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28/04/2007

Le tabac, c’est tabou.

Ce matin, des infirmières fumaient dans le bureau des médecins en réanimation.

Outre que c’est devenu illégal, elles m’empêchaient de fait d’avoir accès à internet.

Un autre infirmier s’amusait à leur faire peur en disant que le surveillant de nuit venait d’arriver en réanimation, et que ça allait barder pour elles.

La conversation m’a rappelé une consultation.

Un jeune patient continue à fumer après un accident coronarien ou vasculaire. Je lui dis que ce n’est pas bien, qu’il faut qu’il se fasse aider.

Il ergote : il n’avale pas la fumée, il aime ça et ne veut pas arrêter.

Pour une fois, peut-être un peu énervé par la consultation précédente, je le prends à contre-pied :

« Bon, jouons cartes sur table, en fait ça m’arrange que vous fumiez. Sans fumeurs, nos salles d’attente seraient désertes. Finalement, votre intoxication tabagique me permet de partir en vacances et de vivre confortablement avec ma petite famille, sans que ma femme ait à se tuer au boulot. Continuez, je suis de tout cœur avec vous ! ».

Il n’a pas trop apprécié, et je ne l’ai plus revu.

Je ne regrette pas.

Un peu d’humour noir ne fait pas de mal et permet de nettoyer efficacement sa consultation (hospitalière en l’occurrence).

 

Un autre angle d’attaque, tout aussi efficace, pour un patient du même type : bringueur et tabagique ne voulant pas se sevrer et ayant déjà fait un accident :

« La prochaine fois, ne descendez pas à l’arrêt de bus qui dessert l’Hôpital, sortez au prochain ! ». Je lui ai alors montré alors la vue que l’on a de ma salle de consultation : le plus grand cimetière de la ville qui s’étend au pied de l’Hôpital.

 

Un agrégé  de cardiologie  résumait  très bien  ce type de patients:  "Bons clients, mais pas longtemps !"

11:00 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)

Le médecin-patient (mise en pratique)

J’ai un peu mis en pratique les quelques conseils donnés par un article dont j’ai parlé il y a peu.

Un médecin de 77 ans, diabétique, pontage aorto-coronarien en 2001, angioplastie et stent en 2005,  pace maker, fibrillation auriculaire chronique.

C’est un patient habituel de la clinique.

Il gère entièrement son traitement diabétique et met au pas tout infirmier ou infirmière qui voudrait s’y opposer.

Il prend parfois un air un peu hautain qui agace, mais globalement ce n’est pas un mauvais bougre.

La semaine dernière, l’infirmière me dit qu’il a fait un petit malaise au repos et qu’il a pis de la trinitrine sans en référer à quiconque. Je l’interroge : une petite douleur précordiale fugace puis une sensation de malaise avec sueurs profuse. Un début de malaise vagal en somme.

Je me méfie toujours de ce type de symptômes associés à une douleur parfois très atypique ou peu intense. Pour moi, c’est un signe d’alarme.

Je le revois 48 heures plus tard.

Il a refait ce type de malaise encore deux fois.

Je lui demande la date de sa dernière réévaluation coronaire : jamais depuis 2 ans !

Il est pourtant suivi par un cardio qui est très bien, mais j’imagine qu’il a du interférer avec la surveillance.

Finalement, tout médecin qu’il soit, il est moins suivi que le dernier diabétique ponté venu.

Je lui dit que je vais le transférer pour un bilan coronarographique, qu’il ne faut pas tergiverser, car pour moi, c’est un angor instable jusqu’à preuve du contraire.

Il discute.

Je coupe court à la conversation, du genre : « car tel est mon bon plaisir ». Le temps de l’argumentation est terminé.

Il a eu sa coronarographie, il avait un pontage sub-occlus.

Il a été dilaté et je l’ai récupéré hier au soir.

Il m’a remercié.

Il faut savoir être directif, parfois.

27/04/2007

Un train peut en cacher un autre.

Il y a un mois environ, nous avons récupéré une dame de 80 ans environ, dans les suites d’un infarctus antérieur revascularisé tardivement. La fraction d’éjection à la sortie de l’Hôpital est à 35-40%.

Dès les premiers jours, elle développe un syndrome anxiodépressif majeur. Le neuropsychiatre passe et prescrit des anxiolytiques que l’on doit arrêter quatre jours plus tard pour une somnolence importante.

Elle se laisse glisser, demande à voir une psychologue, ce qui n’est pas simple chez nous.

Les deux filles s’en mêlent. Elles sont très demandeuses, très agressives, et remettent sans cesse en cause les soins médicaux et para-médicaux.

Les relations sont assez tendues.

Après l’arrêt des anxiolytiques, elle présente de drôles de symptômes qui nous semblent « fonctionnels » : douleurs multiples et non systématisées, asthénie intense, parfois des hallucinations.

Le personnel para-médical (et nous aussi) la jugeons « folle ».

« Elle est folle » résume en général la relève de la nuit.

Les médecins de garde sont quasiment appelés chaque nuit, et nous, chaque jour. On lui fait des dizaines d’ECG, qui sont tous identiques.

On explique longuement à sa famille que ses symptômes sont dûs à l’angoisse, qu’elle devra avoir un suivi psy en externe…

L’examen clinique est sans grande particularité.

Puis, insensiblement, ses symptômes prennent une allure un peu plus « cardiaque » avec notamment une dyspnée de décubitus.

Elle est toujours angoissée et déprimée, et ses filles demandent à voir la direction.

Finalement, devant l’installation de cette dyspnée, on demande une échographie cardiaque.

C’est moi qui m’en suis chargé hier.

En l’allongeant, elle me fait une « scène » de dyspnée aiguë qui régresse spontanément au bout de quelques secondes. Elle s’allonge finalement, sans être trop gênée.

Je suis perplexe.

L’échographie est catastrophique : fraction d’éjection à 15-20% avec un énorme anévrysme antérieur. J’ai augmenté les doses de diurétiques.

Demain, on la transférera en réanimation cardiaque pour une cure de dobutamine qui retardera peut-être l’échéance. Je suis certain que la messe est dite depuis longtemps et que si nous nous étions réveillés avant, son pronostic aurait été le même. Mais au moins, nous l’aurions transférée bien avant.

Pourquoi une telle erreur de jugement de la part d’une tripotée de praticiens pourtant expérimentés ?

  • Un faux sentiment de sécurité de départ avec une fraction d’éjection abaissée, mais pas tant que cela. Nous l’avons sous estimée dès le début (on ne refait pas systématiquement les examens qui viennent d’être faits à l’Hôpital).

     

  • Le caractère atypique des symptômes, « noyés » dans un contexte neuropsychiatrique riche. Mais a posteriori, n’était-ce pas du bas débit ? On oublie souvent que l’insuffisance cardiaque peut prendre des aspects très particuliers chez le sujet âgé (asthénie, syndrome de glissement, voire véritable démence).

     

  • Une famille agressive et opposante qui n’attirait pas du tout l’empathie. Elle était souvent présente, et nous n’avions alors qu’une seule idée, sortir de la chambre. Et quand nous y restions, c’était pour pinailler sur des détails et des explications incessantes avec ses filles. En définitive, nous nous occupions plus des filles que de la malade. Dans mon esprit, nous n’avons jamais pu travailler assez sereinement pour nous poser les bonnes questions. Par ailleurs, les symptômes maternels se multipliaient considérablement lorsque ses filles étaient présentes. Ce qui nous confortait dans la croyance que ses symptômes étaient fonctionnels. Ce n’est que depuis quelques jours que ces derniers surviennent aussi en dehors des visites, notamment la nuit. Un minimum d’attachement est nécessaire pour soigner, et cette dame et ses filles étaient  une épine dans notre chair.

     

  • Enfin, un détail trivial, dont j’ai déjà parlé une fois. Elle a un épanchement pleural bilatéral qui masque l’auscultation des crépitants. Une diminution du murmure vésiculaire aux bases peut parfois être difficile à distinguer, même s’il n’est pas très difficile de faire le diagnostic : un coup de « 33 » suffit. Mais encore une fois, nous n’avons pas su travailler sereinement.

     

Conclusion du « vieux » cardiologue de l’équipe devant l’ampleur de notre aveuglement ce matin : « C’est sa famille qui l’a tuée ». Certes, mais je n’en suis pourtant pas totalement certain. Nous sommes tous responsables.