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17/01/2008

Cachez ce résultat que je ne saurais voir…(3)

La controverse sur l’étude ENHANCE dont j’ai déjà parlé ici et ici fait rage.

Deux camps s’affrontent : ceux qui disent que l’ezetimibe est mort, et les autres.

Je vous conseille de lire l’article que consacre theheart.org à cette lutte homérique, ne serait-ce que pour voir l’analyse radicalement différente que fait chaque camp pourtant sur les mêmes chiffres.

Je trouve que lire ces arguments et contre-arguments est particulièrement intéressant. Au-delà de ce cas particulier de l’ezetimibe, j’y apprends toujours quelque chose sur la façon de décortiquer une étude, et ainsi me faire ma propre opinion.

Sous-entendu, éviter que mon interprétation se limite à opiner comme un chien en plastic derrière une lunette arrière de voiture à ce que répètent doctement la visite médicale et des « leaders d’opinion » rétribués dans des journaux professionnels subventionnés.

Le débat sur l’analyse des critères intermédiaires est aussi tout à fait salutaire. J’espère qu’il va conduire au retour au premier plan des critères « durs » (la morbi-mortalité) qui sont quand même le but ultime de la médecine (faire vivre mieux et plus longtemps). Si une thérapeutique ne permet pas d’améliorer ces critères : hop, poubelle. On n’aurait jamais dû quitter cette ligne de conduite.

J’ai adopté une attitude attentiste : pas de prescription d’ezetimibe, sauf cas particulier, en attendant les résultats de IMPROVE-IT.

Même si je suis proche de la position de S. Nissen (pour qui j’ai beaucoup de sympathie), je ne suis donc pas entièrement d’accord avec lui.

Mais quand on regarde l’autre camp, on peut se poser des questions : 2 commentateurs favorables à l’ezetimibe sur 3 font partie de l’équipe conduisant l’étude IMPROVE-IT…

Il ne vont donc sûrement pas se tirer une balle dans le pied !

J’aime aussi beaucoup la remarque suivante du Dr S. Nissen qui n’est pas très scientifique mais qui met en lumière l’interprétation à géométrie variable que peut faire l’industrie du résultat des études   :

"If the ENHANCE trial had shown regression of atherosclerosis or slowed progression, both the company and advocates of ezetimibe would be trumpeting the results as a landmark study. Now that the trial has failed, they describe ENHANCE as a small and unimportant imaging study. You can't have it both ways,"

 

 

Sue Hughes.

ENHANCE saga continues: Experts dispute ezetimibe's future and "weight" of imaging studies .

theheart.org. [HeartWire > Cardiometabolic risk]; January 16, 2008.

Accessed at http://www.theheart.org/article/837867.do on Jan 17, 2008.

 

16/01/2008

Déontologie.

Aujourd’hui, j’étais rouge de rage, et c’est rare.

Je suis une patiente depuis 4 ans à ma consultation au CHU. Nous sommes très proches (sucreries pour mes enfants…).

J’ai aussi accepté d’être son médecin référent. C’était une grave erreur, car cela l’a confortée (et moi aussi) dans l’idée que je pouvais lui suffire comme seul médecin.

Elle a 78 ans, est diabétique, polyvasculaire et insuffisante rénale non dialysée.

Je l’ai déjà confiée il y a 2-3 ans à une équipe de radiologues du CHU afin de lui dilater une artère iliaque pour une claudication serrée. Au cours de la procédure, le chef de service de radiologie m’a appelé pour me demander si j’étais d’accord pour qu’il lui dilate une sténose serrée de l’artère rénale. J’ai dit « pas de problème ».

Je la suis et la bilante régulièrement pour dépister une atteinte carotidienne, une resténose au niveau des membres inférieurs, de la rénale et une ischémie coronaire silencieuse.

Je pense être irréprochable du point de vue du suivi cardiaque et vasculaire.

Il y a deux mois, je mets en évidence une aggravation de son artériopathie des membres inférieurs. Elle claudique à 100 m. Je l’adresse avec mon döppler en consultation à un chirurgien vasculaire du CHU, dans le service où je suis aussi praticien attaché.

Quand il la voit (environ 10 jours plus tard), elle trottine à nouveau comme avant (a priori revascularisation par développement des collatérales). Le chirurgien me téléphone et me conseille de la traiter médicalement. Je suis d’autant plus d’accord que cette chirurgie m’inquiétait un peu.

Depuis lors, elle marche sans problème.

Par contre, je me suis rendu compte récemment que son traitement anti-diabétique n’était plus adapté car son diabète se déséquilibrait lentement mais sûrement et sa fonction rénale altérée contre-indiquait une partie de ses traitements.

J’ai tardé à prendre des mesures, mea culpa. N’est pas généraliste qui veut, surtout un spécialiste.

Je l’adresse donc à un endocrinologue qui travaille dans une grosse clinique à but non lucratif (sur le papier, ça existe). La clinique a un magnifique vernis de respectabilité, de sérieux. Je connais d’autant plus la structure que j’y fais des gardes. Pourquoi en clinique et pas en CHU ? Tout simplement car les délais y étaient moins faramineux.

Et puis bon, j’étais confiant.

Le temps passe, et ce matin, un chirurgien vasculaire que j’apprécie énormément (nous avons été assistants en même temps) m’appelle, me souhaite les vœux et m’annonce qu’il a dilaté et stenté ma patiente au cours d’une procédure réglée.

Je tombe de très haut.

Je lui explique que l’on avait repoussé cette indication il y a 3 mois, et je lui demande pourquoi personne ne m’a contacté pour me demander mon avis.

Il est gêné et me dit que ce n’est qu’en post-opératoire que la patiente lui a dit que j’étais son cardiologue et son médecin référent.

Je téléphone furax à l’endocrinologue (qui est le chef du service d’endocrinologie de la clinique) à qui je l’avais confiée « pour optimiser le traitement de son diabète » et non pour la revasculariser.

Il s’excuse platement, trouve quelques coupables (activité intense du service, faute des médecins résidents…) et se décharge sur le chirurgien vasculaire.

Je lui fais remarquer que ma patiente n’est pas allé d’elle-même le consulter…

Il me dit que cela ne se reproduira pas. Je lui réponds que cela ne risque pas d’arriver, car cette première patiente restera la seule.

Le ton reste courtois, mais il termine rapidement la conversation.

Aux dernières nouvelles la procédure s’est bien déroulée. Je crains quand même un peu pour sa fonction rénale.

J’ai repoussé mon idée initiale de porter plainte auprès de l’Ordre pour faute déontologique.

Cela ne m’apporterai rien, ni à moi, ni à la patiente.

Plusieurs remarques :

Je l’ai déjà écrit, mais jamais plus je n’accepterai d’être le médecin référent d’un patient. Les deux patients pour lesquels j’ai accepté me prennent pour leur généraliste, et je n’en ai pas les compétences.



L’endocrinologue a pris en charge cette patiente en ne tenant pas compte de son médecin correspondant puisqu’il ne m’a pas tenu au courant et qu’il a fait refaire tous les examens dont je lui avais pourtant donné les résultats dans mon courrier.
Refaire tous les examens donne l’impression d’avoir fait son travail, fait des actes pour le service  et donne du travail aux amis cardiologues et angiologues qui ont des vacations en libéral dans la structure. Petits arrangements entre amis qui nourrissent aussi la clinique aux dépens de la sécu. Lorsque l'on part de ce principe, sans tenir compte de l’histoire de la patiente, il est presque logique qu’elle se retrouve au bloc de vasculaire.

Et le chirurgien vasculaire ?
Il est sympa et travaille bien. Mais je me demande si le privé ne l’a pas fait passer du côté obscur de la Force. Comment peut-on faire une dilatation à une patiente sans lui avoir au moins demandé comment et par qui elle était suivie auparavant ?

Ne l’a-t-il pas interrogé ? N’a-t-il pas constaté qu’elle était parfaitement asymptomatique ?

Je pense qu’on aurait mis une chèvre sous les champs, qu’il ne s’en serait pas rendu compte outre mesure.

Deux jeunes chirurgiens vasculaires, à peu près même âge, issus de services différents, mais ils ont nécessairement eu les mêmes maîtres, une même patiente: deux conduites totalement différentes.

Celui du CHU s’abstient en disant que cette chirurgie (qui est purement fonctionnelle, rappelons le) a un rapport risque/bénéfice défavorable et celui de la clinique opère a priori sans se poser de question.

Pourquoi une telle différence ?

Différence d’école ? Leasing de la Cayenne ? URSSAF et CARMF à payer ? Reversions à la clinique ? Remboursement du prêt consenti pour payer le ticket d’entrée dans la structure ?

Je pense malheureusement savoir pourquoi: cherchez l'intrus.

Et puis, comme me l’a fait entendre l’endocrinologue au téléphone, « il n’y a pas mort d’homme ».

Non, mais qui peut prédire les conséquences de cet acte à mon avis non justifié chez ma petite patiente aux reins déjà bien fragiles ? Le chirurgien vasculaire m'a dit qu'elle aurait eu des petits ulcères, et que c'est pour cette raison que les endocrinologues la lui ont adressée. C'est fou comme ça apparait vite, les ulcères, fin décembre elle n'en avait pas...

L’argent corrompt tout et tous. Les patients, on s’en fout.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(Cette note était ma millième, mais ça me fait ni chaud ni froid)

 

14/01/2008

Cachez ce résultat que je ne saurais voir…(2)

Suite et a priori fin pour l’association ezetimibe/simvastatine qui n’a pas montré de supériorité par rapport à la simvastatine seule dans la réduction de l’épaisseur intima-media carotidienne et fémorale dans l’étude ENHANCE.

J'en avais déjà parlé ici.

 

Quelques remarques :

  • la négativité de l’étude ne m’étonne pas, étant donné que les laboratoires financeurs ont traîné les pieds durant 1 an avant de la publier.
  • L’association ezetimibe/simvastatine diminue significativement plus le LDL cholestérol que la simvastatine seule à 2 ans, sans pour autant réussir à diminuer l’épaisseur intima-media. Est-ce donc enfin le début de la fin des études qui privilégient le taux de LDL sur la survenue d’évènements cliniques et qui mécaniquement conduisent à une course folle vers le LDL le plus bas possible ? L'épaisseur intima-media est loin d'être un évènement clinique, certes, mais c'est un début.
  • Cette étude est néanmoins limitée en taille (720 patients) et en durée (2 ans). Par ailleurs, la population étudiée est composée de patients porteurs d’une hypercholestérolémie familiale hétérozygote qui ne sont pas représentatifs de la population générale, loin de là. Enfin, l’épaisseur intima media est tout de même un paramètre « mou » et qui doit être considéré comme tel, c'est-à-dire avec méfiance. Ce n’est pas parce que l’étude a bu le bouillon à cause de ce type de paramètre qu’il faut le monter au pinacle et l’encenser. Un paramètre mou sera toujours dans mon esprit largement inférieur à une solide étude de morbi-mortalité. Donc, je ne vais pas non plus enterrer définitivement l’ezetimibe sur ce type de critère. Une énorme étude en cours, IMPROVE-IT (10000 patients) est en cours et devrait répondre à la seule question importante : est-ce que l’ezetimibe améliore la morbi-mortalité de nos patients ?
  • Dommage que je ne reçoive plus les visiteurs médicaux, j’aimerais bien savoir ce que ceux de Schering-Plough et surtout ceux de la concurrence vont bien pouvoir  dire (ou pas dire)…
  • Il a fait mauvais temps à la Bourse de New-York aujourd'hui pour Schering-Plough (-7.93%). Une seule étude et de grosses conséquences: combien de millions de dollars évaporés ? Cette relation diabolique explique la financiarisation de plus en plus poussée de la recherche médicale où le profit passe souvent en premier, notamment devant l'éthique, l'honnêteté et la rigueur scientifique. On peut aussi y voir la dépendance de plus en plus marquée de ces énormes laboratoires à 1 ou 2 molécules qui génèrent d'énormes profits (les blockbusters). Une de ces molécules rencontre un aléa et c'est tout le laboratoire qui tremble. Ce système, nommé "système Pfizer" a vécu. Conséquence logique des mésaventures de l'ezetimibe: le graphique suivant représente le cours de leurs actions, et non l'épaisseur intima-media (malheureusement pour eux):

 

Photobucket

 

(source: boursorama.com)

 

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Sue Hughes.

ENHANCE results yield disappointment for ezetimibe .

theheart.org. [HeartWire > Cardiometabolic risk]; January 14, 2008.

Accessed at http://www.theheart.org/article/837243.do on Jan 14, 2008.