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09/02/2005
Le singe nu
Deux histoires drôles et vraies pour terminer la journée.
Je retrouve un soir Sylvie, mon interne et les infirmières hilares.
Elle avait reçu un patient dont la langue maternelle n'était, de toute évidence, pas le français, et par malheur il était quasi aphasique à la suite d'un accident vasculaire cérébral.
Ma consciencieuse Sylvie va l'examiner, et à bout, après 15 minutes d'un interrogatoire et d'un examen neuro à sens unique, elle termine ce dernier par la phrase définitive:
"MONSIEUR, B-O-U-G-E-Z les quatre mains"
Une autre, toujours de Sylvie:
Je buvais le café, avec deux autres médecins hommes, et Sylvie.
Nous parlions de choses et d'autres (surtout d'autres....)
Sylvie, dans le feu de la conversation nous assène un:
"De toute façon, c’est facile pour vous (sous entendu les médecins mâles), même quand on n’a pas le physique de Robert Redford, habillé d’une blouse blanche, vous pouvez coucher avec toutes les infirmières que vous voulez…. »
C’est tellement vrai, que nous vivons tous les trois avec une infirmière.
Nous avons éclaté de rire, et nous avons hué la pauvre Sylvie qui ne savait ou se mettre.
23:30 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (0)
Vulnerant omnes, ultima necat.
La mort est omniprésente en médecine, singuliérement en cardiologie ou elle frappe comme l'éclair ("la mort subite"), ou elle envahit le corps et l'esprit à petit feu (les insuffisances cardiaques terminales).
J'ai assisté aux deux, des centaines de fois.
J'ai acquis avec le temps une capacité d'abstraction, qui permet de me protéger contre de telles épreuves (comme beaucoup de médecins). La difficulté est de pas tomber de Charybde en Sylla, entre l'indifférence voire le cynisme, et l'hypersensibilité.
Chaque situation est différente, il est impossible de se donner une ligne de conduite claire.
Une constante, peut-être (en tout cas pour moi), liée à la législation actuelle et à la préservation des familles: ne jamais parler d'euthanasie, ne jamais demander ce que la famille souhaite que l'on fasse.
Primo car cette pratique est toujours illégale.
Je ne sais même pas si il faudrait la légaliser, "institutionnaliser" une situation toujours extrême, et toujours différente. Comment enfermer dans une loi une situation aussi protéiforme, et aussi "fondamentale"?
L'hypocrisie qui règne dans mon milieu me choquait, on ne parle jamais de ce sujet, tout est fait en catimini (ou parfois, pire, rien n'est fait...). En vieillissant, je trouve moins choquant ce voile pudique, à condition que chacun assume de prendre une décision, quand elle est nécessaire.
Secundo, car on ne peut pas se défaire systématiquement d'un tel fardeau en laissant prendre la décision à une famille souvent désespérée, et privée de tout repère médical. Je n'infantilise pas les proches, mais j'espère leur éviter de prendre une décision qu'ils pourraient regretter plus tard. Enfin, certaines situations cliniques sont si complexes et d'issue si incertaine, que même un médecin chevronné peut être désemparé.
Heureusement que la question d'une euthanasie ne s'est, pour l'instant, que rarement posée à ma conscience.
En fait, une fois seulement de manière aiguë.
J'étais de garde un soir, et une infirmière m'appelle du service d'ORL: un de ses patients s'étouffe, et elle pense que c'est cardiaque.
Sur place, je vois qu'il n'a rien de cardiaque.
Ce patient de 70-75 ans avait un cancer du larynx qui envahissait peut-être la trachée. Pour le savoir, on lui avait fait avaler de la baryte pour observer son trajet sous scopie. Il y avait en effet une fistule...
Peu de temps après son retour dans le service, il s'étouffait.
Sa femme, du même âge dormait dans un lit de camp dans sa chambre. Evidemment elle était affolée, et suppliait de lui dire qu'il allait s'en tirer.
Pronostic terrible à court terme, mort horrible par étouffement, cul de sac d'une éventuelle ventilation mécanique, femme aimante et désespérée.
Que faire....
Je l'ai récupéré en cardio, et j'ai expliqué à sa femme que c'était la fin.
Après avoir parlé aux infirmières, et demandé leur avis, j'ai préparé une perfusion que je lui ai installée (je ne voulais pas qu'elles le fasse).
Il s'est arrêté de respirer quelques minutes après, dans les bras de sa femme.
Le plus difficile n'est pas de prendre la décision, mais de la prendre seul, d'ou l'importance d'en parler avec une équipe infirmière en qui l'on a confiance (et vice versa).
J'ai passé un mauvais moment car techniquement, et dans l'absolu, j'ai tué ce patient.
Ce qui est la pire des chose pour un être humain, est encore au delà pour un médecin.
Mais je pense que ce patient, que je n'ai jamais connu, méritait, comme nous tous, une mort humaine et digne.
Le plus difficile est toujours pour ceux qui restent.
23:00 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)
Les marchands du Temple
Je suis une professionnelle.
J'ai été formée pendant 1 an de manière intensive, et j'ai mon bac.
Mais j'ai quelque chose de plus que toutes les autres, un instinct carnassier sans faille.
J'ai explosé tous mes objectifs le mois dernier, mais je peux encore faire mieux.
Putain d'ascenseurs, encore en panne.
Je suis parfaite ce matin, petit ensemble en cuir noir, à la fois sage et un peu coquin, petit chemisier rouge qui laisse entr’apercevoir ma poitrine. Si je ne tirais pas cette satanée petite valise Delsey à roulettes, qui dépareille mon ensemble, je crois que je me désirerais.
En plus, elle pèse son poids; je la déteste.
Qu'est ce qu'il a ce type avec son trou dans le cou?
Il a un regard vitreux, beurk, il me regarde...
Je le déteste.
Qu'est-ce que je fais dans cet ascenseur avec tous ces vieux glaireux....
Ouf, il sort avant moi.
Enfin, mon terrain de chasse.
C'est ma première visite depuis le changement.
Je déteste ces changements.
Je suis la meilleure.
Couloir à droite, deux fois, petit regard sur la gauche à travers la baie vitrée du secrétariat.
Que du bleu, et du rouge. Il est encore trop tôt, ils n'y sont pas encore.
Je le sais, je suis une professionnelle.
Je laisse les ascenseurs à droite, je prends à gauche.
Petit coup d'oeil circulaire.
Je cherche mon coin favori, trois chaises en bois au verni fendillé, fixées sur une barre métallique.
Elles sont parfaites pour l'affût, en peu en retrait, avec une vue imprenable sur le hall où se jettent 4 ascenseurs (dont 3.5 sont toujours en panne), et surtout qui est le point de convergence de 3 couloirs.
Un noeud de communication, aurait dit mon ex., qui avait fait des études.
Je suis une professionnelle.
Merde, un groupe de gitans squatte mon territoire de chasse.
Je les déteste.
Les hommes fument, les grosses femmes ne font rien pour contrôler leurs marmots qui piaillent et courent de partout.
Je croyais que le silence était de règle ici.
Je les déteste.
Plan B (Je suis une professionnelle...)
Couloir à gauche.
Petit regard circulaire.
Un groupe de tâches blanches à droite, à 15 mètres.
Je retiens mon souffle.
Je suis prête à bondir, mais déjà j'enregistre des informations utiles: jeunes, l'air insouciant, jeans troués/blanchis, nombreux (5-6), bruyants, stéthoscopes dans la poche.
Pas intéressants, je leur balancerai quelques règles ECG plus tard, une fois ma proie capturée
Je prends le couloir de gauche.
Je le traverse avec toute la grâce dont je suis capable.
Des râles, des appels, des toux, des crachats, des pets.
Quelle horreur.
Mais il faut en passer par là
Je suis une professionnelle.
Une naine, mal mise, la cinquantaine, dans une tenue blanche (BLANC, mais c'est un faux ami, dont il faut se méfier), encore trop grande pour elle, deux dents de devant pointant comme un soc de charrue (je sais ce que c’est, mes grands parents étaient agriculteurs).
Je la connais, je la déteste.
Mais elle peut m'être utile.
"- Bonjour (sourire éclatant), vous savez ou il est ?
- Qui ça? (petit sourire agriculteur malveillant)
Elle est conne ou quoi?
- Ben...
- il doit être dans la pièce à côté...., vous n’avez pas des stylos ?
- Pas sur moi, je les ai laissés dans la voiture....
- ... (sourire bovin crispé)"
Je passe à côté.
Tenue blanche, fille (dommage...), jean mais ni bleu ni blanchi.
Doute...
"- Bonjour (sourire éclatant), vous êtes interne?
- Euhhh, j'ai pas le temps...
- Nous ne nous sommes jamais vues?
- Je viens d'une autre ville, je suis un peu pressée ce matin, c'est mon premier jour (moue crispée)
Salope, mais je t'aurais quand même
- 30 secondes, un produit nouveau, r-é-v-o-l-u-t-i-o-n-n-a-i-r-e.
Regard résigné
- alors vite...
Je suis une professionnelle.
Vite dans la Delsey, le prospectus avec plein de courbes dedans (il faudra quand même que je demande un jour ce qu'est "un petit p...")
- STANTOR 0.4 mg, nouvelle statine microdosée, biodisponibilité optimale car sous forme de S-énantiomère (euhhh.... pourvu qu'elle ne demande pas ce que c'est, vite, vite passons....), moins 40% de LDL-cholestérol en trois mois.
- c'est bien
Elle remonte dans mon estime, elle aura peut-être un petit stylo, à la fin.
- mais combien de réduction de morbi-mortalité, à combien est le p ??
Merde, une intellectuelle.
Plan B.
Je suis une professionnelle.
- Dans ce tableau, vous voyez que 0.4mg de STANTOR font mieux baisser le LDL que 20 mg de TEHOR, ou 60 mg d'ALISOR...
Ca ne veut rien dire, mais ça produit toujours son effet.
- Uhmmm, c’est bien, et la morbi-mortalité?
- Moins de LDL, égal moins de morbi-mortalité (tout le monde le sait, même mon concierge...), et STANTOR, première statine microdosée (0.4 mg) est la meilleure pour faire baisser le LDL.
- Intéressant...
Ben voyons, je suis une professionnelle.
- Si vous voulez manger un morceau à midi, je peux vous inviter avec vos co-internes, entre jeunes cardiologues prometteurs (sourire éclatant), nous ne le dirons pas aux chefs (petit sourire de connivence, surtout, je suis un peu juste sur le budget ce mois çi, je prévoie même les fins de mois, je suis une professionnelle ).
Elle fait un grand sourire, c'est gagné
- Uhmmm, c'est mon premier jour d'assistanat aujourd'hui, si vous voulez inviter les internes, ils sont à l'office au café. Au revoir...."
Je suis une conne.
09:50 Publié dans Prescrire en conscience | Lien permanent | Commentaires (2)