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18/10/2006

L’éloge de la tabagie.

medium_Tabac.jpgBonjour, noble assemblée, permettez-moi de me présenter, bien que beaucoup parmi vous me connaissent déjà.

Pour les autres, je suis la tabagie. 

Je parais devant vous pour me défendre d’un bien vilain procès que certains Tartuffe voudraient m’intenter. Oh, je vois bien que certains d’entre vous qui se croient dans leur bon droit ou qui ne m’ont pas connue me lancent des regards mauvais ; les autres baissent les yeux, ceux qui ont honte d’être mes intimes, ou pire encore, ceux qui croient pouvoir se passer de moi.

Mais ceux-ci me reviendront, éperdus ; ce n’est qu’une question de temps.

De quoi avez-vous honte ?

Etes-vous donc assez bêtes pour croire les Cassandre qui me condamnent ?

Il n’y a qu’une seule Cassandre, et je l’ai bien connue. Cette petite oie a bien mal fini à force d’avoir toujours raison, et sa chère Cité s’est élevée au ciel comme toute bonne cigarette, comme un nuage de fumée.

Vous semblez surpris. Vous ne pensiez tout de même pas que je suis la fille de Nicot. Brave homme, au demeurant, qui m’a donné un essor remarquable, mais j’y reviendrai. Seule, je parvenais à atténuer les migraines de Catherine. Pardonnez-moi mon intimité avec cette grande reine de France, mais elle me doit bien cela. Son mari, qui ne me goûtait guère, a d’ailleurs fini avec un sacré mal de tête !

Mais, même si je ne fais pas mon âge, je suis immémoriale. Les premiers hommes fumaient bien avant Nicot. Déjà, un de mes premiers adeptes, un roi assyrien (je ne me souviens plus de son nom, excusez ma mémoire, cela fait si longtemps) s’est fait représenter fumant sur un petit cylindre. Vous le voyez, je suis un plaisir de Rois.

Et même au delà, puisque, pauvres mortels, qu’offrez-vous donc en offrande à toutes vos divinités depuis les Esprits de la forêt, jusqu’à Jésus-Christ, sinon de la fumée ?

Ce n’était pas encore du tabac, mais qu’importe, l’idée y était déjà.

Sautons d’un pas allègre quelques siècles, et rapprochons-nous de Nicot.

Luis de Torrès et Rodrigo de Jerez, compagnons de Colomb avaient déjà subodoré que les sauvages découverts en cette année 1492 ne sont pas ceux qui le semblent au premier coup d’œil. De rage devant tant de raffinement, les Européens, jaloux, les ont massacrés. C’est comme cela que ça s’est passé, pas autrement, je vous le dis :

"Nous observâmes avec inquiétude ce qui nous a semblé être un sacrifice rituel par le feu, car nombre de ces indigènes portaient à leur bouche des tubes ou des cylindres se consumant à leur extrémité et ils les suçaient, des tubes à travers lesquels ils aspiraient de la fumée, et de leur apparent confort nous en déduisons qu'il doit s'agir d'un rituel important dont ils semblent éprouver une satisfaction des plus grandes.  Nous vîmes même d'ailleurs ces indigènes s'offrir les uns aux autres ces tubes étranges et les allumer".

Quel merveilleux texte: fumer, « une satisfaction des plus grandes », « un rituel» !

Tout est dit.

Ensuite, j’ai conquis le Monde, et les hommes ont honoré celui qui m’avait fait connaître : la nicotine était nommée.

J’étais un remède universel, une thériaque contre tous les maux. Et contrairement à cette illustre mais bien vaine panacée, point besoin de dizaines d’ingrédients pour soigner. Un seul, la nicotinia me suffisait.

Je ne vais pas me gargariser de mes conquêtes, vous seriez lassés.

Mais que ferait Humphrey Bogart de ses dix doigts sans moi ? Imaginez-vous une femme fatale avec une pâquerette dans les doigts à la place de son porte cigarette ? Sans moi, le cinéma serait bien fade.

Encore un exemple, le dernier.

Que propose-t-on au condamné à mort, avant de le faire basculer dans le néant, sinon une dernière cigarette ? On ne lui offre ni fleur, ni femme !

Que font beaucoup après l’amour ?

Fumer, sinon quoi faire, mâcher du chewing-gum ?

Imaginez ces milliers de couples de ruminants couchés dans leurs draps de soie !

Ridicule !

Un dernier mot sur ceux qui me décrient tant, les médecins.

Comme je l’ai déjà dit, il m’ont adoré, avant de me brûler (ce qui en soit même n’est pas si désagréable). De panacée je suis devenu un « facteur de risque ».

Quel vilain mot, quelle vilaine évolution. De plaisir royal, voire divin, je suis devenu un « risque » !

Donc, vous, médecins, qui me condamnez, 1/3 d’entre vous me fréquentez en cachette de vos patients, comme si vous aviez honte de moi. Ensuite vous vous aspergez d’eau de toilette bon marché puis mâchez, encore une fois, du chewing-gum. Ruminants vous êtes, ruminants vous resterez !

Vous m’écœurez, car vous mordez la main qui vous nourrit. Imaginez vos salles d’attente bien pleines, sans moi : vides comme le désert de Gobbi. Adieu Cayenne, piscine, maîtresse !

Tout cela, vous me le devez, ne l’oubliez jamais !

Vous connaissez le pari de Pascal ?

J’ai le même, en mieux.

Supposons que ma cigarette tue. Je dis « supposons », car la science ne l’a montré que récemment, et mon ami Philippe Maurice m’a dit que toutes les études de mortalité étaient biaisées. La science est comme la fumée d’une cigarette, elle aspire à s’élever droit, mais est déviée par le moindre zéphyr.

Donc, supposons que ma cigarette tue.

Et bien tant mieux !

On dit que je suis responsable de 60.000 décès par an en France, autant de voitures en moins dans les embouteillages le matin et le soir, autant de personnes en moins devant vous dans la file d’attente devant un guichet de la Poste ou devant le Virgin du coin pour acheter un billet pour aller voir Madonna !

Je sais, je sais, ne me remerciez pas, je sais rester modeste.

 Prenons un peu d’ampleur.

Le problème grandissant de la surpopulation, de la diminution des ressources terrestres ?

J’éliminerais donc 4.9 millions de personnes dans le Monde, et probablement deux fois plus dans 20 ans. Et vous me reprochez de vicier votre air ? Alors que, bien au contraire, je le purifie en limitant le nombre d’êtres humains pollueurs !

Le réchauffement climatique ?

Je suis encore là !

Moins d’hommes, moins d’activité industrielle, moins de voitures, donc moins de gaz à effet de serre.

Je vous le dis solennellement : je suis la solution de bon nombre de vos problèmes ; bien plus, je suis votre avenir.

Et puis, au niveau individuel, que voulez-vous ? Devenir immortel ?

Primo, vous ne l’êtes pas, secundo, si c’est pour finir seul au monde dans une maison de retraite subventionnée, non-merci. Avec moi, vous finissez dans la fleur de l’âge, aimé et entouré puis pleuré de vos proches, avant d’être un fardeau pour votre famille.

Maintenant, supposons que ma chère cigarette ne tue pas.

Alors, pourquoi cette chasse aux sorcières ?

D’ailleurs, que fait-on à ses malheureuses, sinon les brûler ?

Vous le voyez, je ne suis coupable de rien et je rends des services immenses mais méprisés par la communauté.

Un bon geste, ne me condamnez pas ; mieux, réhabilitez-moi !

Vous n’en auriez pas une ?

°O°O°O°O°O°O°O°O°O°O°O°O°

Merci à Erasme.

Merci au site de l'OMS.

Merci à ce site.

 

 

 

Edition: correction des nombreuses fautes de frappe ;-) 

15:00 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (9)

17/10/2006

La cérémonie

medium_these.jpgHier, j’ai assisté à la thèse d’un copain, rue de l’Ecole de Médecine.

Ca m’a rappelé la mienne, et le cérémonial très précis en général (bien que très variable selon les facultés).

 

Le candidat arrive environ 30 minutes avant l’heure prévue, pour tester la connexion entre le portable et le projecteur. L’assesseur, corse par tradition et par cooptation vérifie que tout est en ordre et donne les dernières consignes. Ensuite, il nous aide à enfiler la toge noire avec épaulette d’hermine. En l’ajustant, au besoin à l’aide d’épingles à nourrice, il glisse à l’oreille du candidat avec un accent inimitable : « L’entretien de la toge coûte cher, et nous n’avons pas de budget… ».

Comprenne qui pourra !

Généralement, tout à son stress, on lui glisse 40-50 euros dans la main. Quatre à 5 thèses par semaine, 20 par mois, soient 800-1000 euros par mois.

Un véritable gouffre, cette toge qui est en fait une ignoble pelure qui n’a pas vu un pressing depuis son tissage dans les années 70. Ou passe donc tout cet argent ? Le nez rubicond et les extrémités tremblantes, les grosses gourmettes (ou est invariablement inscrit le prénom « ANGE ») et les lourdes cartes en or massif et en relief de la Corse pendues au cou de chaque assesseur pourraient être une piste intéressante. Mais en général, on pense plus à la cérémonie à venir qu’à s’offusquer de cet impôt révolutionnaire, de cette offre « que l’ont ne peut pas refuser ». Le dernier qui a essayé a trouvé le soir même dans son lit une tête de cheval mort.

 

La salle est lambrissée, sauf le mur du fond ou s’étale une fresque qui n’a d’hellénistique que le nom et qui aurait été peinte par un disciple aveugle de Alma-Tadema.

 

Une estrade supporte une table massive en bois sombre, entourée de chaises pour le jury et le candidat. Sur la table trône un buste d’Hippocrate. Comme personne ne sait à quoi ressemblait le grand homme, il s’agirait en fait du buste du grand oncle par alliance du cousin germain (bien que né à Calvi) de l’appariteur.

 

 L’ensemble est séparé du public par une barrière en bois.

 

L’assesseur annonce le jury, le public se lève, les membres herminés déboulent à la queue leu leu.

Brève phrase introductive du président du jury : « Nous sommes ici pour examiner le travail de Monsieur X., en vue de lui accorder le titre de Docteur en Médecine. Veuillez commencer ».

La présentation sur Power Point dure environ 20 minutes. En général, les jurys les plus âgés en profitent pour se curer le nez.

Ensuite, le candidat monte sur l’estrade et s’assoit au milieu du jury pour répondre aux questions.

Le plus jeune agrégé commence ; en général c’est le plus pervers, avec les questions les plus délicates. Avant d’entrer dans le vif du sujet, chaque membre du jury fait un panégyrique du candidat («l’interne le plus çi, le plus ça qu’il m’ait été donné de voir… »).

Dans mon cas, un des membres me connaissait à peine, il a quand même brodé un éloge de 5 minutes.

Quel numéro d’acteur !

Invariablement, le Président du jury termine et pose en général les questions les plus gentilles (il est souvent à l’origine du travail, il n’a pas trop intérêt à le démolir…).

Puis le jury sort pour délibérer.

Comme la messe est dite par avance, je me suis toujours demandé ce qu’ils pouvaient se raconter : week-end en mer, au ski, dernières frasques d’untel…

Le jury revient. Le public se lève, et reste debout.

Petit speech du Président qui dit que le jury a accordé le titre du Docteur de Médecine à Monsieur Untel avec mention (le plus souvent très honorable). Il invite enfin le maintenant Docteur en Médecine à prêter serment en levant la main sur le front dégarni d’Hippocrate (de son vrai nom Ange Petrucciani, mais personne d’autre ne le sait…).

Ensuite, en général, c’est là que la famille pleure de joie et de fierté.

 

Ca finalement, tout ce décorum ne sert qu’à une seule chose, comme l’a si joliment dit un de mes anciens patrons (et membre du jury) :

 

« Alors, j’ai réussi à faire pleurer mémé?

- Oui, Monsieur

- C’est l’essentiel. »

 

Tout est dit.

12:55 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (7)

14/10/2006

Tout est une question de point de vue.

medium_VM.jpgJ’ai discuté avec une visiteuse médicale récemment.

Comme je l’ai déjà expliqué, je ne reçois plus la VM (visite médicale) depuis la fin de mon assistanat, à l’exception des visiteurs que je connais depuis longtemps, et avec qui j’ai plaisir à discuter.

En général, ils ont plus de 20 ans de métier, et leurs présentations sont encore informatives. Ce mot est important, car leur statut exact est celui d’ « informateur médical », et non pas de vendeur.

Il y a 30 ans, un directeur régional avait dit à celle qui était alors une toute jeune recrue : « Votre rôle principal est d’informer, et pas de vendre des boites de médicaments !! ».

C’est étonnant, mais c’est ainsi ; le métier a beaucoup évolué, depuis.

Les « vieux » visiteurs gardent d’ailleurs leurs réflexes en compilant sur le net, ou via le service d’information du labo, des études concernant leurs produits, ou ceux de la concurrence.

Bien sûr, leur présentation reste partiale, mais elle est documentée. Par ailleurs, ces lectures leur permettent de garder leur esprit critique, et dans une certaine mesure une certaine acceptation de la contradiction. Certains visiteurs avaient même des notions de physiologie, pour étayer leurs discours.

 
Comme pour tout, le système s’est perverti avec le temps, l’information s’est transformée en désinformation, et les gestes « commerciaux » se sont transformés en collusion, voire corruption ne voulant pas dire son nom.

Après cette phase de grand n’importe quoi, ou la désinformation et les coupes de Champagne régnaient en maîtresses (c’est toujours un peu le cas), arrive petit à petit une période d’hyper réglementation ou le visiteur ne pourra bientôt qu’ânonner les RCP du produit.

Les laboratoires recherchent donc souvent des représentants assez stéréotypés, « présentant bien », c'est-à-dire idéalement blonde aux gros seins, peu farouches et à la jupe courte, capables de sortir un petit texte par cœur. De beaux perroquets, des aras, en quelque sorte (comme la profession médicale se féminise, il va bientôt falloir trouver des visiteurs au look « Chippendales »).

Je sais ce que vous vous dîtes, je caricature.

Bien sûr, je l’avoue, mais à peine.

La semaine dernière donc, je discutais avec une « ancienne ».

Une blonde aux gros seins, et à la jupe courte et noire rentre dans le service d’a côté. Elle porte une petite valise qui l’identifie immédiatement.

Elle nous jette un regard, hésite, mais continue son chemin.

Mon interlocutrice sourit :

« Elle est du même labo que moi. Nous nous sommes déjà croisées 4 fois. A chaque fois elle me demande si je suis nouvelle. A chaque fois je lui réponds que oui. La cinquième, je vais l’emplâtrer ! ».

Je me souviens aussi de cette visiteuse qui me vantait un bétabloquant, car il avait un "énantiomère". Elle ne savait pas ce que c'était, et n'imaginais même pas l'inutilité totale de cette particularité pour le bien-être du patient.

   

Des aras, je vous dis. 

De quoi discutions-nous ?

Ma visiteuse, jusqu’à récemment présentait deux produits : A et B. Même indication, mais B vient de sortir, et a (un peu) moins d’effets secondaires que A. Bien évidemment, le labo mise tout sur B. Les visiteurs ont donc été formés pour « démolir » A par rapport à B.

Le problème est que B n’a pas marché, à cause d’études pas si bonnes que ça.

Le labo a donc vendu B à un concurrent.

Donc marche arrière toute, les visiteurs doivent maintenant démolir B.

De quoi en perdre son latin, non ?