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03/01/2006

Gaffe 1/2

Encore sous le coup de ma dernière gaffe, je me lamentais à la clinique hier.

Ca m’a rappelé une ancienne gaffe, maintenant assumée ; et nous nous sommes raconté nos plus grosses bourdes, successivement, à la manière des alcooliques anonymes.

 

Mais d’abord la mienne.

Je vais voir une nième entrée, en fin d’après midi.

 

La patiente, la cinquantaine a « bénéficié » (comme on dit) de l’implantation d’une chambre implantable il y a 2 ans pour une hémopathie maligne (je ne sais plus laquelle).

Elle est donc suivie régulièrement, et tout va bien jusqu'à ce que le cathéter de la chambre se thrombose.

Le thrombus augmente de taille, et part dans les artères pulmonaires, d’où embolie pulmonaire. Ce n’est pas très fréquent, mais cette complication est connue.

Comble de malchance, l’embolie est sévère, et la patiente s’en sort de justesse.

 

Je vais la voir, mais sans connaître son traitement, qui devait être faxé plus tard.

 

Je rentre dans la chambre, et je mets un peu le pilote automatique.

Entrée sans grande difficulté, routine des explications, fin de journée…

 

A un moment, elle regrette à haute voix de ne pas avoir poussé l’hématologue à enlever cette chambre l’année précédente.

Elle regrette vraiment.

Ah ! Si seulement elle avait insistée, tout cela ne sera pas arrivé.

 

Je veux compatir, lui dire un mot gentil.

« Vous savez, vous n’avez pas à vous culpabiliser, la plupart des cas, il faut remettre la chambre quelques mois après l’avoir enlevée ; vous avez bien fait ! ».

 

Elle me regarde, se met à pleurer, et me dit : « ce n’est pas très réconfortant ce que vous me dites…. ».

Je m’en vais penaud, en marche arrière, en ânonnant quelques phrases confuses.

J’arrive dans l’infirmerie, le fax est arrivé.

Son traitement comporte au moins quatre psychotropes avec plusieurs anxiolytiques.

Ce n’était vraiment pas la personne qui était prête à entendre une connerie comme ça.

Ses 21 jours de séjour ont été un calvaire, elle nous a fait craquer, tout symptôme, même le plus petit hoquet annonçant une nouvelle flambée de son hémopathie.

 

 

 

Image trouvée ici

15/12/2005

La côte de boeuf

Il a plutôt bonne mine, je ne l’ai pas revu depuis la maison de rééducation dans laquelle il avait séjourné après son passage en enfer, il y a bientôt deux ans en février. Il pèse 55 Kg actuellement, pour un poids de 65 « avant ». Le « avant » se réfère à un passé proche, devenu tellement lointain, que je ne sais même pas si il s’en souvient.

Il est descendu à 39.

 

Nous avons dîné hier au soir, avec son père et Sally dans un bon restaurant de viande.

Cette famille de trois enfants vit sous le coup d’une malédiction, une atteinte cardiaque génétique rare, et ravageuse.

Son frère est décédé à l’âge de 14 ans (quand je l’ai connu, il avait 17 ans), sa sœur de 18 ans n’a rien pour l’instant.

Les parents sont indemnes, mais leur ont transmis de mauvaises cartes.

 

Je le regarde, et les souvenirs m’assaillent, de bons, et aussi de mauvais. Nous nous les remémorons avec son père.

 

Son état s’est dégradé en quelques semaines alors qu’il était en première.

Nous l’avions récupéré aux soins intensifs cardio, et avions pu stabiliser la situation.

Un jour, il avait fait un arrêt circulatoire, que nous avions pu récupérer in extremis, alors que ses parents remontaient le couloir pour venir le voir. Ils ont compris tout de suite, et le souvenir de leur premier fils a resurgi. Même d’avoir déjà été confronté à l’insupportable n’enlève rien à leur courage extraordinaire.

Après quelques semaines de soins, il allait mieux, c’était un peu la star du service. Les infirmières le traitaient comme un coq en pâte.

 

Un soir, mon co-assistant, l’interne et moi nous étions cotisés pour lui payer une pizza, pour lui faire plaisir. Incroyable à imaginer, avec le recul : en réa, sous amines, en insuffisance cardiaque terminale, entrain de croquer à pleines dents une pizza (mon co-assistant, de garde, lui avait poussé ensuite 40 mg de lasilix, au cas où…).

Ce fana de jeux en réseau m’a initié à cette drogue, et j’ai acheté le même portable que lui (un petit bijou de HP).

 

Nous avons tout essayé pour le stabiliser en attendant une greffe, même des acides aminés censés être défaillants dans son cas. Nous n’avions prévenu personne, mais leur effet secondaire principal est de donner une odeur corporelle très forte. J’avais oublié ce détail, quand les infirmières, et les parents, un peu gênés m’ont dit qu’il sentait de plus en plus mauvais, malgré une toilette de plus en plus frénétique. Il était devenu inapprochable !

 

Puis un cœur s’est présenté, nous étions plus que confiants.

Trop pour le destin.

Il a fait un choc post opératoire, et on a du lui mettre un cœur artificiel.

A ce niveau, son pronostic n’était même plus quantifiable.

Chaque jour qui passait amenuisait l’espoir.

 

Puis miracle, un autre cœur se présente. Miracle pour l’un , drame pour un autre.

Je vais voir le donneur potentiel en réa neurochirurgicale, confiant et aussi heureux pour mon patient. Je pose la sonde d’écho, avec le chirurgien regardant au dessus de mon épaule.

Consternation, le cœur n’est pas bon.

Le donneur est jeune, sportif, mais inexplicablement, le cœur n’est pas bon.

Après des hésitations psychodramatiques, les chirurgiens décident de le greffer.

Evidemment, cela se passe mal, et le lendemain il m’annonce, ainsi qu’à la famille que leur fils est quasiment mort.

Je les croise au pied de l’hôpital au petit matin, et nous pleurons ensemble.

 

Mais il s’en sort.

Son état quoique gravissime est stable.

Chaque jour de bonnes ou mauvaises nouvelles assaillent les parents.

Comme chaque fois qu’il ne sait pas, le corps médical raconte n’importe quoi et se contredit.

Même si je ne m’occupe plus de lui directement (sauf en garde, il est en réa de chirurgie cardiaque), le père m’appelle sur le portable quasi quotidiennement. Je ne sais plus que lui dire.

Un autre cœur se présente tout aussi miraculeusement.

Les chirurgiens envoient une équipe qui ne le connaît pas, « pour rester objectif », tellement la situation devenait invivable pour tous, malgré nos expériences cliniques parfois considérables (je ne parle pas pour moi).

Le cœur n’est pas bon.

 

Nouvel abattement.

Puis il remonte la pente, lentement mais sûrement.

Au bout de un mois et demi, on le réveille : il ne parle pas, réagit peu et est hémiplégique.

Nouvelle consternation, on touche le fond ; c’est presque pire que de le savoir mort.

Mais il s’accroche, récupère toutes ses fonctions sur de longs mois.

 

Hier, il a mangé une tranche de foie gras sur du pain grillé chaud.

Il est à la fac, a une charmante copine, et une voiture pas mal du tout.

Son avenir n’est pas tout rose, le séjour en réa a abîmé ses poumons, une intervention se profile peut-être dans 1-2 ans et il faudra le regreffer un jour.

Mais il est vivant, heureux de l’être, et en forme.

 

Son père a dit dans la soirée, que lorsqu’il repense d’où son fils revient, il est saisi de vertige.

Moi aussi, je me sens happé par un vide irrésistible.

11/12/2005

Le carreleur polonais.

Il n’était pas menaçant pour notre économie, je ne sais même pas si il a entendu parler du referendum.

 

Je le connaissais depuis 2-3 ans, la cinquantaine, il venait à ma consultation à l’Hôpital.

Il vivait dans un jardin public, ou près du centre de transfusion sanguine ; je le cherchais des yeux lorsque je tournais autour de l’Hôpital pour me garer.

Il avait une copine, polonaise elle aussi, décédée dans les suites d’un infarctus il y a quelques mois.

Je l’ai perdu de vue, puis l’ai retrouvé il y quelques semaines à la clinique.

Nous l’appelions « Monsieur Z », tant son nom était imprononçable.

Son cœur s’est considérablement dégradé en peu de temps, son destin était scellé.

Un soir de la semaine dernière, il s’est dégradé, j’ai appelé le SAMU pour le transférer en soins intensifs.

Je lui ai promis de venir le voir en lui serrant la main.

Il ne m’a pas attendu, il nous a quitté il y a cinq jours.