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15/04/2007

Le médecin-patient.

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Avec le « Cardiologue-cardiaque », je n’avais fait qu’effleurer une situation peu explorée dans les pourtant milliers de pages consacrées à la relation médecin-malade.

 

Qu’en est-il quand notre patient est un autre médecin, et qu’il est atteint d’une pathologie grave ?

 

J’ai trouvé un très bon article du JAMA (en accès gratuit à condition de s’être enregistré) qui ouvre des perspectives intéressantes sur ce sujet.

 

Les auteurs partent d’une histoire vraie.

Un médecin, le Docteur B., chef de service développe à 50 ans une insuffisance cardiaque.

Il consulte un jeune cardiologue qui le considère comme son Mentor.

L’évolution se fait sur une dizaine d’années et le patient bénéficie de l’implantation d’un pace-maker, puis d’un défibrillateur implantable. Il refusa obstinément toute coronarographie car ses tests fonctionnels coronaires demeuraient normaux.

Au bout de 10 ans, il développe une hémopathie maligne qui va nécessiter un suivi auprès d’un hématologue un peu moins soumis (et aussi plus expérimenté, car il avait suivi son propre père, médecin lui aussi) et aussi l’implication croissante de son propre fils qui devient son médecin traitant.

Finalement, le Docteur B. décédera de son hémopathie après une longue période de déclin. Tout au long de sa maladie il s’impliquera énormément dans ses soins, parfois au grand dam de ses soignants.

 

Les acteurs de l’histoire (je soupçonne que le premier auteur est en fait le fils du Dr B.) vont faire le point sur leur attitude respective, afin d’en tirer des conseils pour gérer une situation qui n’est jamais simple.

 

L’article m’a fait me souvenir des quelques médecins que j’ai croisés dans mon exercice professionnel. Presque tout y est dit.

 

Je vais le paraphraser, mais je vous conseille bien sûr d’aller vous faire votre opinion vous-même.

 

La perspective du médecin traitant


Il existe presque toujours une communauté d’esprit, voire une déférence entre le médecin traitant et le médecin-patient qui va gêner l’établissement d’un minimum d’autorité et d’objectivité nécessaires à la démarche du soignant.

 

La déférence peut confiner à ce que les auteurs nomment le « VIP syndrome ».Dans ce cas, les soignants vont se sentir (ou être) obligés d’accorder à leurs malades des privilèges pouvant même être parfois néfastes aux soins. Dans le même ordre d’idée, les amis médecins du patient risquent de vouloir intervenir dans les soins, ce qui est toujours préjudiciable.

 

Le manque d’objectivité (d’équanimité, pour faire plus savant) peut conduire à un surinvestissement physique ou psychique. Les auteurs pointent le risque de dépression, de colère, d’agressivité du médecin traitant, voire son retrait pur et simple.

 

En général, les médecins se protègent en se concentrant uniquement sur l’aspect technique de la maladie, et en « refusant » de voir le patient et sa famille. Ne pas voir ce qui peut faire souffrir est souvent vécu comme de l’inhumanité par les patients.

Bien sûr, dans le cas d’un médecin-patient, les points communs, voire la filiation professionnelle vont faire voler en éclat cette protection.

Dans le même ordre idée, un excès d’empathie peut conduire à retarder, voire ne pas effectuer d’actes jugés pénibles, bien que nécessaires.

 

Enfin, le médecin traitant peut croire à tort que son confrère malade dispose de l’ensemble des données scientifiques sur sa maladie. Ce n’est souvent pas le cas, et l’accès devenu incroyablement simple à la connaissance médicale (via notamment Internet) est systématiquement mis en échec par l’expansion effrénée de cette dernière.

 

La perspective du médecin-patient


Le « risque » principal du médecin-patient est de se soigner lui-même.

Je vais adopter un profil bas, puisque je me suis choisit comme médecin référant, et que je m’automédique largement.

Laissons donc parler le grand Osler (oui, celui de l’endocardite) :

The physician who doctors himself has a fool for a patient

Les choses sont claires, pourtant nous le faisons tous.

 

La confiance que l’on a en soit, nos connaissances médicales et en général la bonne appréciation de nos limites vont en effet être contrebalancées par son propre ressenti de la maladie. Un médecin va autant dénier sa maladie, si ce n’est plus, qu’un malade.

 

Et en général, les médecins n’aiment pas aller voir leurs confrères.

Que celui ou celle qui aime se faire examiner par le médecin du travail ou par un confrère que l’on s’est résolu à aller voir lève le doigt !

Je ne vois pas de doigt levé, j’en étais sûr. Il faut se faire violence pour passer de l’autre côté du stéthoscope.

 

L’identité professionnelle est importante aussi.

Je l’ai déjà dit, je ne pense pas être le seul (du moins j’espère), mais j’ai le sentiment que les études médicales et la pratique font que je suis médecin 24 heures sur 24.

Je fais autre chose que de la médecine, bien sûr, mais mon métier est une seconde peau. A la limite, la confusion des patients qui ne savent pas comment m’appeler : « Monsieur, pardon, Docteur… » me conforte dans cette idée. Je me sens autant « Docteur » que « Monsieur ». Souvent je réponds que je suis les deux. Je me fiche bien de la gloriole du titre, c’est ce qui a derrière qui m’importe.

Donc pour en revenir à l’article, les médecins-patients perdent parfois leur travail qui est souvent leur raison de vivre et le fruit de longues années d’études.

 

Autre difficulté, la volonté souvent absolue de la part du médecin-patient de vouloir tout contrôler de sa maladie, et ce, indépendamment de la confiance qu’il peut avoir en son soignant. Comme déjà dit, cette volonté provient du sentiment de pouvoir se traiter soi-même, mais aussi de rationaliser la maladie. La mettre dans de toutes petites boîtes, de façon perfectionniste. Tout cela pour ne pas voir en face l’avenir.

 

La phrase exacte de l’article est la suivante :

« Physician-patients may also respond to the threat of illness by attending obsessively to technical details, but, in the process, also avoid painful truths and the big picture. ».

 

Big picture”, quelle expression formidable pour dire toutes les souffrances et la mort.

J’ai aussi souvent retrouvé ce mode de défense chez mes malades non médecins.

Actuellement, j’ai un patient qui a une endocardite infectieuse « refroidie » mais quasiment inopérable. L’évolution spontanée est désastreuse. Et bien, sa femme, qui est infirmière, terrorise les miennes en leur demandant sans cesse son nombre de globules blancs du jour, au leucocyte près. Elle ne veut pas comprendre que ça n’a plus aucune importance.

 

Revenons à l’article

Evidemment ce contrôle excessif va être dommageable pour tout le monde. Comme le dit un vieux proverbe turc, rien ne vaut pour faire couler un bateau que de lui donner deux capitaines.

 

Enfin, une certaine retenue de la part des médecins-patients peut rendre plus difficile les soins. Les auteurs constatent que les médecins, habitués aux plaintes (continuelles) de leurs patients ont tendance à minimiser les leurs.

D’où des traitement, notamment antalgiques inadaptés.

 

L’article se termine en donnant quelques pistes pour rendre plus facile cette relation particulière.

Je ne vais pas les citer toutes, mais la plus importante est la négociation et de jouer cartes sur table dès la première consultation. Ici, plus qu’ailleurs, il ne faut pas laisser la place au non-dit.

 

J’espère que ce petit résumé n’a pas trop ennuyé les nombreux lecteurs non médecins de ce blog. Pour les autres, les médecins, il a au moins une vertu, celle de nous rappeler que nous seront un jour ou l’autre des patients.

Vulnerant omnes, ultima necat.

 

 

 

 

 

Références de l’article :

 

Erik Fromme, J. Andrew Billings. Care of the Dying Doctor. On the Other End of the Stethoscope. JAMA. 2003;290:2048-2055.

 

Site du JAMA: (ici)

19:50 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (5)

14/04/2007

L’obéissance.

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Hier en début de garde, j’ai quand même réussi à lire L’obéissance de François Sureau en entier.

Ce n’est pas un grand exploit, le bouquin fait 155 pages, et se lit facilement.

Il raconte l’épopée tragi-comique en pleine Grande Guerre d’un groupe de soldats chargés de convoyer le bourreau de Paris, ses aides et sa guillotine derrières les lignes allemandes, dans la ville de Furnes, afin d’y exécuter un condamné à mort belge.

Ce petit livre est une subtile analyse de l’équilibre entre le devoir de tout soldat (et de citoyen en ce qui concerne le bourreau) en pleine guerre et l’obéissance aveugle à des ordres dérisoires venus de l’Autorité. C’est aussi une critique contre la guerre et toutes ses absurdités.

Rien de bien révolutionnaire, mais sa lecture vous fera agréablement passer le temps.

 

Par contre, la semaine dernière, j’ai terminé de lire en diagonale les 100 dernières pages de « La théorie des cordes » . Et encore, uniquement pour dire que je l’ai terminé. C’est largement le plus mauvais bouquin de Somoza. Une théorie physique ultra complexe pour arriver à une histoire plus médiocre qu’une banale histoire de fantôme qui terrorise les héros improbables du bouquin. Bien sûr, comme dans tout livre digne de ce nom depuis « Da Vinci Code », on y retrouve une allusion christique. Il ne faut pas décevoir les attentes d'un lectorat exigeant.

Je vais vous faire faire des économies (23 euros) : le nom du "coupable" est à la page 491.

21:30 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (1)

Reconnaître une TV.

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Ca, c’est un vrai problème d’homme.

En fait, surtout un problème de cardiologues et d’urgentistes.

 

La TV, ou tachycardie ventriculaire est un trouble du rythme cardiaque grave potentiellement mortel à court terme (voire très court terme).

Il faut donc savoir la reconnaître sur un ECG, pour prendre les mesures qui s’imposent.

L’appareil à ECG, invention géniale de Willem Einthoven, date de 1901-1902, soit un âge de près de 106 ans (comme vous pouvez le voir sur la photo, les externes de l'époque devaient passer des heures pour installer le patient et obtenir un tracé !).

Et pourtant, on publie toujours des articles pour trouver le meilleur algorithme afin de mieux diagnostiquer ces fameuses TV.

En effet, il n’est pas toujours simple d’analyser correctement une tachycardie à complexe large (classiquement, QRS>120 ms) pour la rattacher à une tachycardie sinusale (mais le plus souvent une tachycardie supra ventriculaire, acronyme: TSV) associée avec un bloc de branche préalable ou fréquence dépendant, ou à une tachycardie ventriculaire.

Le dernier article en date (Vereckei A. et coll. Application of a new algorithm in the differential diagnosis of wide QRS complex tachycardia. Eur. Heart J. 2007 ; 28: 589-600) propose une approche qui serait meilleure que celle proposée par les frères Brugada en 1991 (Brugada P. et coll. A new approach to the differential diagnosis of a regular tachycardia with a wide QRS complex. Circulation 1991; 83: 1649 – 1659).

 

D'abord, deux petits rappels sur la nomenclature des complexes analysés sur un ECG, comme cela, tout le monde parle de la même chose:

 

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On va ensuite éliminer d’emblée les cas “simples”, ceux ou l’on ne peut pas se tromper devant une tachycardie à complexes larges :

 

1.      Lorsque l’on retrouve:

 

·        Une dissociation auriculo-ventriculaire (mais cet aspect est rarement vu : seulement 21% des TV dans la série de Brugada et Coll.). On arrive à voir des ondes p moins nombreuses que les QRS.

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·        Des complexes de capture

Une onde p arrive à se frayer un chemin entre les complexes ventriculaires et parvient à conduire un QRS sinusal fin.

 

·        Des complexes de fusion

Idem, mais le QRS sinusal fin fusionne avec un complexe ventriculaire. On obtient un QRS qui a une morphologie intermédiaire entre les deux.

 

La messe est dite, vous êtes en face d’une tachycardie ventriculaire.

 

2.      Lorsque l’on a en sa possession un ECG ancien qui permet de comparer la morphologie des QRS avec l’ECG actuel (c’est malheureusement rare)

 

3.      Lorsque l’on voit « partir » la tachycardie à complexes larges.

Là aussi, c’est facile, il suffit de comparer les QRS et analyser le démarrage (par exemple phénomène R/T)

 

Bon, ce n’est pas toujours aussi simple, c’est là qu’interviennent ces fameux algorithmes.

 

Le premier algorithme dont j’ai entendu parlé est celui de mon premier patron de cardiologie.

Appelons le « Algorithme de tuvoituvois » pour préserver son anonymat.

Il avait le mérite d’être simple :

« Tu vois, toute tachycardie à complexes larges est une TV jusqu’à preuve du contraire. Tu as raison dans 80% des cas, tu vois ».

Bon, vu comme ça, c’est un peu frustre, pas de quoi faire un papier dans Circulation.

Mais il faut le garder en mémoire, il faut toujours se méfier d’une tachycardie à complexes larges.

 

Deuxième algorithme, celui des frères Brugada.

 

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Plus complexe, il prend en compte 4 critères mais vaut le coup d’être analysé.

 

1.      Absence d’un aspect RS sur l’ensemble des dérivations précordiales (V1-V6 donc).

Un RS, c’est ça.

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Si vous n’en voyez pas (au moins un), c’est une TV

Sinon, on passe au critère 2.

 

2.      Intervalle RS > 100 msec sur une dérivation précordiale

On mesure le RS du début de R, à la pointe de S.

Si RS > 100 msec, c’est une TV (comme en dessous).

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Sinon, on passe au critère 3.

 

3.      Présence d’une dissociation auriculo-ventriculaire ?

On l’a déjà vu.

Si oui, c’est une TV.

Sinon, on passe au critère 4

 

4.      Critères morphologiques d’une TV présents à la fois en V1-V2 et V6.

C’est là que ça se complique et que l’on se rend compte que les Brugada nous ont mené en bateau dès le début. En effet, une analyse en 4 points peut paraître simple et attrayante, mais ces fameux critères morphologiques sont très nombreux et pas simples à retenir.

J’ai eu la flemme de les retranscrire, je vous ai donc mis le tableau de la publication originale.

 

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En gros, il faut espérer faire le diagnostic avant d’arriver au critère 4, sinon votre patient a amplement le temps de passer l’arme à gauche.

 

Enfin, troisième algorithme, celui publié dernièrement.

 

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4 critères là aussi.

On va voir si ils se fichent de notre figure, eux aussi.

 

1.      Présence d’une dissociation auriculo ventriculaire ?

C’est donc un classique, maintenant.

Si oui, c’est une TV.

Sinon, on passe au critère 2.

 

2.      Présence d’une onde R initiale dans la dérivation aVR ?

Ca ressemble à ça :

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Si oui, c’est une TV.

Sinon, on passe au critère 3.

 

3.      La morphologie des QRS n’est pas en faveur d’un bloc de branche, ou d’un bloc fasciculaire.

Là aussi, ce critère fait appel à de nombreux sous critères. Mais qui ne sait pas reconnaître un bloc de branche ou un bloc fasciculaire ? Pour ceux là, j’ai ressorti les critères publiés dans l’article. Vous verrez, ce ne sont que des notions connues !

 

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Donc, si ça ne leur ressemble pas, c’est une TV.

Sinon, on passe au critère 4.

 

 

4.      Vi/Vt <1

C’est un critère dont je n’avais jamais entendu auparavant (et toi, Doudou ?), mais dont les auteurs semblent très fiers.

Ils mesurent la différence d’amplitude du QRS sur les 40 premiers ms (c’estVi) et sur les 40 derniers msec (c’est Vt) d’un même QRS.

Si Vi/Vt ≤ 1, c’est une TV. Sinon, c'est une TSV (SVT en anglais).

Petit exemple :

 

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Evidemment, la difficulté est de repérer ces fameux premiers et derniers 40 msec…

 

Sinon, vous pouvez rassurer la famille qui vous a observé analyser l’ECG pendant près de ¾ d’heures alors que le patient s’étouffait : ce n’est pas une TV !

 

Si vous avez réussi à terminer la lecture de cette note, c’est que vous êtes soit un maniaque grave, soit un électrophysiologiste actuel ou en devenir.

Félicitations !

 

La prochaine fois, je vous donnerai la recette pour faire la pâte à sel, ce sera plus simple (et j’aurai moins mal au crâne qu’actuellement).

20:40 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (11)

Monseigneur.

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Tous ceux qui travaillent dans un service, hospitalier ou privé savent qu’il existe mille et une traditions et surnoms donnés à untel ou untel.

 

Les traditions vont du verre rempli d’un peu de sel pour éloigner le mauvais sort à la fameuse chambre maudite ou tous les patients qui sont morts plus ou moins récemment en réanimation, y seraient morts, justement.

En fait, une fois trouvée cette chambre (dans la réa  privée ou je travaille, c’est la chambre 34), l’inconscient collectif oublie tous les décès survenus ailleurs pour ne retenir que ceux de la dite chambre, augmentant ainsi son supposé pouvoir maléfique.

Les médecins, c’est pareil.

Moi, je suis classé « noir » ou « chat noir » partout ou je passe.

Dès que les équipes de nuit arrivent en réa et me voient, une ou deux infirmières lancent invariablement un « non, encore lui !» avec un air mi souriant, mi inquiet.

 

Pour les surnoms, j'en ai deux.

J’ai déjà parlé d’un ici, c’est « Pistou ». Ne demandez pas, c’était chambre 34 que cela s’est passé.

L’autre, que j’ai découvert en surprenant une conversation entre les infirmières est « Monseigneur Passmore », ou plus simplement « Monseigneur » .

Je leur ai demandé pourquoi.

Peu de temps après ma première garde (ou j’ai intubé une patiente, chambre 34...), j’ai retrouvé l’aumônier de la clinique que je connaissais de vue (c’était l’ancien aumônier du CHU). En discutant avec lui, il paraît que j’avais les mains jointes devant mon bidon, un peu comme un prélat.

D’où le surnom. En plus, elles me disent que ça me va bien.

Un Prince de l’Eglise, ça aurait pu être pire…

Elles donnent des surnoms à d'autres, beaucoup moins sympathiques.

En plus, je crois qu’elles associent inconsciemment mes deux fonctions, la réelle, celle de médecin, et la fantasmée, celle d’écclésiastique lorsque survient un décès lors d’une de mes gardes.

Intubation puis extrême onction, en quelque sorte.

Ce n'est heureusement pas très fréquent, mais comme vous le savez,  les  superstitions  et  les  croyances  défient  les  lois statistiques.

 

Pourtant cette nuit, durant laquelle je n’ai pas dormi (comme assez souvent), j’ai fermé les yeux d’un patient, chambre 38.

Mais 38, n’est ce pas 34+4 ?

10:35 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)

13/04/2007

Comme tout le monde.

Je vais vous raconter une histoire que l’on m’a rapportée ce soir.

L’histoire se termine bien, en un sens.

 

Il était une fois (ainsi commencent toutes les bonnes histoires) un homme de 62 ans, sans antécédent particulier qui se plaignait d’avoir de grosses jambes.

Il va voir un médecin, une première pour lui, qui l’examine et lui trouve en effet de grosses jambes, mais aussi une ascite et un gros foie.

« Vous buvez ? » demande le praticien en connaissant déjà la réponse.

« Non, enfin comme tout le monde ».

« Mais oui… »

 

Le médecin l’adresse à un ami gastro-entérologue.

« Vous buvez ? »

« Non, enfin comme tout le monde ».

« D’accord…»

L’ami gastro-entérologue hoche la tête et annonce au patient qu’il a probablement une cirrhose hépatique. Il faut faire des bilans plus poussés, il l’envoie donc dans un gros centre privé (là même ou je fais mes gardes).

 

Il voit le résident du service.

« Vous buvez ? »

« Non, enfin comme tout le monde ».

« Pas un peu plus ? » lance-t-il au dessus de son épaule en sortant de la chambre, satisfait d’avoir vu une entrée de plus.

 

Le patient voit ensuite le chef de service.

« Vous buvez ? »

« Oui, je bois »

Le patron sourit, satisfait et programme les examens.

 

Le foie est en effet énorme, et qui plus est, une échographie cardiaque retrouve une hypertension artérielle pulmonaire sévère, à près de 80 mm Hg, avec des cavités droites dilatées.

« Oh, le beau cas d’hypertension porto pulmonaire, classique chez le cirrhotique sévère ! ».

Toutefois, les autres examens sont discordants : absence de varices oesophagiennes, pas de diminution spontanée du TP et surtout un cathétérisme hépatique qui ne retrouve pas de gradient porto-cave.

« Vous buvez bien ? »

« Bien oui, comme tout le monde ! »

 

L’hypertension artérielle pulmonaire assez conséquente motive une consultation cardiologique.

L’auscultation est normale, mais les signes évoquent plutôt, à bien y regarder, une insuffisance cardiaque droite sévère.

On programme un cathétérisme droit et un test au NO (monoxyde d’azote) qui est un vaso-dilatateur, afin de voir si l’on peut faire baisser les pressions, ou si elles sont fixées. Le cathétérisme confirme les 80 mm Hg, les pressions sont fixées et les pressions capillaires bloquées sont normales (ces dernières sont un reflet indirect de la fonction cardiaque gauche).

 

Le cathétériseur : « Vous fumez ? »

Le patient : « Oui, enfin, comme tout le monde… »

Le cathétériseur satisfait : « Haha ! On va faire une coro ! »

 

Les coronaires sont normales, mais à l’injection d’iode dans le ventricule gauche, le praticien met en évidence un passage discret, mais indéniable vers le ventricule droit.

Il s’agit donc d’une communication inter-ventriculaire probablement congénitale, passée totalement inaperçue durant 62 ans. Sa localisation, très apicale la rendait extrêmement difficile à voir en échographie cardiaque.

 

Vous allez me dire, pourquoi personne n’a entendu de souffle ?

Tout simplement car, au stade ou il a consulté, les pressions du cœur droit sont presque devenues égales à celle du cœur gauche, d’où diminution, voire disparition du shunt. C’est juste le stade avant l’Eisenmenger.

 

Tout les médecins, satisfaits d’avoir trouvé un diagnostic rare et beau se sont donc réunis autour du lit du patient pour lui annoncer la bonne nouvelle : il ne boit pas et fume raisonnablement, comme tout le monde.

Alors qu’ils allaient tous sortir, le patient, un peu impressionné mais content d’être enfin reconnu sobre, pense tout de même à poser à tout cet aréopage une dernière question :

« Et, c’est grave, ce que j’ai ? ».

Ils se regardèrent tous, consternés et gênés, puis le plus âgé et le plus sage des cardiologues lui demanda :

« Vous êtes croyant ? »

Le patient, qui avait compris, eut juste le temps de gémir un « Comme tout le monde… », avant que la porte ne se referme.

 

***********************

 

J’ai totalement inventé  certaines situations et les dialogues , notamment ceux de la fin, mais le cas clinique est vrai. Personne n'a encore eu le courage de dire au patient la vérité. On discute d'une transplantation coeur-poumons à 62 ans.

21:40 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)

L’espace temps.

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Petit résumé de ces 4 jours pris pour Pâques.

Avec ma petite famille, nous sommes partis en Partner (au volant, j’ai l’impression de piloter le Nostromo, par rapport à ma relativement plus nerveuse petite Yaris, d’autant plus que derrière gigotent constamment 2 petits « aliens ») pour explorer la région de Carcassonne et les Cévennes.

Carcassonne à cause du Château comtal (en fait vicomtal) et des murailles. En effet, même si cela fait la troisième fois que nous visitons la "Citée", les petits sont en pleine période chevaliers/châteaux et ils nous réclament à longueur d’année d’aller voir « le Château de Carcassonne ».

Nous avons ensuite visité la superbe abbaye cistercienne de Fontfroide. Elle appartient à une famille d’anciens vignerons et négociants en vin de la région de Béziers. Lovée dans une vallée couverte de chênes, de pins et de thym sauvage en fleur, cette abbaye est absolument magnifique.

Je vous recommande aussi les petits pains d’épice (4 parfums : figue, citron, orange et nature) en vente à la boutique, ils sont à se rouler par terre.

 

Ensuite, changement de décor.

Direction les Cévennes, à Anduze plus précisément.

La ville en elle-même n’a pas d’intérêt fabuleux, hormis son cadre : une vallée taillée dans des masses rocheuses impressionnantes et plissées, ou serpente une petite rivière, le Gardon.

Mais c’est un point de départ idéal pour découvrir les Cévennes.

A ne manquer sous aucun prétexte : la ligne de chemin de fer touristique qui relie Anduze, la bambouseraie (j’y reviendrai) et Saint Jean du Gard.

Des passionnés adorables font revivre de vieilles loco à vapeur et diesel.

L’impression de vie que dégage une loco à vapeur est réellement stupéfiante.

La « bête humaine » n’a pas usurpé son surnom.

Pour ne rien gâcher, les paysages traversés sont superbes.

Enfin, pour un dépaysement total, il ne faut manquer à aucun prétexte la Bambouseraie du domaine de Prafrance.

Vous lirez son histoire sur son site, mais ce lieu est magique.

En plein pays cévenol, vous vous retrouvez dans une forêt de bambous, à arpenter un village laotien. On y trouve quelques séquoias et même un magnifique jardin japonais. Les explications sont claires et nettes, et après 1h45, vous saurez tout sur le bambou, plante injustement peu connue en Europe.

C’est vraiment un havre de paix et de fraîcheur ou les bambins peuvent gambader et admirer les bassins ou nagent paresseusement quelques carpes Koï.

Pas très loin, mais on ne l’a pas fait cette année, je vous conseille vivement le Musée du Désert. Ce musée, situé dans un hameau de pierres, perdu au milieu de nulle part retrace les persécutions dont ont été victimes les huguenots.

Même si vous n’êtes pas protestant ou croyant (c’est mon cas), ce musée est didactique et émouvant. Encore un endroit qui montre que la tolérance doit être une lutte de tous les instants.

 

Dans Anduze, nous avons mangé à l’Establet (1 place du 8 Mai 1945 30140 Anduze. 04 66 61 64 50). Menu très rustique (charcuterie cévenole, saucisse d’Anduze et frites, tarte tatin pour moi par exemple) mais excellent et à un prix très raisonnable pour la qualité (17.50 euros).

 

Enfin, dernière étape, mais à éviter, celle là, le musée du bonbon Haribo près d’Uzès.

Je ne suis pas rentré, j’ai gardé le petit Thomas qui faisait une sieste, mais Sally m’a dit qu’il ne valait pas le détour. On y distribue bien quelques sacs de bonbons et la boutique est énorme, mais le musée semble avoir très peu d’intérêt.

En gros, y aller uniquement pour refaire ses provisions, pas pour y apprendre quoique ce soit sur la fabrication des friandises.

 

 

 

 

 

 

 

(image empruntée à Wikipedia, dans l'article "Bambouseraie de Prafrance")

12/04/2007

La réunion.

  • Bonjour, merci à tous d’être présent à cette réunion voulue par la nouvelle direction. Comme vous le savez, cette dernière, dans sa grandeur et son infinie sagesse désire mettre à plat, toutefois sans les toucher, vos pratiques médicales et préparer l’ensemble de l’établissement à la V2. Je vous rappelle que la prochaine réunion sur le codage du PMSI aura lieu tout à l’heure de 11h00 à 13h00. Exceptionnellement, nous allons reporter le staff pluridisciplinnaire bi-hebdomadaire du jour à demain, de 9h00 à 11h45, juste avant la CME qui se tiendra de 12h00 à 17h55. La semaine prochaine sera un peu moins chargée avec une réunion devant porter sur la validation des EPP mardi de 14h30 à 16h00. Chaque sous-commission se réunira par la suite, sur la fin d’après midi et probablement une partie du lendemain avec dans l’ordre d’apparition le CLIN, le CLUD, le CRUQ puis le CHSTC et enfin le CSSI.

 

  • Et, quand est-ce que l’on voit les patients ?

 

  • Qui ?

 

 ......

 

 

Je reprends conscience l’esprit embrumé. J'ai faim.

Ce n’était pas un mauvais rêve.

Entouré par un brouhaha de paroles vides, je regrette l’époque ou l’on nous demandait seulement de soigner les gens.

Je suis médecin, pas "marathoréunien".

 

 ............................................

 

Edition du 13/04/07 :

 

Un sympathique et attentionné lecteur m’a fait remarquer que le lien qui dirige vers le site de Castres-Mazamet permettrait aisément de m’identifier, car il n’y a qu’un seul cardiologue qui fasse aussi les soins intensifs.

Avant de lui envoyer des lettres d’insultes, sachez que:

  • Ce n’est pas moi.
  • Je n’ai jamais mis les pieds à Castres ou Mazamet de ma vie.
  • Je ne fais plus de soins intensifs cardiologiques depuis la fin de mon assistanat.

 

Donc pitié pour un innocent !

 

08:35 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)

11/04/2007

Havidol.

J’ai découvert cette œuvre d’art, grâce à l’excellent blog du petit Docteur.

Vous allez comprendre pourquoi je pense qu’il s’agit d’une œuvre d’art.

L’artiste australienne Justine Cooper a imaginé une composition se déclinant sur plusieurs supports : vidéo, site web, sculptures et même objets dérivés.

Cet ensemble tourne autour d’un produit miracle, mais totalement imaginaire, l’Havidol.

Il mime et plagie à merveille l’arsenal promotionnel qui entoure un produit pharmaceutique réel.

Ici, l’objet caricaturé est le produit pharmaceutique.

Ce n’est pas une simple pilule, et la promotion faite autour de ce produit, n’est pas une simple campagne publicitaire.

Faute de pouvoir sortir des molécules qui ont un rapport risque/bénéfice favorable, les laboratoires veulent vendre du rêve aux gens.

Du rêve, et pour être plus précis, de petites pilules qui auront pour vocation de corriger de petites imperfections liées à la nature humaine.

Vous n’arrivez plus à bander ? Vous avez parfois des coups de déprime, notamment après un deuil ? Vous vous sentez fatigués ?

Vous voulez être meilleur ? Tendre vers une jeunesse allongée ? L’industrie est là pour vous aider.

Sa critique dépasse largement celle que je pratique souvent, c'est-à-dire celle de certaines pratiques de l’Industrie.

Elle s’attaque à une quête perpétuelle vers le mieux être qui va largement au-delà du traitement des maladies.

Il est naturel de rechercher le mieux être, c’est même inscrit dans les textes fondateurs de l’OMS. Ce qui l’est moins, c’est l’utilisation qui en est faite par certaines campagnes de promotion des médicaments.

La campagne caricaturée n’est pas habituelle à nos yeux, puisqu’il s’agit d’une publicité directe destinée aux consommateurs. Ce type de publicité est pour l’instant formellement interdit dans notre pays.

Toutes ces publicités se ressemblent : des modèles resplendissant de santé pour représenter des malades souvent graves (les dépressifs ont l'air heureux et les insuffisants cardiaques évolués nagent comme Ian Thorpe).



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Des questionnaires qui vous font rendre compte que vous êtes malades. Certaines compagnies n’hésitent pas à gréer des maladies pour mieux vendre des médicaments a priori sans indication (le « disease monggering » : ici, ici et ici). De préférence, ces « maladies » doivent avoir des noms complexes, si possible sous forme d’acronyme, ça fait plus peur.

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Et parfois, fin du fin dans un pays ou les traitements coûtent très chers : 30 jours gratuits à l’essai.

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Revenons à l’œuvre de Justine Cooper.

Loin d’être une caricature balourde, la campagne promotionnelle de l’Havidol ne s’en différencie que d’un delta. Tout se situe là, dans ce delta qui sépare l’objet et sa caricature.

C’est lui qui fait réfléchir puisque surgit le doute sur l’existence du produit. Croire ne serait-ce qu’un seul instant qu’une telle molécule miracle existe rejette le ridicule de la caricature sur certaines campagnes.

Un seul exemple : le slogan du produit.

Des deux phrases qui suivent, quelle est celle de la caricature, et quelle est celle du produit caricaturé ? Quelle est la vraie ? Quelle est celle qui semble tout droit sortie d’un roman de Orwell ?

« When more is not enough »

« Feeling Better is Not Enough »

La réponse ici:

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C’est la réflexion qui fait l’œuvre d’art.

Et ici Justine Cooper nous fait réfléchir clairement sur le sujet, et avec probablement bien plus d'impact qu'un long article publié dans PLoS.

Ne riez pas, ce type de publicité devrait débarquer un jour ou l’autre chez nous. L’industrie fait tout pour.