18/11/2008
Gomorra.
J’ai terminé ce roman de Roberto Saviano hier au soir.
Mon impression est un peu mitigée.
Contrairement à ce que je croyais, il ne s’agit pas d’un roman, mais d’une énumération de trois cent cinquante six pages de faits sur la camorra. C’est un peu longuet…
D’un autre côté, si l’on va au-delà de cette présentation austère, on découvre l’étendue de l’emprise des clans camorristes sur la région napolitaine, et la taille de leur empire qui s’étend jusqu’à Aberdeen.
On y trouve quelques morceaux de bravoure.
Les gamins qui passent un rite d’initiation pour leur entrée dans la camorra, afin d’éprouver leur courage : on leur fait porter un gilet pare-balles et on leur tire une rafale de pistolet mitrailleur dessus.
Un parrain qui se fait construire une villa luxueuse dont les plans et la décoration intérieure sont les mêmes que la villa de Tony Montana dans le Scarface de Brian de Palma.
Quatorze mille six cent mètres, avec une base de trois hectares : la taille estimée du monceau d’ordures parfois hautement toxiques « traitées » illégalement par la camorra, c'est-à-dire enterrées, balancées dans la mer, ou brûlées, en dépit de toutes les règles communautaires. Un véritable génocide écologique.
« A la mondragonese ». Ce n’est pas une façon d’accommoder les pates, mais de se débarrasser d’un corps : on le jette dans un puits en pleine campagne, et on y balance ensuite une grenade. Le corps est réduit en bouillie et enseveli sous des tonnes de terre.
Depuis la publication de ce roman, Saviano vit sous protection policière, traqué par les clans de la Camorra.
Gomorra. Dans l’empire de la camorra
Roberto Saviano
Editions Gallimard.
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16/10/2008
Le Guépard (fin).
Même les femmes qui étaient au bal ne lui plaisaient pas : deux ou trois parmi les plus âgées avaient été ses maîtresses et en les voyant maintenant alourdies par les années et leurs belles-filles, il peinait à recréer pour lui-même l’image de ce qu’elles avaient été vingt ans auparavant et il s’irritait en pensant qu’il avait gâché ses meilleures années à poursuivre (et à atteindre) des femmes aussi négligées. Et même les jeunes ne lui disaient pas grand-chose, sauf deux : la très jeune duchesse de Palma dont il admirait les yeux gris et la suavité sévère du port, et aussi Tutù Làscari dont il aurait su tirer, s’il avait été plus jeune, des accords très singuliers. Mais les autres… heureusement que des ténèbres de Donnafugata avait émergé Angelica pour montrer aux Palermitaines ce qu’était une belle femme.
On ne pouvait pas lui donner tort : dans ces années-là la fréquence des mariages entre cousins, dictés par la paresse sexuelle et par des calculs terriens, la rareté de protéines dans l’alimentation aggravée par l’abondance d’amidon, le manque total d’air frais et de mouvement, avaient rempli les salons d’une foule de jeunes filles incroyablement petites, invraisemblablement olivâtres, insupportablement gazouillantes ; elles passaient leur temps coagulées entre elles, ne lançant que des appels en chœur aux jeunes hommes apeurés, destinées, semblait-il, à ne servir que de toile de fond aux trois ou quatre belles créatures qui comme la blonde Maria Palma, la très belle Eleonora Giardinelli passaient en glissant comme des cygnes sur un étang rempli de grenouilles.
Giuseppe Tomasi di Lampedusa
Traduction Jean-Paul Manganaro
J’ai donc terminé cette merveilleuse élégie d’une époque, d’une caste, d’un individu.
Ce dernier extrait est un de ceux que je préfère. Il se situe au cours de la fameuse scène du bal qui est la clé de voûte du livre, comme du film.
Autant le dire tout de suite, ce livre n’est pas à lire dans un moment de déprime.
Il renvoie à notre propre déchéance, lente et inscrite en nous dès notre création. Finalement, l’ensemble des évènements extérieurs, bénéfiques ou non qui nous servent bien heureusement d’agréable diversion tout au long de notre vie n’ont le plus souvent que peu d’influence sur l’inéluctable, sinon parfois de l’accélérer.
La magie de ce roman est de rendre universel le destin d’une famille précise (les Salina), évoluant au cours d’une période fixée (mai 1860-mai 1910), dans un lieu précis (La Sicile, essentiellement Palerme et le palais de Donnafugata).
Le roman est plein de petits tiroirs, et il faut le lire et le relire (ou, comme moi utiliser Google) pour les trouver.
Ainsi, le chien, le danois Bendicò, apparait dès la première page du roman, et le ferme . On le remarque finalement peu, alors que, comme le précise l’auteur dans une lettre du 30 mai 1957 : « Fais attention : le chien Bendicò est un personnage très important et il est presque la clé du roman ».
En effet, ce danois racé mais ne servant à rien est un exact reflet du Prince et de sa caste.
Enfin, parmi ce pessimisme général, bien compréhensible car ce roman, en grande partie composé d’évènements réels, vécus ou collectés par un Giuseppe Tomasi di Lampedusa en stade terminal d’un cancer pulmonaire est ponctué de délicieux petits éclairs d’ironie :
« Au plafond les Dieux, penchés sur leurs sièges dorés, regardaient en bas, souriants et inexorables comme le ciel d’été. Ils se croyaient éternels : une bombe fabriquée à Pittsburgh, Penn., leur prouverait le contraire en 1943. »
(La description du palais Ponteleone, toujours dans la scène du bal).
Donc en somme, un roman sombre mais que j’ai trouvé fascinant.
Bon, pour être objectif, je ne le suis peut-être pas totalement. En effet, transposé en France dans 30 premières années du XXème siècle, il décrit de façon probablement assez juste ce qui est arrivé à la famille de mon épouse.
Photo tiré du film "Le Guépard" de Visconti.
09:46 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (4)
12/10/2008
Le Guépard (4).
« Il va me tuer moi aussi parce que je n’ai pas parlé ; lui c’est un " homme d’honneur ". »
En effet, avec son front bas et ses « cacciolani », les touffes de cheveux qu’il laissait pousser sur ses tempes, avec le balancement de sa démarche, le gonflement perpétuel de la poche droite de son pantalon, on comprenait tout de suite que Vincenzino était un « homme d’honneur » ; un de ces imbéciles violents capables de n’importe quel massacre.
Giuseppe Tomasi di Lampedusa
Traduction Jean-Paul Manganaro
Cette note est la mille quatre cent unième!
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10/10/2008
Le Guépard (3).
« Un Falconeri doit être avec nous, pour le Roi ». Les yeux recommencèrent à sourire. « Pour le Roi, certes, mais pour quel Roi ? ». Le jeune homme eut une de ses crises de sérieux qui le rendaient impénétrable et si cher. « Si nous ne sommes pas là nous non plus, ils vont nous arranger la république. Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change. Est-ce clair ? ». Il embrassa son oncle un peu ému. « Au revoir, à bientôt. Je reviendrai avec le tricolore. ».
…
Les flatteries glissaient loin de la personnalité du Prince comme l’eau sur les feuilles de nymphéas : c’est l’un des avantages dont jouissent les hommes qui sont en même temps orgueilleux et habitués à l’être.
Giuseppe Tomasi di Lampedusa
Traduction Jean-Paul Manganaro
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07/10/2008
Le Guépard (2).
« Don Fabrizio avait eu beaucoup de soucis ces deux derniers mois : ils avaient débouché de toutes parts comme des fourmis à l’abordage d’un lézard mort. Certains avaient surgi des crevasses de la situation politique ; d’autres lui étaient tombés dessus à cause des passions d’autrui ; d’autres encore (et c’étaient ceux qui le rongeaient le plus) avaient germé dans son for intérieur, c'est-à-dire à partir de ses réactions irrationnelles par rapport à la politique et aux caprices de son prochain (il appelait caprices, quand il était irrité, ce qu’étant calme il désignait comme des passions) ; et ces soucis, il les passait en revue tous les jours, il leur faisait faire des manœuvres, se mettre en colonne ou se déployer en rangs sur la place d’armes de sa conscience, en espérant apercevoir dans leurs évolutions un sens quelconque de finalité qui pût le rassurer ; et il n’y parvenait pas. »
Giuseppe Tomasi di Lampedusa
Traduction Jean-Paul Manganaro
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06/10/2008
Le Guépard
« Il serait hardi d’affirmer que don Calogero tira parti tout de suite de ce qu’il avait appris ; il sut, dès lors, se raser un peu mieux et être un peu moins effrayé par la quantité de savon utilisé dans la lessive, rien d’autre ; mais ce fut à partir de ce moment-là que débuta pour lui et les siens l’affinement constant d’une classe qui au cours de trois générations transforme des rustres efficaces en gentilshommes sans défense. »
Giuseppe Tomasi di Lampedusa
Traduction Jean-Paul Manganaro
20:53 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (2)
25/09/2008
Elle est arrivée !
A midi, j’ai enfin mis la main sur l’intégrale de Calvin et Hobbes, en VO" The complete Calvin and Hobbes", du génial Bill Waterson.
C’est un monument :1440 pages pour un poids de 10.115 kg !
Comme j’avais des tas de bon Amazon à utiliser, j’en ai profité…
"It's a magical world Hobbes, ol' buddy...let's go exploring!"
18:52 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (4)
09/09/2008
Rentrée littéraire.
Petite rentrée littéraire personnelle, nettement moins torride que la grande, la vraie, comme le suggère ce qu’en j’en ai entrevu par ci, par là.
Tout d’abord, je viens de terminer « En remorquant Jéhovah » de James Morrow, aux éditions Au diable Vauvert.
J’ai commencé ce bouquin sur les conseils avisés de Stéphane. Je n’ai pas été déçu, l’histoire est originale, et Morrow s’amuse à détourner bon nombre d’éléments du culte catholique. Si vous êtes croyants, passez votre chemin !
Mais je n’ai pas quand même pas été assez « ferré » pour acheter les deux autres tomes de la trilogie.
Hier, j’ai acheté trois bouquins :
« La vie en sourdine » de David Lodge (Rivages)
« Les cerfs-volants de Kaboul » de Khaled Hosseini (collection 10/18)
« Saules aveugles, femme endormie » de Haruki Murakami (Belfond)
Je connais donc bien deux auteurs sur trois.
Je n’ai pas trop envie d’être surpris en ce moment.
10:21 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (4)
23/07/2008
Fable
1. Tout deuxpattes est un ennemi.
2. Tout quatrepattes ou tout volatile, un ami.
3. Nul animal ne portera de vêtements.
4. Nul animal ne dormira dans un lit.
5. Nul animal ne boira d’alcool.
6. Nul animal ne tuera un autre animal.
7. Tous les animaux sont égaux
TOUS LES ANIMAUX SONT EGAUX MAIS CERTAINS SONT PLUS EGAUX QUE D’AUTRES
La Ferme des Animaux, George Orwell (1945).
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14/07/2008
Acuité (2).
« Nouménios me fit parvenir une Consolation dans les règles ; je passai une nuit à la lire ; aucun lieu commun n’y manquait. Ces faibles défenses élevées par l’homme contre la mort se développaient sur deux lignes : la première consistait à nous la présenter comme un mal inévitable ; à nous rappeler que ni la beauté, ni la jeunesse, ni l’amour n’échappent à la pourriture ; à nous prouver enfin que la vie et son cortège de maux sont plus horribles encore que la mort elle-même, et qu’il vaut mieux périr que vieillir. On se sert de ces vérités pour nous incliner à la résignation ; elles justifient surtout le désespoir. La seconde ligne d’arguments contredit la première, mais nos philosophes n’y regardent pas de si près : il ne s’agissait plus de se résigner à la mort, mais de la nier. L’âme comptait seule ; on posait arrogamment comme un fait l’immortalité de cette entité vague que nous n’avons jamais vu fonctionner dans l’absence du corps, avant de prendre la peine d’en prouver l’existence. »
Mémoires d’Hadrien.
Marguerite Yourcenar
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