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18/11/2006

Un autre monde.

medium_marbella.jpgLa veille de ces histoires bien désagréables, j’ai rencontré un patient assez hors du commun.

Costume de prix, cravate Hermès rouge, il a la cinquantaine.

 

Je m’attendais à un simple ECG pour l’obtention d’un prêt, mais son histoire est plus compliquée.

 

Cet homme d’affaire espagnol est coronarien depuis 12 ans, on lui a proposé de se faire ponter en Espagne il y a quatre ans.

Il est très occupé, et les cardiologues n’ont pas insisté, peut-être devant une indication limite.

Depuis, il ne se fait pas du tout suivre, et il prend ses médicaments épisodiquement (notamment son aspirine…).

 

On discute un peu.

Ses affaires couvrent la cryogénisation d’ADN, les casinos sur le web, les télécoms, et probablement plus.

Il a des affaires en France, et à Las Vegas, Marbella, Barcelone...

Il parle français quasiment sans accent et connaît même quelques mots d’argot.

Sa femme, ancienne recrue de la sécurité intérieure cubaine était chargé de le surveiller lors d’un voyage d’affaire à La Havane.

Son beau-père est un général proche du pouvoir cubain.

Son tabagisme se limite à 1-2 cigares par-ci par là, du premier choix, bien évidemment.

 

Il a perdu beaucoup d’argent là-bas, à cause de la faible solvabilité du pouvoir, quelques millions, mais il ne semble pas en avoir trop souffert.

Sa vision des choses est étonnante, il voit tout par le prisme du bizness : il estime la potentialité pécuniaire de tout ce qui l’entoure.

N’ayant pas de sécu française, il s’apprêtait à me payer en sortant une grosse liasse de billets.

Je lui dis qu’il me payera tout après l’épreuve d’effort de lundi.

Cet examen ayant toutes les chances d’être positif, j’espère que tout se passera bien…

Sinon,  je vais serrer les fesses chaque fois que je vais  mettre  le contact de  ma voiture!

14:15 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)

17/11/2006

Post mortem.

Ce qui m’a le plus choqué dans cette histoire, n’est pas tant la brutalité du décès (c’est le lot quotidien des cardiologues), ni l’aspect du mort (la mort fait partie de la vie de tout médecin), mais qu’il soit mort à l’extérieur. Cela peut paraître curieux, mais ce détail n’en est pas un pour moi. Je n’ai jamais fait de SAMU/SP. Tous mes morts, et il y en eu, l’ont été dans une chambre, le plus souvent dans un lit. De même, ils portaient dans la plupart des cas une chemise d’hôpital, ou une chemise de nuit. Là, ce mort en civil et en liberté m’a impressionné. Je ne reconnaissais pas mon environnement familier et rassurant, penché sur ce corps entre deux carrosseries et sous une pluie battante.

J’ai même envisagé (maintenant ça me fait sourire) d’appeler la Police, tant cette mort me semblait inhabituelle. Pourtant, médicalement, elle ne l’était pas. Heureusement que je ne l’ai finalement pas fait, j’imagine avec gène ce que j’aurais pu dire à mon interlocuteur.

   

 « Un de mes patient est mort dans le parking de la clinique

Sa mort vous semble naturelle ?

Oui, il était très grave Alors pourquoi vous nous appelez-nous ?

Ben, parce qu’il n’était ni dans son lit ni en pyjama… »

 

  Il m’aurait pris pour un fou, incapable de comprendre l’importance du rituel qui entoure la mort à l’hôpital. On ne devrait mourir que subitement dans un lit, et en pyjama. C’est pourquoi je hais toute violence, qu’elle soit routière, guerrière ou autre et toute forme d’agonie.

    

Là, je suis en garde mais j'ai une envie poignante de serrer Sally dans mes bras.

  

°O°O°O°O°O°O°O°

 

Le dormeur du val

 

C'est un trou de verdure où chante une rivière,

Accrochant follement aux herbes des haillons

D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,

Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

 

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,

Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,

Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

 

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme :

Nature, berce-le chaudement : il a froid.

 

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;

Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

 

A. Rimbaud

21:45 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (2)

La marquise aura mauvais temps pour son voyage.

16h30. Il pleut des cordes, le temps est gris.

Je vaque à mes occupations dans la clinique. Appel général, je suis demandé en urgence à la réception.

La standardiste me dit qu’un patient est tombé dans le parking en contrebas. Je rejoins en courant une secrétaire partie en avant avec un sac pour se protéger la tête.

Nous ne voyons rien, à part les rangées de voitures. Tout est gris et délavé par la pluie. Nous avançons, et voyons un homme couché sur le côté gauche entre deux véhicules.

Je le retourne, ses yeux sont grand ouverts et ils ne cillent pas sous le choc des gouttes de pluie. Ses lèvres sont bleutées, son nez en sang et son visage est incrusté de gravillons, il ne respire plus. J’écoute son cœur et n’entend rien.

Les infirmières arrivent avec deux parapluies et nous protègent. Une d’entre elle se met à sangloter.

C’était un de nos patients qui est mort en revenant après avoir bu un café au bar du coin de la rue. Il revenait à la clinique aux côtés d’un autre patient, monsieur E. . Il pleuvait, la pente est un peu forte, il a alors proposé à ce dernier de ne pas l’attendre et ils se sont donnés rendez-vous dans le hall de la clinique. Au bout de cinq minutes, et ne le voyant pas arriver, Monsieur E. est redescendu dans le parking et l’a trouvé par terre. Il est remonté en courant donner l’alerte.

Le pauvre patient était tout heureux de rentrer à la maison lundi prochain. Son cœur était au bout du rouleau, mais il restait souriant et dynamique.

Il est mort seul dans un parking gris, inondé et entre deux voitures. Au moins il n’a pas souffert.

Je tente d’appeler la famille une bonne vingtaine de fois. Monsieur E. est très choqué, ils étaient devenus copains à la clinique.

Sur ces entrefaites, le médecin qui doit me relever m’appelle pour venir voir une femme enceinte essoufflée qu’il voit en consultation. Grossesse gémellaire deux mois, sous stimulation. Elle a mal à la jambe gauche.

Mon collègue fait l’échographie : bon ventricule gauche, énorme ventricule droit. Elle est polypnéique et tachycarde à 140 en sinusal. Je jette un coup d’œil en döppler : phlébite ilio-fémorale mais avec la veine cave libre. Le diagnostic est fait : embolie pulmonaire. On appelle le SAMU pour la transférer.

Elle est sage-femme et n’a peur que pour ses bébés.

Nous, nous sommes inquiets pour elle…

On la scope, la perfuse, et on lui met 6 l d'O² au masque. Sur son ECG, un axe droit.

J'obtiens enfin un des deux fils du patient décédé, je suis bref et univoque.

Je saute dans ma voiture pour faire ma garde en réa. C’est plus calme, je peux taper cette note, il est 21H05

21:05 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)