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06/10/2006

Au commencement.

medium_Au_commencement.jpgSamedi 27 juin 1998, il faisait chaud.

Je rangeais des dossiers dans notre bureau (mon co-interne était un faisant-fonction syrien, quasiment inintelligible). C’était mon deuxième choix d’interne de cardio et je revenais d’un séminaire d’électrophysiologie à La Grande Motte.

Certes, j'étais à l’Hôpital un samedi matin, mais tout était calme et paisible.

Une infirmière apparut à l’encadrement de la porte.

« C’était bien, La Grande Motte ? 

- Uhmm, je n’ai jamais aimé l’électrophysiologie, mais on s’est baigné, et c’était très sympa.

- J’ai un problème, je suis attiré par quelqu’un, mais je n’arrive pas à le lui dire.

Une petite voix me dit alors que je vivais un moment seuil dans ma petite vie quotidienne bien morne et solitaire : "wait and see".

- Dis le lui ! (Je n'allais pas lui dire le contraire…. Je ne l’avais pas particulièrement remarquée, en plus je n’aimais pas trop les rousses à cette époque (!!), mais la situation pouvait devenir intéressante pour un mort-de-faim comme je l’étais)

-Bien voilà, c’est toi !

- Ah ! (Encore une fois "wait and see" ; surtout pas de parole inopportune, faire l'intéressé, mais pas trop. Bref du tact. En fait, ne rien dire du tout, c'est le mieux)

- Mais je suis ennuyée dans mon état…

- C’est quoi ton état ?

- Mais enfin (d’un coup très énervée), je suis mariée !

- Ah, et bien, ça ne me gène pas (manquerait plus que ça, pas de moralisme mal placé…), c’est juste pour le sexe ?! (Genre vieil habitué, un peu blasé, que je n’étais pas du tout)

- Ben oui, je ne vais pas quitter mon mari pour toi !

- Tant mieux (Heureusement ! La situation avait pris subitement une évolution potentielle un peu trop ambitieuse à mon goût. Saisir l’occasion qui me tombe toute cuite dans les bras, certes, mais surtout rien de plus). Tu termines quand ?

- Début d’après midi, on se retrouve devant la cathédrale. Tu vois ou c’est ?

- Oui (en fait non, mais j'ai demandé mon chemin), 15h30 ?

- OK.

 

Après son départ, je me revois tourner dans mon vieux fauteuil à roulettes, estampillé « Centre Hospitalier ». J’avais un peu le vertige, mais pas à cause de mes rotations.

"Bon, maintenant, va falloir déconnecter la substance blanche, et laisser conduire le système limbique...."

 

Huit ans et deux enfants plus tard, nous sommes toujours ensemble.

Alors que tout avait commencé par deux gros mensonges et dans l'immoralité la plus totale.

Le Paradis est parfois pavé de mauvaises intentions.

La buée dans les yeux.

medium_buee.jpgHier soir, j’ai accueilli un homme d’une cinquantaine d’année après un infarctus du myocarde assez important.

Je rentre dans sa chambre ; il est assis, entouré de sa femme et de sa fille.

Il est cadre supérieur dans une grande banque.

On discute de la rééducation et plus généralement de son séjour dans l’établissement.

Je lui fais remarquer que ce n’est pas le premier banquier que je vois avec un infarctus.

Malgré la totale absence de pertinence de cette remarque, l’atmosphère change brutalement dans la chambre. Ils se regardent, se figent imperceptiblement en baissant la tête.

« Peut-être vous souvenez vous de mon fils ? », les yeux embués et la voix cassée.

« Comme ça non, il travaillait avec vous ? »

« Oui, il n’est resté que deux jours ici, avant de retourner à l’Hôpital et … »

« Je comprends, je ne me souviens pas de lui, avez-vous une photo ? »

En disant ça, je me suis demandé pourquoi je l’avais fait. On agit parfois sur des impulsions mystérieuses.

La maman me tend un cliché : « C’est notre petit râleur ».

En le découvrant, je me suis remémoré : « Nous avons partagé un malheur commun. J’espère ne pas l’avoir fait resurgir  ».

« Vous savez, nous le ressassons tous les jours depuis 1 an et demi ».

Je suis sorti de la chambre avec le fantôme de ce qui s’était passé devant les yeux, je suis allé voir l’infirmière qui était aussi présente ce soir là.

Atteint d’une péricardite radique en stade terminal et inopérable, il n’avait pu quitter l’hôpital que deux jours pour venir s’échouer chez nous. Au bout de 48 heures, étouffant comme un poison hors de l’eau, il était reparti par le SAMU. Ils y étaient, moi aussi, il avait 20-25 ans. Tout m’est revenu progressivement, la tristesse au premier plan.

Ses proches en sont sortis brisés.

Ce matin, en faisant l’épreuve d’effort au papa, j’ai remarqué qu’il portait au cou le portrait de son fils gravé sur une médaille en or.

15:43 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)

05/10/2006

Les bienveillantes : mi parcours.

medium_lesbienveillantes.2.jpgJe donc suis à la moitié de ce voyage au bout de la nuit, et c’est le moment (étant donné la taille du pavé) d’en tirer quelques conclusions.

 

Le premier chapitre m’a beaucoup impressionné, tout ce que l’on dit que l’auteur a voulu mettre dans ce bouquin y est. (Périphrase un peu longue pour dire que l’on ne peut jamais savoir ce que l’auteur a voulu dire dans une œuvre, lui y compris).

 

Le livre aurait pu s’arrêter là, cela aurait fait une nouvelle merveilleuse.

De « Toccata » à « Sarabande » (chapitre en cours), défile une succession d’images tragiques, au mieux tragi-comiques décrites avec froideur.

A certains moments, j’ai cru que je m’étais trompé et que j’avais repris par erreur le « Hitler » de Kershaw. Les faits y sont décrits comme un historien le ferait. Ne vous attendez donc pas à de belles phrases délicieuses et virtuoses.

Ce serait plutôt :

« Le SS-Obersturmbannführer Müller pénétra dans le bâtiment de l’OKH, évacué la veille par le NKVD, et salua le Hauptman Orst détaché par l’Abwher auprès du Einsatzgruppe B en charge du secteur Caucase-Sud. Ses relations avec les autres membres du RSHA étaient déplorables.».

La phrase est de moi, ne la recherchez pas dans le livre, mais par moments, c’est tout à fait ça.

Quand aux horreurs décrites par le menu, elles ne m’ont pas particulièrement troublées ou fascinées (j’ai lu à ce sujet un article édifiant dans « Paris-Match »). « La liste de Schindler » et « Le pianiste » ont déjà tout dit de façon magistrale.

Je ne parle même pas du faux scandale de l’absence de repentance du héros (ancien SS, bien intégré dans la société française de l’après guerre). Je suis persuadé qu’un peu de scandale ne peut qu’être favorable aux ventes, et je suis certain de ne pas être le seul à y avoir pensé.

Le récit est tellement déshumanisé dans sa narration que l’on ne se rend presque plus compte qu’il est écrit à la première personne. Ce point de vue assez artificiel engendre une gêne cent fois moindre à celle que j’ai éprouvée en lisant « le Roi des Aulnes ». Là ou il n’y a pas identification (même minime), il n’y a pas de passion.

 

Enfin, le héros, membre de la SS, est homosexuel, comme on pourrait presque s’y attendre tant cette image est devenue un cliché depuis « Les Damnés » de Visconti. Pour l’instant, cela n’apporte pas grand-chose au récit.

 

En fait, je pense que pour être intéressé par ce livre (je ne parle même pas de l'aimer), il ne faut rien avoir lu, ni vu sur les atrocités nazies. Sinon, il n’apporte rien de plus a ce qui a déjà été dit et montré ailleurs.

 

Tout de même, la seule chose qui me semble notable dans ce livre est l’idée que quiconque peut devenir un monstre si les conditions s’y prêtent.

D’où la nécessité d’être sans cesse vigilant.

Plus jamais ça.

 

 

 

20:35 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (3)