12/04/2006
Le vainqueur est…le sponsor !
J’ai trouvé ce matin un article intéressant dans le « Washingtonpost.com » d’aujourd’hui.
L’auteur, Shankar Vedantam s’interroge sur la validité des essais cliniques financés par l’industrie pharmaceutique (Comparison of Schizophrenia Drugs Often Favors Firm Funding Study).
Pour résumer l’article, la comparaison de deux antipsychotiques est favorable à la molécule de celui qui paye l'étude clinique !
Eli Lily a financé 5 études, toutes favorables au Zyprexa (sa molécule) par rapport au Risperdal (Janssen). Ce dernier laboratoire a financé 4 autres études, dont 3 ont démontré exactement le contraire.
Comment cela est donc possible ?
- C’est tout d’abord possible car tout essai clinique est entaché d’une probabilité d’erreur de 5%.
- Le sponsor/l’auteur peut « optimiser » l’essai en utilisant le principe de la « non infériorité ». Ce mode de calcul est moins « dangereux » pour une nouvelle molécule que la classique recherche de « supériorité ». Ces études sont d’ailleurs, de plus en plus fréquentes. J’arrête de lire un article dès que je lis que l’essai est de ce type. Hop, poubelle !
- Le sponsor/l’auteur peut « optimiser » l’essai en défavorisant l’adversaire, c'est-à-dire en sous dosant intentionnellement la posologie donnée. Il peut aussi choisir une molécule ancienne, bien connue pour son manque d’efficacité, ou pour ses effets secondaires. Ainsi, l’an dernier, un visiteur médical m’a présenté une étude comparant un anti-hypertenseur de dernière génération et de l’Adalate (nifédipine), molécule que même les paléocardiologues n’utilisent plus ! Heureusement pour lui, c’est la molécule de son laboratoire qui a gagné.
- Le sponsor/l’auteur peut « optimiser » l’essai en « bidouillant » les statistiques. Là, je suis, comme la plupart de mes collègues, incapable de le mettre en évidence. Par « bidouiller », je ne parle pas de fausser les résultats en ajoutant des patients virtuels par exemple, mais en utilisant une technique statistique un peu « limite ». La « non infériorité » est un exemple (mais je sais la repérer maintenant, grâce à un collègue qui fait un DU de statistiques). Bien entendu, lorsque l’on estime une amélioration clinique non strictement quantifiable, comme en psychiatrie, l’auteur/le sponsor a plus de latitude pour « interpréter » les résultats en sa faveur.
- Le sponsor/l’auteur peut demander que les résultats ne soient pas publiés. Il en a le droit, puisque les données lui appartiennent légalement. J’ai ainsi participé à une étude multicentrique, qui finalement négative, n’a jamais été publiée. Pas de publication, pas de bruit. Laissons la molécule mourir en silence…
-Enfin, il peut y avoir tricherie franche, mais je n’ai pas d’exemple impliquant un sponsor. Mais l’an dernier, une équipe indienne a avoué avoir truqué ses résultats pour les rendre probants (étude sur les risques cardio-vasculaires et l’alimentation).
Pourquoi y a-t-il si peu d’études financées par des groupes non liés à l’industrie pharmaceutique ?
Parce que cela coûte très cher, et que les Etats ne sont pas prêts à s’engager dans le processus. Je pense aussi que cela reviendrai à vouloir vider l'océan avec une paille.
Toutefois, quand ils le font, les résultats peuvent être intéressants. Pour en revenir aux antipsychotiques, l’antique, peu sponsorisée et donc peu prescrite (elle a aussi de fâcheux effets secondaires medullaires) clozapine fait mieux que nos deux premiers concurrents (étude CATIE). En France, des études financées par les pouvoirs publics sont en cours, notamment EVA3S, dont les cardiologues/médecins vasculaires/neurologues et chirurgiens vasculaires attentent impatiemment les résultats.
PS.
J'ai pensé, comme d'habitude, citer le texte en intégralité. Bien sûr en donnant le nom de l'auteur et du journal.
En regardant la page web de plus prêt, j'ai vu que l'on pouvait demander une licence d'utilisation pour 1 an. Je me suis dit: mon site n'est pas à but lucratif, je vais m'inscrire, il vont probablement rien me demander...
J'ai mis mon URL (probablement pour estimer le nombre de visites), et le coût de la licence s'est affichée: 400$US !!.
Bon, je vais me contenter de citer les références...
12:15 Publié dans Prescrire en conscience | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : carablogs, medecine et web
27/02/2006
Qui va financer? (suite)
Encore un excellent article du Monde.
Il fait écho à un article de "Prescrire", que j'avais cité ici.
Encore une fois, une bonne idée initiale, remettre à niveau périodiquement les médecins, est pervertie par les principaux acteurs du système. La FMC est trop souvent une nième tribune donnée aux laboratoires pharmaceutiques, pour vanter leurs dernière panacée.
A propos, je me suis fâché avec une visiteuse médicale il y a deux semaines. Elle s'est tout d'abord un peu imposée à moi, mais comme elle avait organisé et financé un repas de service la semaine précédente, je n'ai rien dit.
Puis elle m'annonce que son diurétique anti-hypertenseur (un thiazidique) est moins hypokaliémiant que l'indapamide ancienne galénique. Petit rappel: l'indapamide est d'abord sorti sous sa forme à libération immédiate, mais de nombreuses et sévères hypokaliémies ont conduit à une modification de sa galénique, qui est devenue "LP" (à libération prolongée). Je lui ai fait remarqué que ce n'était ni pertinent (de se comparer à une "mauvaise" molécule), ni très éthique (vis à vis du labo adverse, qui a modifié sa molécule).
Ca ne lui a pas plu.
Tant pis...
Un Rapport dénonce l'opacité de la formation médicale continue
Dans un rapport transmis, mardi 21 février, à Xavier Bertrand, ministre de la santé, l'inspection générale des affaires sociale (IGAS) dresse un réquisitoire sévère contre l'organisation de la formation médicale continue (FMC). Selon le document, ce secteur, censé améliorer les pratiques médicales des professions de santé, brasse des millions d'euros dans une opacité totale, multiplie les conflits d'intérêts et n'a jamais, depuis dix ans, appliqué les textes réglementaires.
Une situation qui perdure, dans l'indifférence des pouvoirs publics, mais à la satisfaction de l'industrie pharmaceutique et des syndicats médicaux. "Les diverses tentatives de refonte du système de la FMC, initiées en 1996 (...), ont sans cesse achoppé sur des problèmes de gouvernance et de financement, sur fond de rivalités syndicales", constate l'IGAS. "Force est de constater la faiblesse problématique du rendement du service public dans ce domaine et le gaspillage des ressources investies dans l'élaboration des textes législatifs", ajoute-t-elle.
Combien de médecins la FMC concerne-t-elle, et pour quel coût ? Impossible à dire, puisqu'il n'existe pas de "données globales et fiables". L'inspection estime que seul un médecin sur cinq participe à des journées de formation, alors que celle-ci est obligatoire depuis 1996. Seuls les financements institutionnels (70 millions d'euros en 2005) sont connus. Ceux de l'industrie pharmaceutique "restent opaques". Evalués "entre 400 et 600 millions d'euros", ils constituent pourtant "le vecteur essentiel de financement de la FMC".
"Le niveau réel de financement de l'industrie est d'autant plus malaisé à cerner que la frontière entre dépenses de promotion et dépenses de formation est difficile à tracer", relève l'IGAS. Celle-ci observe que la formation des médecins libéraux est largement financée par les laboratoires pharmaceutiques, et celle des hospitaliers par l'industrie biomédicale. Tout cela concourt à un système qui ne garantit pas l'indépendance des formations et qui, "sauf à accepter que la FMC ait pour fin essentielle la promotion des produits, est en totale contradiction avec les objectifs affichés de maîtrise médicalisée des dépenses de santé".
Le rapport de l'IGAS souligne "l'omniprésence des conflits d'intérêts". Ainsi, les organisations syndicales siègent-elles dans les instances d'agrément des organismes de formation, alors qu'elles ont elles-mêmes créé leurs propres organismes. L'IGAS cite un exemple éloquent : "En 2004, près de la moitié des fonds publics de la FMC a été attribuée aux organismes de formation situés dans la mouvance du même syndicat représentatif pour une seule catégorie de médecins". "Il serait préférable, poursuit-elle, d'exclure les organisations syndicales de la gestion des appels d'offres."
Sandrine Blanchard
Article paru dans l'édition du 28.02.06
20:05 Publié dans Prescrire en conscience | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : carablogs, medecine et web
09/02/2006
Le tabou.
Aujourd’hui j’ai brisé un grand tabou, j’ai expliqué à un de mes patients qu’un de mes confrères cardiologues était une ordure.
Ce patient a fait de la rééducation dans la clinique, après un deuxième infarctus compliqué de mort subite.
Il n’avait pas de cardio, nous avons sympathisé, et il m’a demandé de le suivre.
Après son deuxième infarctus, je lui ai fait l’épreuve d’effort systématique, recommandée par les sociétés savantes. Elle a été tout à fait rassurante.
Je le revois aujourd’hui, car il était inquiet devant une rougeur du visage, peut-être iatrogène.
Au cours de la conversation, il me dit qu’ « on » lui a fait une coronarographie dans l’intervalle de nos visites.
Il avait prévu cette visite depuis longtemps avant l’infarctus (il aurait vu un autre que moi pour deuxième avis, cela ne m’aurait pas gêné, je ne suis pas du tout choqué par ce besoin qu’ont certains patients d’aller voir ailleurs), et « on » lui a proposé de faire un contrôle coronarographique, alors que tout allait bien.
Là, j’ai explosé, froidement, comme à mon habitude.
Le contrôle systématique (ici à 3 mois post infarctus), en dehors de certains cas très particuliers, n’est rien d’autre que du vol qualifié pur et simple (code de tarification CCAM : DDQH009, soit 288 euros).
Le principe est simple, "on" arrive toujours à trouver une lésion (même si elle n'y est pas), on la dilate, si possible avec un stent (DDAF006, soit 397.10 euros). On contrôle 6 mois-1 an après: 30% de resténose avec les stents conventionnels: nouvelle dilatation simple ou avec stent. Et ainsi de suite, une véritable rente viagère.
Entendez vous les écus qui tintent?
gling-gling
gling-gling
gling-gling....
Et ensuite, que faire lorsqu'il y a des stents de partout, et que tout est resténosé?
Et bien là, on ne peut même plus ponter, on ne peut que redilater, sans fin.
Mon voisin, suivi par un autre requin, a 7 stents dans les coronaires. Il en est très content: "il a fait un super travail!".
Beati pauperes spiritu.
Le pire est que la coronarographie est entachée d’un pourcentage, certes faible, mais incompressible, de complications parfois graves.
J’ai donc pris mon temps, en lui expliquant pourquoi le « on » était une ordure (très connu sur la place pour cela, d’ailleurs).
Ce n’est pas bien, mais cette fois, je n’ai pas pu me retenir (pour mon voisin, j'ai plus ou moins fait intervenir ma femme auprès de sa femme, pour le suggèrer d'arrêter la métallisation de ses coronaires...).
Le premier qui me parle d’éthique, je la lui fais bouffer.
19:30 Publié dans Prescrire en conscience | Lien permanent | Commentaires (8)