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07/12/2006

La petite pilule bleue.

Un article assez hallucinant dans « Le Monde » ici.

Le dernier paragraphe de l’article est grandiose :

« Par ailleurs, une cure de Viagra peut être bénéfique à plusieurs égards : "A la base, c'est un excellent médicament, qui a été conçu pour protéger le coeur et les artères. C'est une molécule très prometteuse, dont on commence à peine à découvrir les multiples vertus." Les contre-indications sont rares, sauf en cas de mélanges de médicaments : "En théorie, on pourrait en donner à tous les hommes de plus de 50 ans, même s'ils n'ont pas de vie sexuelle, car la majorité d'entre eux commencent à avoir des troubles cardio-vasculaires sans le savoir." Le docteur Bondil estime que le Viagra, le Cialis et le Levitra devraient être remboursés par la Sécurité sociale, au moins dans les cas graves : "Une chose est sûre, si c'était remboursé, la consommation exploserait." »

Petit rappel d’un communiqué de l’Agence Française du médicament en 2001 :

« COMMUNIQUE DE PRESSE

14 septembre 2001

Viagra® (sildenafil) : rappel du respect

des contre indications et des précautions d’emploi

Depuis sa commercialisation en octobre 1998, Viagra® fait l’objet d’un suivi de pharmacovigilance avec l’analyse de l’ensemble des données de sécurité disponibles au niveau national et international.

Les données de pharmacovigilance ont mis en évidence des événements cardio-vasculaires parfois graves, notamment infarctus du myocarde, mort subite d’origine cardiaque, arythmie ventriculaire, accident vasculaire cérébral pouvant survenir lors de l’utilisation de Viagra® chez des patients qui présentent pour la plupart des facteurs de risque cardiovasculaire. Ces événements se produisent généralement au cours ou peu de temps après un rapport sexuel chez des patients présentant des facteurs de risque cardiaque et/ou dans de mauvaises conditions d’utilisation du produit.

En conséquence, au cours de l’année 2000, l’information médicale destinée aux professionnels de santé et aux patients a été modifiée et renforcée, notamment sur le risque cardio-vasculaire.

Le nombre d’effets indésirables graves notifiés à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) au cours de la 2ème année de commercialisation (51 dont 17 décès) est inférieur à celui de la 1ère année (139 dont 35 décès). Le nombre de patients traités est estimé à 250 000 pour la 1ère année de commercialisation, 225 500 pour la deuxième année.

Dans 88 % des cas de décès, des facteurs de risque cardiovasculaire sont présents et dans 15 % des cas, les conditions d’utilisation du produit n’ont pas été respectées. Cependant, dans 44 % des cas, le lien de causalité ne peut pas être établi (cause du décès non déterminée, délai inconnu entre la prise de Viagra® et le décès), et dans quelques observations, la prise de Viagra® n’a pas été confirmée.

L’Afssaps rappelle que toute utilisation de Viagra® doit avoir fait l’objet d’une prescription médicale dans le respect strict des contre indications et des précautions d’emploi mentionnées dans l’Autorisation de Mise sur le Marché :

    * Viagra® est notamment contre indiqué en association à des dérivés nitrés, en association à des médicaments donneurs de monoxyde d’azote tels que linsidomine et molsidomine, ou lorsqu’il existe des troubles cardiovasculaires sévères pour lesquels une activité sexuelle est déconseillée

    * Avant toute instauration de traitement, il convient de pratiquer un interrogatoire et une examen clinique, notamment, de la fonction cardiovasculaire »

Le commentaire de « Raymond F » résume tout :

« RAYMOND F. : Je ne savais pas que le Monde donnait dans le publireportage en dessous de la ceinture. Quand à l'argument, jouissez ou vous n'êtes pas aux normes, c'est également tomber bien bas. Hubert, reviens, ils sont devenus fous ! »

04/12/2006

Le torcetrapib, c’est fini.

Le NYT a annoncé dans son édition électronique d’hier que Pfizer avait arrêté ses investissements, et notamment une étude clinique (« ILLUMINATE ») conduite sur le torcetrapib.

Il semble que cette molécule, développée car elle permet d’augmenter le « bon cholestérol » (HDL) a des effets secondaires, notamment cardio-vasculaires rédhibitoires.

J’ai découvert à cette occasion un autre article (Avorn J. Torcetrapib and atorvastatin -- should marketing drive the research agenda? N Engl J Med 2005;352:2573-2576) que cette molécule, ou plutôt son plan marketing avait posé pas mal de remous en 2005.

Pour faire simple, afin de conserver la rentabilité de son atorvastatine (TAHOR), la firme Pfizer s’était débrouillée pour que les études (dont ILLUMINATE) ne prennent en compte que l’association atorvastatine-torcetrapib.

Les recommandations ne reposent que sur ce type de grandes études. En cas de positivité, ILLUMINATE aurait donc permis de continuer à vendre de l’atorvastatine en association,  bien au-delà de l’expiration de son brevet en 2010.

03/12/2006

Conflits d’intérêt.

medium_conflict.jpgJe tombe en ce moment sur beaucoup d’écrits sur les conflits d’intérêt qui rendent passablement opaques les prises de décision des instances régulatrices du marché du médicament, et à un autre niveau les investigateurs des essais thérapeutiques. Dans les lignes suivantes, je n'évoquerai pas  les liens entre les journaux médicaux  et les firmes  (75% des essais  publiés  dans  les grandes  revues financés  par l'industrie,  et  dépendance  financière  de ces  mêmes  journaux  par le biais  de  la  publicité).

Tout d’abord, qu’est ce qu’un conflit d’intérêt ?

La définition est essentielle, mais n’est pas intuitive.

Je n’en ai pas trouvé de satisfaisante, d’ailleurs.

Voici la mienne :

Il s’agit de la confrontation entre plusieurs objectifs contradictoires explicites ou implicites chez un individu ayant un devoir d’intégrité dans son travail.

Par exemple, un médecin-expert faisant parti d’un comité du médicament et qui serait actionnaire ou salarié d’une ou plusieurs firmes pharmaceutiques.

Autre cas de figure : si ce médecin appartient au comité de surveillance d’un essai qui doit juger de l’efficacité d’une molécule issue d’un laboratoire dont il serait actionnaire ou salarié, ou au contraire issue d’un concurrent direct.

Most Cancer Patients Unconcerned About Doctors' Ties to Drug Firms” est un article du Washington Post qui commente un papier du NEJM du 30 novembre (Hampson LA et al. Patients' views on financial conflicts of interest in cancer research trials. N Engl J Med 2006;355:2330-2337). On y découvre que plus de 90% des patients enrollés dans un protocole de recherche (dans ce cas, en cancérologie) expriment peu ou pas d’inquiétudes sur les liens entre les médecins investigateurs du protocole et les firmes pharmaceutiques.

On peut voir dans ces chiffres une grande marque de confiance des patients en leurs médecins. Tant mieux, c’est grâce à cela que la médecine fonctionne. Mais on peut aussi y voir une grande part de méconnaissance, car 75% de ces mêmes patients n’ont jamais entendu parler du problème des « conflits d’intérêt » voire du terme lui-même. Enfin, les auteurs soulignent que les patients, souvent déjà dépassés par leur pathologie n’ont pas forcément l’envie d’aller chercher des informations économiques noyées dans la masse de documents qu’on leur demande de lire (quand ces éléments sont cités).

On trouve dans le même numéro du NEJM un autre texte (Campbell EG et al. Financial relationships between institutional review board members and industry. N Engl J Med 2006;355:2321-2329) qui met en lumière l’importance de ce problème aux Etats-Unis.

36% des membres de 893 IRB (Institutional Review Board), c'est-à-dire de comités de surveillance d’essais cliniques, ont déclaré un conflit d’intérêt (67.2% ont répondu au questionnaire qui a été envoyé par les auteurs de cette étude). Ces « IRB » ont notamment un rôle prépondérant en déclarant éthique ou non un essai, ce qui conditionne sa réalisation ou non.

Parmi ces 36%, 85.5% ont déclaré ne pas penser que ce conflit d’intérêt pouvait altérer leurs jugement, 11.9% rarement, 2.4% parfois, et 0.2% souvent.

D’un autre côté, seulement 45.8% des membres déclarent que leur IRB a un texte définissant exactement ce qu’est un conflit d’intérêt, 12.1% déclarent qu’une telle définition n’existe pas dans leur IRB et 42.2% ne savent pas.

Autrement dit, le problème est quantitativement important car ni les institutions, ni les médecins ne s’imposent de règles strictes. Enfin, que penser des 14.5% des médecins qui assument que leur jugement a été altéré par un conflit d’intérêt ? Quelle est la magnitude sur un patient donné et l’économie de la Santé de telles violations de leur impartialité ?

Pour une affaire « VIOXX » ou une affaire Yadav, combien d’autres ne font jamais surface ?

Qu’en est-il en France ?

« Prescrire » et « L’infirmière Magazine » de décembre y consacrent un dossier.

L’AFFSAPS a eu recours à 1800 experts en 2005.

La majorité des conflits déclarés ont concerné des « interventions ponctuelles » dans 71% des cas. Plus inquiétants, 11% des experts sont responsables d’une institution en partie financée par l’industrie et 12% ne répondent carrément pas à la demande de déclaration (qui est désormais obligatoire). En France, la participation directe au capital d’une firme reste rare (2%).

Il semble que le problème principal soit l’absence de transparence dans la publication de ces conflits d’intérêts pour une commission donnée.

De part et d’autre de l’Atlantique, je pense qu’il est nécessaire de prendre ce problème à bras le corps. Primo, car l’existence de tels conflits ne me semble pas compatible avec l’exercice de responsabilités souvent écrasantes.

Secundo, car la relative méconnaissance du public ne peut être que temporaire. Au prochain grand scandale, comme à chaque mouvement de foule, c’est l’ensemble des professionnels de santé qui risque d’être emportée, et pas seulement les coupables.

L’auteur déclare comme conflit d’intérêt : un contrat avec « Roche Diagnostics », et des SICAV sectorielles basées sur l’industrie de la santé.