il a un peu tiré dessus, et il s’est fait dessus (aussi)

Quand je l’ai retenu (je passais devant la chambre), les trois voies de la voie centrale étaient tellement tendues qu’on aurait pu jouer une suite pour violoncelle sans problème.

Les infirmières de jour m’ont prédit une nuit d’enfer.

Et bien, j’ai dormi comme un loir de minuit à 6 heures après avoir lu une cinquantaine de pages de « La Fille Qui Rêvait d'un Bidon d'Essence et d'une Allumette » le second tome de la trilogie Millenium (premier tome ici). Le poly traumatisé n'a rien fait, l'hypotendu a bien réagit à l'arrêt du pace-maker temporaire qui le stimulait en permanence en ventriculaire, l'hypertendu s'est amélioré sous nicardipine+morphine et le patient baladeur a dormi toute la nuit spontanément.

 

Comme quoi, ce ne sont pas les gardes qui commencent le plus mal qui se terminent de même.

 

11:50 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)