14/10/2006
Tout est une question de point de vue.
J’ai discuté avec une visiteuse médicale récemment.
Comme je l’ai déjà expliqué, je ne reçois plus la VM (visite médicale) depuis la fin de mon assistanat, à l’exception des visiteurs que je connais depuis longtemps, et avec qui j’ai plaisir à discuter.
En général, ils ont plus de 20 ans de métier, et leurs présentations sont encore informatives. Ce mot est important, car leur statut exact est celui d’ « informateur médical », et non pas de vendeur.
Il y a 30 ans, un directeur régional avait dit à celle qui était alors une toute jeune recrue : « Votre rôle principal est d’informer, et pas de vendre des boites de médicaments !! ».
C’est étonnant, mais c’est ainsi ; le métier a beaucoup évolué, depuis.
Les « vieux » visiteurs gardent d’ailleurs leurs réflexes en compilant sur le net, ou via le service d’information du labo, des études concernant leurs produits, ou ceux de la concurrence.
Bien sûr, leur présentation reste partiale, mais elle est documentée. Par ailleurs, ces lectures leur permettent de garder leur esprit critique, et dans une certaine mesure une certaine acceptation de la contradiction. Certains visiteurs avaient même des notions de physiologie, pour étayer leurs discours.
Comme pour tout, le système s’est perverti avec le temps, l’information s’est transformée en désinformation, et les gestes « commerciaux » se sont transformés en collusion, voire corruption ne voulant pas dire son nom.
Après cette phase de grand n’importe quoi, ou la désinformation et les coupes de Champagne régnaient en maîtresses (c’est toujours un peu le cas), arrive petit à petit une période d’hyper réglementation ou le visiteur ne pourra bientôt qu’ânonner les RCP du produit.
Les laboratoires recherchent donc souvent des représentants assez stéréotypés, « présentant bien », c'est-à-dire idéalement blonde aux gros seins, peu farouches et à la jupe courte, capables de sortir un petit texte par cœur. De beaux perroquets, des aras, en quelque sorte (comme la profession médicale se féminise, il va bientôt falloir trouver des visiteurs au look « Chippendales »).
Je sais ce que vous vous dîtes, je caricature.
Bien sûr, je l’avoue, mais à peine.
La semaine dernière donc, je discutais avec une « ancienne ».
Une blonde aux gros seins, et à la jupe courte et noire rentre dans le service d’a côté. Elle porte une petite valise qui l’identifie immédiatement.
Elle nous jette un regard, hésite, mais continue son chemin.
Mon interlocutrice sourit :
« Elle est du même labo que moi. Nous nous sommes déjà croisées 4 fois. A chaque fois elle me demande si je suis nouvelle. A chaque fois je lui réponds que oui. La cinquième, je vais l’emplâtrer ! ».
Je me souviens aussi de cette visiteuse qui me vantait un bétabloquant, car il avait un "énantiomère". Elle ne savait pas ce que c'était, et n'imaginais même pas l'inutilité totale de cette particularité pour le bien-être du patient.
Des aras, je vous dis.
De quoi discutions-nous ?
Ma visiteuse, jusqu’à récemment présentait deux produits : A et B. Même indication, mais B vient de sortir, et a (un peu) moins d’effets secondaires que A. Bien évidemment, le labo mise tout sur B. Les visiteurs ont donc été formés pour « démolir » A par rapport à B.
Le problème est que B n’a pas marché, à cause d’études pas si bonnes que ça.
Le labo a donc vendu B à un concurrent.
Donc marche arrière toute, les visiteurs doivent maintenant démolir B.
De quoi en perdre son latin, non ?
12:05 Publié dans Prescrire en conscience | Lien permanent | Commentaires (2)
02/10/2006
la vérité sort de la bouche des...
Sénateurs!
Je vous livre quelques extraits choisis d’un rapport sénatorial fait « sur les conditions de mise sur le marché et de suivi des médicaments » et déposé le 8 juin 2006.
Pour les courageux (il fait 319 pages), vous pourrez le trouver ici. En annexe, on y trouve notamment la fameuse mais rarement utilisée "Charte de la visite médicale".
Ce texte limpide expose parfaitement ce qui se passe sur le terrain, il ne m'a donc pas trop surpris. Par contre, j'ignorais combien je "valais" annuellement pour l'industrie pharmaceutique et aussi l'importance de "la part variable" dans le revenu des visiteurs médicaux. Je comprends mieux leur zèle!
Petite digression avant les bonnes feuilles de ce rapport.
Ce dimanche, un confrère m’a raconté une petite anecdote tellement énorme, mais aussi tellement vraie.
Une visiteuse médicale vient le voir, pour lui vanter les mérites d’un médicament connu comme le loup blanc : le VAS..REL.
Connu comme le loup blanc, car malgré son absence d’efficacité, il est prescrit larga manu depuis bientôt 35 ans dans des indications aussi diverses que « traitement prophylactique de la crise d’angine de poitrine » et « traitement symptomatique d’appoint des vertiges et des acouphènes ».
Elle lui a sorti : « Vous faites des échos de stress (échographie à la dobutamine), vous allez voir la différence sur le seuil ischémique avant et après l’instauration du traitement ! »
C’est un peu pour initiés, mais en gros, ça revient à dire qu’on peut dévier un fleuve avec un bâtonnet en bois d’un Magnum® au chocolat.
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La visite médicale constitue le premier moyen de promotion des médicaments pour l’industrie pharmaceutique, qui y consacre en moyenne 80 % de ses dépenses de marketing, soit l’équivalent de 8.500 euros par médecin. L’objectif de cette démarche est de « diffuser une information sur les produits pour inciter les médecins à les prescrire ».
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Leur rémunération est constituée d’une part fixe et d’une part variable, cette dernière pouvant représenter jusqu’à un tiers du revenu total avec une part fixe limitée au niveau du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic). L’impératif commercial n’a cessé de croître dans la rémunération des visiteurs médicaux depuis une trentaine d’années : auparavant, les primes de rendement ne constituaient pas plus de 10 % du salaire.
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En France, la visite médicale influence considérablement les comportements de prescription. On évalue ainsi à 30 % l’augmentation du chiffre d’affaires sur un produit dont la promotion ciblée a été assurée auprès des médecins, soit un volume de produit élevé quand on rappelle que, selon une récente étude de la Cnam, 90 % des consultations donnent lieu à prescription de médicaments en France, contre seulement 40 % aux Pays-Bas.
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Il apparaît donc logique que les visiteurs médicaux, rémunérés au volume, vantent les avantages des médicaments sans insister sur les effets secondaires ou les nécessaires précautions d’emploi. A cet égard, la revue Prescrire estime que, lors de 74 % des visites médicales, les effets indésirables du produit sont passés sous silence et que les contre-indications et interactions médicamenteuses ne sont évoquées que lorsque le médecin pose la question, c’est-à-dire dans 76 % des cas. Ces résultats sont obtenus à partir du témoignage d’un réseau de médecins volontaires auprès de la revue.
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On observe par ailleurs certaines dérives commerciales, qui se traduisent notamment par l’organisation régulière de séminaires destinés à permettre aux délégués médicaux de déjouer les questions embarrassantes du corps médical.
Face à ces abus, près d’un tiers des médecins refusent de recevoir les délégués médicaux.
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Ainsi les visiteurs médicaux doivent remettre aux médecins, en plus de leurs propres éléments d’information, les documents officiels sur les substances qu’ils commercialisent : avis de la commission de la transparence (évaluation du SMR et de l’ASMR) et fiche technique sur les caractéristiques du produit réalisée par la HAS. Il apparaît toutefois que cette obligation n’est pas toujours respectée dans les faits, s’agissant des fiches techniques, en raison de la complexité de leur contenu.
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Les laboratoires contrôlent par ailleurs les leaders d’opinion que sont les journaux médicaux. En effet, pour qu’une publication médicale soit rentable, elle doit accepter d’être pour partie financée par la publicité. Or, les annonceurs intéressés par ce type de presse sont essentiellement les laboratoires pharmaceutiques, qui cherchent à promouvoir leurs produits auprès des professionnels de santé. Par ailleurs, les articles sont le plus souvent écrits par des spécialistes qui ont des liens d’intérêts avec les laboratoires. Ils ont alors tendance à fonder leur jugement sur des études exclusivement favorables au produit dont ils estiment légitime de promouvoir la prescription.
Claude Béraud, professeur honoraire à l’Université de Bordeaux, dresse ainsi un panorama particulièrement sévère de la presse médicale française :
« Le Syndicat national de la presse médicale et des professions de santé regroupait en 1999 soixante-seize éditeurs et 176 revues et journaux.
Trois types de publications sont à la disposition des professionnels :
« 1. La presse médicale quotidienne, diffusée en grande partie gratuitement, est d’une insigne médiocrité sur le plan scientifique. Elle est pourtant la plus lue par les professionnels, en raison de sa gratuité et parce qu’elle défend tous les corporatismes médicaux. Les articles qui ont un objectif thérapeutique sont le plus souvent sans intérêt médical, car il s’agit tantôt de publicités rédactionnelles, tantôt de simples opinions d’auteurs trop sensibles aux arguments de l’industrie pharmaceutique et parfois même rémunérés pour rédiger ces articles. Ces écrits ne sont pas soumis à la critique d’un comité de lecture ;
« 2. Les revues de médecine générale, vendues principalement sur abonnement, n’échappent pas à l’influence des firmes. Leur indépendance n’est pas assurée, car leur équilibre financier dépend du volume de la publicité que leur confient les laboratoires. Leur niveau est variable, mais il tend à s’améliorer. Le contrôle des articles, signés parfois par des universitaires renommés, reste insuffisant ;
« 3. Les revues spécialisées, qui concernent les disciplines classiques (cardiologie, gastroentérologie, etc.), sont habituellement d’un assez bon niveau. Elles sont lues par les spécialistes hospitaliers et une partie des médecins libéraux. Elles apportent une information contrôlée par des comités de lecture parfois sévères. »
La revue Prescrire constitue une forme d’exception dans cet ensemble. Fondée en 1980, elle a bénéficié pendant une dizaine d’années d’une subvention du ministère de la santé. Depuis douze ans, elle est désormais exclusivement financée par les abonnements et totalement indépendante de l’industrie pharmaceutique. Prescrire compte aujourd’hui près de 30.000 abonnés, en majorité des médecins et des pharmaciens, mais aussi quelques laboratoires.
La situation française, dans laquelle la presse médicale n’est pas en vente libre, doit toutefois être relativisée au regard de l’influence de l’industrie pharmaceutique sur la presse aux Etats-Unis. Il est en effet devenu impossible aujourd’hui, pour une revue aussi prestigieuse que le New England Journal of Medicine, de publier l’avis d’un expert indépendant.
17:55 Publié dans Prescrire en conscience | Lien permanent | Commentaires (11)
05/09/2006
La visite médicale (VM), le retour.
Cela faisait longtemps que je n’avais pas parlé de la visite médicale. A cela trois raisons : la première étant que je ne la reçois plus, la seconde est que le magazine « Prescrire », ne parait pas en juillet et août, la troisième est qu'il n'y a pas de VM durant les vacances. D'ailleurs pour ce dernier point, une remarque: tant mieux, je culpabilise moins à décliner leurs offres "amicales".
Donc, depuis longtemps, pas d’histoire croustillante à raconter .
Heureusement (pour cette chronique), les visiteurs médicaux sont persévérants.
Appel ce matin sur mon portable (dont je ne diffuse le numéro qu’aux confrères et à certains patients).
« Allo, désolée de vous harceler, je suis AAA, des laboratoires BBB.
- Vous ne me harcelez pas du tout (je n’ai eu aucun contact avec elle auparavant).
- Je sais que vous ne recevez pas la VM (bien, ça commence à rentrer), mais j’aimerais vous voir pour vous parler d’un produit qui devrait vous intéresser.
- Ah ?(j'aurais loupé la sortie d'un traitement révolutionnaire ?)
- Oui, Le Docteur CCC et le Docteur DDD m’ont conseillé de vous contacter (je déteste le « name dropping » utilisé pour m’amadouer), et que vous étiez intéressé, le produit, c’est l'ARIX….
- Je connais (réponse réflexe, mais cette fois vraie), je lis pas mal, et je n’ai pas besoin d’information, merci beaucoup.
- Je suis donc au chômage technique…
- Quand BBB sera en faillite, les poules auront des dents. Par ailleurs, j’ai acheté des SICAV il y a un an, en partie basées sur l’industrie pharmaceutique, et elles ont pris 25%. Je ne suis donc pas inquiet.
- Et des échantillons ?
- Non plus, merci beaucoup, passez une bonne journée.
- merci, au revoir ».
Synthèse de « Prescrire » sur le traitement :
"En prévention prolongée des complications thromboemboliques liées à la chirurgie pour fracture de hanche, en traitement préventif après chirurgie abdominale, en milieu médical, chez les malades ayant une embolie pulmonaire, et après thrombose veineuse constituée, le fonda… n'a pas une balance bénéfices-risques plus favorable que celle des HBPM. Son utilisation plus large chez les insuffisants rénaux ne repose pas sur une évaluation solide."
Rev Prescrire 2006 ; 26 (269) : 94.
Avis de la commission de la transparence:
Amélioration du service médical rendu dans le traitement curatif :
"Compte tenu des données actuellement disponibles et de son mécanisme d’action (plausibilité biologique), ARIX… semble ne pas exposer les patients au risque de survenue d’une thrombopénie d’origine immuno-allergique.
Le fonda… (ARIX…dosages à 5 mg/0,4 ml ; 7,5 mg/0,6 ml et 10 mg/0,8 ml) en solution injectable en seringue pré-remplie présente une amélioration du service médical rendu mineure (ASMR de niveau IV) en termes de tolérance par rapport à la prise en charge habituelle dans le traitement des thromboses veineuses profondes (TVP) aiguës et des embolies pulmonaires (EP) aiguës (à l’exclusion des patients hémodynamiquement instables ou des patients nécessitant une thrombolyse ou une embolectomie pulmonaire)."
Amélioration du service médical rendu, dans les indications suivantes :
"- Dans la thromboprophylaxie pour une durée maximale de 9 jours,
après chirurgie orthopédique majeure du membre inférieur (telle que pour
prothèse totale de hanche, pour fracture de hanche ou pour chirurgie du
genou) :
L’amélioration du service médical rendu par fonda… (ARIX… 2,5 mg) est de
niveau III (modéré) par rapport à l’énox… (LOVE…) en termes d’efficacité,
uniquement chez les patients ayant des antécédents de maladie thrombo-embolique veineuse (phlébites et/ou embolies pulmonaires) et ayant un poids supérieur à 50 kg et une clairance de la créatinine supérieure à 50 ml/min.
Il n’y a pas d’amélioration du service médical rendu par rapport à l’énox…
(LOVE…) (niveau V) pour les autres patients.
- Dans la thromboprophylaxie pendant les 19-23 jours suivant une
période initiale d’une semaine, dans le cadre d’une chirurgie pour fracture de hanche :
L’amélioration du service médical rendu par fonda… (ARIX… 2,5 mg) est de
niveau III (modéré) en termes d’efficacité dans la prise en charge, uniquement chez les patients dont le poids est supérieur à 50 kg et la clairance de la créatinine supérieure à 50 ml/min."
Donc, aucun regret, aucun remord.
Les avis de la commission de transparence ici et ici.
Pour l’explication de la différence entre SMR et ASMR, c’est ici.
12:00 Publié dans Prescrire en conscience | Lien permanent | Commentaires (4)