Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/11/2007

Le biais de financement.

C’est un nouveau biais à rajouter à notre catalogue (déjà bien long) de paramètres à surveiller lorsque l’on évalue une étude clinique.

Vous savez qu’en général, le statut de celui qui finance influe sur le résultat des études publiées.

On peut y voir deux explications « acceptables ».

La première est que le laboratoire qui compare sa molécule maison va le faire contre un compétiteur dépassé, ou en sous dosant sa posologie.

Par exemple, l’étude COMET a montré la supériorité du carvédilol sur le métoprolol dans le traitement de l’insuffisance cardiaque.

Le carvédilol est commercialisé par les laboratoires Roche qui ont co-financé l’étude avec GSK.

Le métoprolol est commercialisé par Astra Zeneca.

Jusque là, tout va bien.

Mais là où le bât blesse, c’est que la forme galénique et la posologie du métoprolol qui ont été employées n’étaient pas optimales, loin de là.

Elles l’étaient peut-être au moment ou COMET a été conçue, mais elles ne l’étaient plus du tout au moment de sa publication. Astra Zeneca a modifié sa formule alors que l’étude se déroulait et finalement la galénique proposée à l’AMM pour le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique n’était plus celle utilisée pour COMET.

Pourtant les visiteurs médicaux de Roche ont largement communiqué sur la déroute en rase campagne du compétiteur du carvédilol…

L’autre explication est que le financeur ou le promoteur vont avoir tendance à ne pas faire publier une étude qui leur est défavorable.

Selon une étude publiée par une équipe lyonnaise dans le BMJ, et citée par « Prescrire », une étude qui confirme l’hypothèse du promoteur a 4.6 fois plus de chance d’être publiée qu’une étude qui l’infirme.

Quel est l’impact de ce biais de financement ?

Un article publié dans PLoS Medicine de juin 2007 tente de répondre à cette question.

Lorsqu’une étude compare l’efficacité d’une statine versus un autre hypocholestérolémiant (statine ou non), et qu’elle est financée par une firme qui commercialise un des produits, les résultats sont « favorables » au financeur en moyenne 20.16 fois plus que dans les cas où le financement est indépendant.

Pour la conclusion, le « risque relatif » monte à 34.55.

Conclusion des auteurs :

« RCTs of head-to-head comparisons of statins with other drugs are more likely to report results and conclusions favoring the sponsor's product compared to the comparator drug. This bias in drug–drug comparison trials should be considered when making decisions regarding drug choice. »

A prendre en compte, donc.

 Références:

Poole-Wilson PA, Swedberg K, Cleland JGF et al. Comparison of carvedilol and metoprolol on clinical outcomes in patients with chronic heart failure in the Carvedilol Or Metoprolol European Trial (COMET): randomised controlled trial. Lancet 2003;362:7-13.

Bero L, Oostvogel F, Bacchetti P, Lee K. Factors Associated with Findings of Published Trials of Drug–Drug Comparisons: Why Some Statins Appear More Efficacious than Others.  PLoS Medicine Vol. 4, No. 6, e184 doi:10.1371/journal.pmed.0040184 

Decullier E, Lhéritier V, Chapuis F. Fate of biomedical research protocols and publication bias in France: retrospective cohort study. BMJ, Jul 2005; 331: 19 ; doi:10.1136/bmj.38488.385995.8F

23/11/2007

En route vers un monde meilleur (3).

Une troisième histoire pour la route.

Toujours la même source (Theheart.org) datée du 22 novembre.

Un laboratoire sort une molécule sur laquelle beaucoup d’espoirs de profits sont fondés.

Cette molécule est commercialisée sans « grande étude » clinique décisive. On se fonde sur les études faites sur les statines pour la vendre.

Les statines font baisser le LDL cholestérol, et de nombreuses études ont démontré que c’était bénéfique en terme de morbi-mortalité cardiovasculaire.

Cette molécule fait lui aussi baisser le cholestérol, donc on présume qu'elle est bénéfique.

Vous avez saisi la nuance, qui n’en est toutefois pas une à mon humble avis.

En effet, il existe pas mal d’arguments (résumés dans cet article de 2004 paru dans Circulation) pour dire que les statines sont bénéfiques aussi pour une autre raison que la simple baisse du LDL. C’est ce que l’on appelle l’ effet pléïotropique des statines.

Attention, je ne dis pas que baisser le LDL est secondaire.

Mais cet argument augmente ma perplexité lorsque l’on nous assène doctement que si l’action de A sur un paramètre B est bénéfique, alors C qui a le même effet sera bénéfique aussi.

Oui, mais est-ce que c’est l’action sur B qui est bénéfique ? N’y a-t il pas un autre paramètre D modifié par A et non encore exploré ? N’est-ce pas le mode d’action de A, plus que son effet sur le paramètre B qui est important ?

Autant de questions que certains désirent que l’on ne se pose pas trop.

Cependant, je n’aime pas trop ce genre de raccourcis simplistes.

Cette molécule est donc commercialisée en association avec une statine (ça potentialise l’efficacité de cette dernière sur le LDL) ou isolée.

Or le laboratoire aimerait bien que la forme isolée se vende encore mieux.

Malheureusement, comme je l’ai dit, on ne dispose d’aucune étude de morbi-mortalité digne de ce nom pour montrer l’importance de prescrire cette molécule à nos patients.

Donc on va en faire une ! Uhmmm, uhmmm…

En fait peut-être pas.

Premièrement c’est très cher à mettre en route (beaucoup de patients, grosse logistique…) et on n’est pas sûr du résultat.

Et oui, si ça se trouve, l’étude risquerait d’être nulle, ou pire, négative.

Donc on va donc étudier un paramètre intermédiaire. C’est moins cher, et moins risqué.

Je vous l’ai déjà dit ici, si l’on veut prendre le moins de risque possible dans une étude, on mesure un paramètre intermédiaire.

Un paramètre peut se mesurer, donc on peut discuter son mode de mesure, sa précision, la marge d’erreur, et donc éventuellement « orienter » un peu le paramètre vers le côté qui nous convient.

Un mort ou un infarctus, et bien, on peut difficilement l’ « orienter », le cacher sous le tapis.

Donc on va mesurer l’épaisseur de l’intima-media au niveau d’une carotide.

Plus c’est épais, moins c’est bon.

Ceux qui font du döppler savent que ce paramètre est idéal pour ce pourquoi on l’a choisi.

L’étude a donc été réalisée.

Mais, les résultats ne sortent pas.

Emoi dans la communauté boursière et scientifique (ou vice versa).

Les résultats seraient-ils négatifs ?

L’investigateur principal se défend et dit que non, que ce retard est dû à des « technical difficulties with the large amount of data generated ».

C’est ballot, il y a tellement de données qu’on ne sait plus quoi en faire. Bien entendu, tout cela était imprévisible avant de démarrer l’étude…

Les inquiétudes boursières et scientifiques (ou vice versa) ont encore enflé car le « Primary End Point » a été changé au cours de l’étude. Et ça, c’est toujours très mal vu.

Quand vous changez l’objectif principal en cours d’étude, on va toujours vous suspecter de vous être rendu compte en faisant une analyse intermédiaire discrète que vous n’alliez pas l’atteindre. Et que donc vous vous assigniez un objectif un peu moins exigeant.

En théorie, les données sont gardées secrètes jusqu’à l’analyse finale (ou aux analyses intermédiaires « officielles » rendues nécessaires par des impératifs de sécurité).

Troisième point curieux, ces données sont ici sous le contrôle du sponsor de l’étude, et non comme d’habitude de l’investigateur principal.

Dans ces grandes études, les données appartiennent le plus souvent (toujours ?) au sponsor. Par contre, c’est l’investigateur principal qui en a le contrôle (il en est le garant).

Mais pas ici…

Lisez l’article, faites vous votre idée. Pour ma part je suis assez dubitatif, j’attends les résultats avec impatience.

Pas pour ma pratique courante, je me contre fiche totalement de la mesure de l’intima media comme argument de prescription. Tout ce qui m’intéresse est de savoir si mon patient va vivre plus longtemps et mieux.Mais j'ai hâte de savoir comment tout cela va se terminer, et si le laboratoire va pouvoir rétablir la situation, comme tout bon chat qui se respecte. Si ils sont négatifs, ce sera vraiment à désespérer !

Cet article montre aussi une dérive qui me semble fondamentalement dangereuse.

Maintenant, ce ne sont pas les médecins qui attendent le plus le résultat d’une étude scientifique, mais les investisseurs.

Et ce phénomène ne peut conduire qu’à des dérapages sanglants pour les patients, beaucoup moins pour les investisseurs ("Plaie d’argent n’est pas mortelle").

En route vers un monde meilleur (2).

Seconde histoire relatée dans ce texte du 21 novembre publiée dans « Theheart.org » et qui fait référence à un article publié le même jour dans « Health Blog », un blog hébergé par « the Wall Street Journal Online ».

Cette anecdote est intéressante car elle met en lumière une pratique assez courante dans les publications scientifiques, le « Ghostwriting ».

Pour résumer, une compagnie désire promouvoir un produit.

Elle monte une étude faite par son équipe, avec son financement, avec « sa » méthodologie, et fait rédiger un article ou un abstract par ses médecins.

Pour pouvoir la « blanchir » puis la publier, elle fait alors appel à un scientifique reconnu (un « leader d’opinion ») pour que celui-ci accepte de signer l’article, contre rémunération.

Dans ce cas particulier, cette publication serait juste tombée avant une décision importante de la FDA concernant le produit en cause.

Parfois (heureusement), comme relaté, cette belle machinerie s’enraye.

Notre pratique courante est influencée par les publications scientifiques soit directement, soit indirectement via des recommandations.

On ne peut être donc qu’inquiet devant l’expansion de ce phénomène.

Ce matin, je pars au travail un peu amer.

Intimidations, « Ghostwriting », tripatouillage de données, « optimisation » des tests statistiques…

Comment continuer à faire toute confiance en « L’evidence Based Medicine » qui est censée être l’Alpha et l’Oméga de la médecine moderne, mais qui repose exclusivement sur des publications scientifiques dont la validité est de plus en plus remise en cause par des scandales itératifs ?

Le problème est structurel.

Ceux qui vendent des médicaments ne devraient pas:

- financer les études

- financer les journaux scientifiques par la publicité

- arroser les médecins-chercheurs et les médecins-cliniciens.

 

Mais dans ce cas, qui financerait la recherche ?

Quadrature du cercle.