08/06/2007
Un nom pour la vie.
J’ai un peu de temps libre, vous avez donc droit à une petite note supplémentaire.
Je viens juste de remplir en ligne une enquête qui testait des noms potentiels de nouveaux médicaments chez les prescripteurs.
Pour éviter des soucis, je ne citerai aucun nom proposé, mais sachez que beaucoup sont imprononçables, ridicules, ou les deux à la fois pour un francophone.
En fait, c’est devenu un peu la tendance depuis quelques années de sortir des médicaments avec des noms barbares. Cela peut faire sourire, mais comment demander à un patient de prendre correctement un comprimé dont il n’arrive pas à se souvenir du nom, nom qu’il ne parvient pas à prononcer quand il le lit sur la boite ?
L’observance passe aussi par de petites choses.
Certes, je comprends bien qu’un seul nom de médicament pour la terre entière soit plus économique, mais nos oreilles et larynx sont accommodés à des sonorités fort différentes.
L’exemple de nos amis francophones habitant des pays ou plusieurs langues cohabitent est intéressant.
Ainsi, la molécule nommée lisinopril (Ce nom scientifique, c’est la DCI ou Dénomination Commune Internationale). En l’occurrence, le lisinopril, qui appartient à la famille des Inhibiteurs de l’Enzyme de Conversion (ou IEC) se nomme le ZESTRIL ou PRINIVIL en France.
En Suisse, on trouve 3 noms : ZESTRIL, FOSITEN et PRINIL
En Belgique : ZESTRIL, FOSINIL et NOVATEC
Au Canada : ZESTRIL et PRINIVIL
(Source BIAM 2000)
Autre exemple : quand ils ont sorti le carvédilol (c’est la DCI d’un bêta bloquant) en 1996, ils l’on appelé KREDEX en France et COREG aux Etats-Unis. « COREG » sonne un peu nasillard à nos oreilles, je trouve KREDEX bien mieux. En plus, KREDEX, credo, croire : tout un évangile pour des cardiologues hésitants à mettre des bêta-bloquants chez des patients en insuffisance cardiaque sévère. On nous demandait de croire au KREDEX, et on a bien fait.
Si le carvédilol était sorti en 2007, il se serait probablement appelé COREG partout.
Par ailleurs, « avant », un fabriquant essayait de donner un nom rappelant l’appartenance de sa molécule à une famille de médicaments. Par exemple, les IEC dont beaucoup se terminent par le suffixe –ec ou –il (TRIATEC, RENITEC, LOPRIL, ZESTRIL, ZOFENIL, CAPTOPRIL, FOZITEC…).
Pourquoi donc ?
Tout simple : "-il" car toutes les DCI des molécules d’IEC se terminent par –il ; et "–ec" pour « Enzyme de Conversion », « EC » en abrégé.
Quand le TRIATEC est sorti, tout médecin savait que c’était un IEC.
Il y a bien quelques exceptions, mais rares et peu utilisées en pratique (BRIEM, ODRIK, CIBACENE, JUSTOR,…).
Si on prend les cousins des IEC (sortis plus récemment), les antagonistes de l’angiotensine 2, chaque nom commercial est différent de l’autre, et des DCI des molécules de la famille, qui se terminent toutes par -sartan: APROVEL, COZAAR, ATACAND ou KENZEN, TEVETEN, ALTEIS ou OLMETEC (attention, faux ami !), MICARDIS ou PRITOR, NISIS ou TAREG.
(Source : Vidal 2007)
Quand j’ai mis « ou », c’est qu’il s’agit d’un « co marketing » et que deux labos vendent la même molécule sous deux noms différents.
Comment donc ne pas hésiter devant un nom inconnu sur une ordonnance ?
Il faut toujours avoir le réflexe de sauter sur son Vidal pour chercher ce qui se cache sous ces noms de plus en plus obscurs. J’ai plusieurs souvenirs de patients entrés en urgence et d’ordonnances vite lues dans l’action, mais ou se nichaient des molécules délétères sur le moment (du genre un beta bloquant au nom exotique et peu utilisé chez un patient en plein OAP). Bien évidemment, il ne fallait pas le reconduire.
Enfin, pour clôturer ce petit chapitre sur les noms de médicaments, une petite remarque sur l’emploi des génériques.
Les génériques ont simplifié la vie des médecins et pourri celle des patients. C’est là que l’on peut observer l’incroyable pouvoir des noms.
Pour nous autres, les choses sont plus simples. Les DCI nous « parlent » en général au premier coup d’œil.
Exemple pratique : en un coup d’œil, à quelle famille appartiennent les 3 médicaments suivants ?
- Acuitel
- Korec
- Quinalapril
Facile pour le numéro 3, c’est un IEC (le suffixe « -il »). Et bien, les deux autres, c’est la même chose, ce sont même les deux noms sous lesquels est vendu le quinalapril en France.
Par contre, pour les patients…
Comment se rappeler qu’il doit prendre son quinalapril-XXX (XXX étant le nom du labo accolé à la DCI) le matin, alors qu’il prenait depuis 10 ans un KOREC au petit-déjeuner ?
Pour corser le tout, le petit comprimé vert en forme de losange s'est transformé en gros comprimé blanc...
(En fait, j’ai triché parce que, à ma connaissance, le quinalapril n’est pas génériqué en France, mais vous avez compris l’idée…)
20:55 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (5)
06/06/2007
Les pensées du Dr. House (4)
(cliché trouvé ici)
Un jour, il y a quelques mois, j’ai vu un sans-papiers roumain entrainé par 4 plantons à ma consultation pour répondre à la question suivante : « Peut-il prendre l’avion pour être reconduit à Bucarest ? ». J'aurais bien aimé répondre que pourquoi pas, car le temps était alors dégagé au dessus de l'Aeroportul Henri Coanda Bucaresti (temp. :15.4 C, pression atm. à 1024,7 mb), mais ce n'est pas ce que l'on me demandait.
Réponse délicate, d’autant plus qu’il a des douleurs dans la poitrine depuis la dizaine de jours ou il séjourne en centre de rétention et justement, quel hasard, depuis qu’on ne lui aurait plus donné aucun médicament. Car, pour couronner le tout, il a fait un infarctus inférieur en 2002.
L’individu est assez patibulaire (mais presque, comme le disait Coluche), comme son ECG qui montre une séquelle de nécrose inférieure, mais sans ischémie aiguë.
Je tergiverse longtemps, très longtemps, je téléphone au médecin du service pénitentiaire pour qu’il m’aide par son expérience. Il m'explique que la question n'est pas de savoir si on doit le traiter (sous entendu, en France), mais si il peut prendre l'avion. Je pense fugitivement aux sociétés totalitaires ou les basses besognes sont hyper fragmentées pour que l'individu qui y prend part ne se sente pas responsable. Je tergiverse encore et encore.
Je le réinterroge avec une lampe de bureau braquée sur son visage pour faire préciser ses douleurs : « tu vas parler, dis !? »
Puis il prononce la phrase de trop: « J’étais mieux soigné en Roumanie ! ».
Je l’ai donc exaucé.
20:40 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)
Les pensées du Dr House (3).
Depuis quelques mois, quand je tourne autour de l’Hôpital pour trouver une place, je passe à chaque fois devant une BMW 318 de couleur indéfinissable, garée à la même place.
Deux questions.
Primo : Pourquoi ne pas se garer dans l’hôpital ?
Simple, j’ai bien un badge, mais il y a encore moins de place qu’à l’extérieur.
La preuve, les gens se garent dans les arbres et au pied de la cheminée de l’incinérateur des déchets hospitaliers et humains. Ils préfèrent enlever la cendre chaque fin d’après midi sur leur pare-brise plutôt que tourner durant des heures pour trouver une place.
Secundo : comment repère-t-on une BMW 318 de couleur indéfinissable sur les milliers garées dans le quartier ?
Simple, lisez la suite de l’histoire, au lieu de m’interrompre.
Cette BMW, qui n’a pas changé de place depuis au moins 6 mois est en fait un carton de luxe pour nouveau SDF (le monde change, comme dirait l’autre).C’est aussi probablement la seule BMW de toute la ville à ne pas avoir été volée alors qu’elle est garée depuis plus d’une nuit au même endroit.
La femme qui l’habite en sort tous les matins et traverse la rue en peignoir, tel une madame Culbuto, pour se faire payer le café par le garagiste d’en face. La cinquantaine, rondelette, les cheveux bouclés noirs (teintés, car elle le vaut bien), en bataille (normal quand on dort sur l’accoudoir toutes les nuits, me direz-vous), elle arbore tout un tas de tenues toutes plus dépareillées les unes que les autres, mais systématiquement trop petites ou trop grandes pour elle.
Ensuite, elle fait son linge dans la rue, entre sa voiture et celle de derrière, dans des bassines multicolores et innombrables. Le linge sèche ensuite sur le toit et le capot avant. Sur la voiture, la buanderie ; en dessous, le placard des produits d’entretien. Comme elle déborde un peu sur la chaussée, elle sort depuis quelques temps son triangle de signalisation. En plus d’un surcroit de sécurité, elle gagne assez de place pour loger une plante verte, un chaton ou un poisson rouge, au choix. Il ne manque plus qu’un petit coin cuisine sous l’accoudoir central, et elle aura sa petite stud. meubl. lum. bien placée, coin cuis, mezz. (au dessus des pare-soleil) et WC (il n’y a qu’à ouvrir la portière et profiter du flot dans le caniveau).
A chaque fois que je passe devant cette BMW, ça me démange d’appeler les flics. Ce n’est pas tellement que elle, elle me dérange, mais sa voiture si.
Elle occupe une place depuis des mois qui pourrait potentiellement être libre lorsque je passe devant pour la dixième fois.
Ou bien, je pourrais aussi lui offrir pendant quelques temps des caramels au sel de Guérande et quelques paquets de cigarettes sous des dehors solidaires, mais en lui glissant toutefois discrètement ma carte. Coup double : je rentabilise largement la dépense et à moyen terme je me débarrasse d’elle. Bonne cliente, mais pas pour longtemps.
20:10 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)