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31/07/2006

"La Richmobile" suite et fin

Deuxième partie de l'extrait de la note précédente.

Bonne lecture!

  

  
 

 

"Sally commençait à perdre patience face à mon obsession. « par pitié, tu n’as qu’à aller l’essayer, et si la bagnole te plaît, tu l’achètes », m’a-t-elle dit. (Elle a une Ford Escort, elle en change tous les trois ans après un coup de téléphone de deux minutes à son concessionnaire, et n’y pense plus.) Je suis donc allé faire un essai. Et, naturellement, la bagnole m’a plu. J’ai adoré la conduire. Elle m’a totalement séduit, enchanté. Mais, j’ai dit au vendeur que j’avais besoin de réfléchir. « Pourquoi as-tu besoin de réfléchir ? m’a demandé Sally quand je suis rentré à la maison. Elle te plaît, tu as les moyens de te l’offrir, pourquoi ne pas l’acheter ? » La nuit porte conseil, ai-je dit. Ce qui signifiait, bien entendu, que j’ai passé une nouvelle nuit blanche, à me torturer. Le lendemain matin, au petit déjeuner, j’ai annoncé que ma décision était prise.

- Ah, bon ? a dit Sally sans lever les yeux, plongée dans la lecture de l’Independent. Laquelle ?

- J’ai décidé d’y renoncer. Même si mes scrupules sont complètement irrationnels, ils ne m laisseront jamais en paix, mieux vaut donc que je ne la prenne pas.

- D’accord. Quelle voiture vas-tu acheter à la place ?

- En réalité, je n’ai aucun besoin d’en acheter une. Celle que j’ai peut parfaitement me faire encore un an ou deux.

- Très bien, a conclu Sally.

Mais elle semblait déçue J’ai recommencé à me tourmenter, à douter d’avoir pris la bonne décision.

Au bout de deux ou trois jours, je suis passé devant le magasin d’exposition et la voiture avait disparu. Je suis entré et j’ai sauté sur le vendeur. Je l’ai pratiquement arraché à son fauteuil en le tenant aux revers de sa veste, comme on voit dans les films. Quelqu’un d’autre avait acheté mon auto ! Je ne pouvais pas le croire. J’avais l’impression qu’on avait enlevé ma fiancée la veille du mariage. J’ai clamé que je voulais cette voiture. Il me fallait cette voiture. Le vendeur m’a dit qu’il pouvait m’en procurer une dans un délai de deux ou trois semaines mais, après vérification sur son ordinateur, il n’en existait pas de modèle identique, de la même teinte, sur notre territoire. Ce n’est pas l’une de ces marques japonaises qui ont ouvert des usines en Grande-Bretagne ; celle-ci est importée du Japon autant que le permettent les quotas. Il  s’en trouvait une, m’a-t-il informé, à bord d’un porte conteneurs quelque part en haute mer, mais la livraison n’aurait pas lieu avant deux ou trois mois. En résumé, j’ai fini par allonger mille livres de plus que le prix établi afin de doubler le misérable qui venait d’acheter ma voiture.

Jamais je ne l’ai regretté."


 

18:30 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (4)

« La Richmobile »

medium_therapie.jpg"Thérapie", mon bouquin fétiche (vous devez commencer à le savoir...) est sorti en 1996. Pour fêter son anniversaire je vais vous livrer un de mes extraits favoris. Comme c'est un peu long, premier extrait aujourd'hui, le second ce soir ou demain.... 

 

"J’en suis tombé amoureux dès que je l’ai vue, garée devant le magasin d’exposition, basse sur roues, des lignes fluides, sculptée dans une brume ou filtrait le soleil, aurait-on dit, un gris argenté très très pâle, à l’état nacré. Je m’inventais sans cesse des prétextes pour passer devant le magasin d’exposition afin de pouvoir la contempler de nouveau, et chaque fois j’avais la même bouffée de désir. Je suis sûr que je n’étais pas le seul, moin de là, mais à la différence des autres, je savais que je pouvais entrer dans le magasin et acheter cette automobile sans même me demander si j’en avais les moyens. Pourtant, j’hésitais et je ne le faisais pas. Pourquoi ? Parce que, à l’époque où je ne pouvais pas m’offrir une telle voiture, je réprouvais ces voitures là : rapides, tape-à-l’œil, gaspilleuses d’énergie… et japonaises. Jamais je n’achèterais une auto japonaise, déclarais-je, moins par patriotisme économique (je prenais des Fords qui se révélaient en général avoir été fabriquées en Belgique ou en Allemagne) que pour des motifs sentimentaux. Je suis assez vieux pour me souvenir de la Seconde Guerre mondiale, et un oncle à moi, prisonnier de guerre, avait été tué lorsqu’il travaillait au Siam sur les chemins de fer. Il m’arriverait malheur, me semblait-il, si j’achetais cette voiture, ou tout au moins je culpabiliserais et je serais malheureux quand je la conduirais. N’empêche que je la convoitais. C’est devenu l’un de mes « dadas »-sur lesquels je ne parviens pas à prendre une décision, que je ne peux pas chasser de mon esprit ni laisser de côté. Les dadas qui sont là à me tourmenter quand je me réveille au beau milieu de la nuit.

J’ai acheté toutes les revues spécialisées dans l’espoir de tomber sur une critique désastreuse de cette voiture qui me permettrait de renoncer à l’acheter. Des clous ! Certains comptes rendus d’essai sur route étaient un peu condescendants-« propre », « docile », et même « insondable » figuraient parmi les qualificatifs- mais on voyait bien que personne ne trouvait de reproche à lui faire. J’ai à peine fermé l’œil pendant toute une semaine, à chevaucher mon dada. Le croiriez-vous ? Pendant que la guerre dévastait la Yougoslavie, que le SIDA exterminait les gens par milliers en Afrique, que les charges de plastic explosaient en Irlande et que les statistiques du chômage se dégradaient inexorablement en Grande-Bretagne, la seule pensée qui m’occupait, c’était de savoir s’il fallait ou non acheter cette automobile."

 ...

Thérapie.

David Lodge

Ed. Rivages poche/Bibliothèque étrangère

13:40 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)

29/07/2006

Le mort en sursis.

medium_surgeon.jpg2 fois 2 heures de sommeil cette nuit. je suis comateux aujourd'hui, et le serai demain.

Un patient de 78 ans m’a fait passer une sale nuit.

Il a été admis d’un autre hôpital pour une dissection aortique.

Primo, aucun centre privé de chirurgie cardiaque n’en voulait : trop de risque opératoire, trop de risque de végéter en réanimation.

Donc le chirurgien de mon CHU l’a récupéré, bien à contre cœur (notamment car une transplantation cardiaque était dans l’air, un jeune de 15-16 ans en bout de course), mais un peu obligé quand même.

Finalement, après pas mal de tergiversations, début de la douleur à 14h00, arrivée en réa de chirurgie cardiaque à 1h45.

Je lis le dossier avec le chirurgien, et c’est vrai que le patient ne donne pas envie de se jeter dessus : 78 ans, insuffisance rénale, insuffisance respiratoire, insuffisance cardiaque.

Nous allons voir la famille (surtout le chirurgien, je me suis contenté d’un inutile acquiescement à ses côtés, trop heureux de jouer les Ponce Pilate, pour une fois).

Il a expliqué, dans des termes à mon avis appropriés l’alternative : Quasi aucune chance de s’en sortir si on ne l’opère pas, idem si on l’opère.

On a choisi en accord avec la famille l’option numéro 1.

Bien sûr, la famille était effondrée.

D’où le contraste pathétique avec le grand-père, fatigué mais souriant dont l’aorte est entrain de se déchirer inexorablement ; curieusement, et tant mieux pour lui avec des douleurs minimes. Il m’a fait de la peine, ce petit bonhomme totalement ignorant que son destin avait probablement déjà basculé depuis 14h00. La fin de la récréation va bientôt sonner, et il continue à jouer.

J’espère aussi que ses proches ont pu cacher leurs larmes.

Vous vous demandez, pourquoi ne pas avoir tenté « l’opération de la dernière chance » ?

A jouer le tout pour le tout ?

Tout simplement car elle n’existe quasiment pas en dehors des productions hollywoodiennes, qui font totalement abstraction des suites post-opératoires, alors que ce sont elles qui sont la période la plus dangereuse pour le malade.

En général, ces interventions à visée « compassionnelle » se terminent toujours de la même façon.

  
 

Tiens, la cloche sonne.

17:55 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (10)

26/07/2006

Petite note sombre.

medium_Canicule.2.jpgPetite note sombre.

 

Simple aller-retour en ville, cette après-midi, car l’infirmière de consultation m’avait noté en « congés annuels ». Même si elle m’a vu travailler la semaine dernière après 3 semaines de vacances, et un « à la semaine prochaine » rituel. Donc, bien entendu, je n’avais pas de patient.

 

Je lui fais remarquer qu’elle aurait pu se poser la question : « Pourquoi ? ca me fait un médecin de moins à m’occuper, je pourrais partir plus tôt… ». C’est sûr, faire des ECG et partir à 16h19, c’est un travail dont la pénibilité n’est approchée de loin que par celle du travail au fond des mines dans Germinal. Un médecin et un jour de moins avant la retraite, c’est toujours ça de gagné.

 

D’ailleurs, dans un autre hôpital, on m’a demandé si je venais le lundi 14 août.

 

« Euh, oui, pourquoi ?

 

- Parce que mardi c’est le 15.

 

- Ah bon ? Et alors ?

 

- Si tu ne venais pas, on ne serait pas venues non  plus.

 

- Et les patients, ils font le viaduc ? Du 12 au 15 inclus sans cardiologue dans tout l’Hôpital ? D’autant plus que vendredi 11, il y aura vraisemblablement personne, à la veille d’un si grand week-end… »

 

Elles ne m’ont rien répondu. Je vais finir par passer pour un dangereux maniaque psychorigide.

 

En ville, une enseigne de pharmacie annonce 37°C. Des petits vieux avancent courbés par leurs cabas et la chaleur étouffante. Ils ont la bouche ouverte. En général, ce n’est pas bon signe, ce qui habituel chez un chien est plutôt terminal chez nous.

 

 

 

Sous un ciel laiteux toxique (couleur fenêtre Word mise en arrière plan), les voitures roulent à 70 Kms/H (90-20) sur l’autoroute dans sa portion intra muros. Avec la clim à fond, la consommation ne doit pas être tellement inférieure à celle habituelle. D’un autre côté, c’est toujours mieux que 90 avec la clim à fond…

 

 

 

Arrivé à la maison, je termine la boite « king size » de Smarties, ramenée de Suisse pour mes enfants en écoutant Alanis Morissette.

 

J’ai à la fois honte, mal au ventre et je suis un peu déprimé.

 

Vivement la fin de cette journée.

 

 **************

 

J’ai failli oublier, ce matin, un petit moment « colorée blonde » qui ne m’a même pas trop fait rire sur le coup.

 

Le patient de Guyane (cf. note infra) est orpailleur, métier assez classique dans cette région.

 

J’avais à ma gauche une jeune généraliste qui apprend le döppler avec moi (en soi même, c’est déjà assez loufoque…).

 

 

 

« J’ai une usine d’orpaillage en Guyane »

 

« Pauvres bêtes ! », me glisse à l’oreille ma collègue.

 

« Pardon ?

 

- Pauvres bêtes, il les empaille !

 

- Mais non, c’est de « orpaillage », pas « empaillage » ; tu n’as jamais entendu ce terme ?

 

- Non, c’est quoi ? Mais tu sais, je suis blonde… »

 

 

 

On ne peut pas lui enlever ça, elle est lucide et mignonne.

Boire jusqu’à la lie.

Ce matin, coup de téléphone sur le portable, en pleine vacation de döppler.

Au bout du fil, le mari de la patiente dont j’ai parlé hier.

Le centre privé d’IVG est complet, jusqu’à mi-août, ils me demandent de téléphoner pour faire accélérer un éventuel rendez vous au CHU.

Je refuse, trouve plein de raisons pour ne pas le faire. Mais personne n’est là pour me tendre la bassine pour m’en laver les mains ; la gyneco vue hier est partie en long week-end et le généraliste est aux abonnés absents.

Après 15 minutes de discussion houleuse, je m’exécute.

Ce sera demain.

Le reste de la vacation m’a peu intéressé, même le dernier patient, français vivant en Guyane, aux 9 femmes arawaks (dont les 5 veuves de son frère) et ses 29 enfants.

 

Là, je me gave de smarties pour oublier.

11:51 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)

25/07/2006

Appuyer sur le bouton.

Depuis 8 jours, une patiente me pose un problème de conscience.

 

A la suite d’une quatrième grossesse, elle présente un œdème du poumon. Le service me l’envoie pour bilan. A l’échographie, altération de la fraction d’éjection à 40%.

Deux hypothèses : cardiopathie du post partum ou myocardite virale.

Avec les internistes, je fais un bilan extensif, et je n’arrive pas vraiment à trancher.

Le contexte social est difficile, comme le disait un de mes anciens maîtres : « Ces gens sentent la pauvreté ».

Rien de péjoratif, mais un ensemble de petites observations me font entrevoir une famille modeste, avec 4 enfants, une jeune mère un peu dépassée et un père peu « entourant ». Les grands-parents sont inexistants.

L’annonce de la pathologie cardiaque a semé désordre et inquiétude. A chaque consultation, son état s’améliorait et je les rassurais. Mais elle continuait néanmoins à décrire des plaintes somatiques multiples, de plus en plus fonctionnelles. Peut-être un appel à l’aide devant des tâches domestiques écrasantes.

J’ai proposé de l’hospitaliser à la clinique pour qu’elle se repose, mais son mari y a mis son véto. La dictature des gens que l’on aime est la pire de toute.

 

Elle a un traitement associant IEC et bêta-bloquants, j’ai réussi à arrêter les diurétiques il y à quelques mois. A cette époque, je les avais mis en garde contre une nouvelle grossesse. Malheureusement, elle est tombée enceinte. Elle est actuellement à 12 semaines et demi.

 

Ils viennent me voir lundi matin avec leur fardeau.

Le mari désire zéro risque, et dans le cas contraire, pousse vers l’avortement, malgré ses croyances (il est musulman, elle est d’origine catholique a priori).

Elle est plus nuancée, et hésite beaucoup.

Après quelques minutes, je me rends compte qu’ils veulent que je prenne la décision pour eux. Ils ne sont pas capables d’analyser la situation en pesant les risques ; ils sont paralysés par leurs craintes/espoirs.

Je recommence mes explications, et ils posent les mêmes questions.

Je note encore la différence entre les deux.

Je rédige une lettre à sa gynéco, en préconisant (conseillant, que peut-on utiliser comme terme, ici ??) un avortement, du fait des risques cardiaques.

Une chose est néanmoins claire dans mon esprit : si cet enfant avait été le premier, j’aurais probablement poussé à le garder.

C’est là qu’est l’écharde dans ma chair. Bien qu’athée, la vie m’est sacrée, et ils me demandent une décision que je ne peux pas prendre à leur place. Et ils sont bien au-delà des discussions casuistiques et de risques relatifs ou absolus. Ils ne demandent pas de conseil, mais une décision.

Mais, je suis bien incapable de quantifier ce risque. Le peut-on seulement ?

Il existe, j’en suis certain, mais c’est tout.

A chaque inflexion en faveur de le garder, le mari repart à la charge avec son risque zéro, et elle acquiesce, silencieusement derrière lui.

Je les vois l’un après l’autre, pas mieux.

Je caresse les têtes des quatre enfants piaillant qui sortent de la consultation en ne me sentant pas à l’aise.

La gynéco me rappelle le soir, elle a la même analyse que moi, notamment sur le contexte social. Ils lui ont aussi demandé de prendre leur décision. Elle a esquivé en les adressant vers un centre d’IVG demain. Je ne la blâme pas.

Ce soir, la jeune femme m’appelle sur le portable, après avoir vu son bébé sur l’écho de datation, elle est encore plus désemparée.

Elle va y aller, mais à reculons. Son mari ne préfère pas l’accompagner.

Leur nuit va être difficile.

La mienne aussi.

 

22:12 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (7)

Le sépharade fou.

Il y en a, j’en connais au moins un.

Il a un anévrysme de l’aorte ascendante qui a pris 7 mm en 12 mois (c'est énorme...).

Il ne dépasse pas encore la taille fatidique.

Mais je le surveille tous les 3-6 mois par une IRM.

Du moins, je tente, il ne vient pas aux rendez-vous depuis avril dernier.

Il arrive hier, tel Raminagrobis, «bien fourré, gros et gras », tout transpirant, et les yeux un peu glauques.

« Je suis mort, j’ai fait la nouba toute la nuit ».

« Si votre anévrysme pète sur la piste de dance, vous aurez tout gagné ! »

« Il n’y a pas que sur la piste qu’il risque de pèter… » avec des petits yeux brillants.

«Ca ne va pas laisser un souvenir impérissable à votre partenaire, faîtes un peu attention ! ».

Je lui réexplique pour la nième fois les consignes de prudence, et lui suggère d’aller voir un chirurgien cardiaque fin août.

« Je serai peut-être en Israël pour le mariage d’une cousine ! ».

 

Je le regarde dubitatif : « Ben voyons! Pas trouvé d’endroit plus calme en ce moment ? ».

D’un autre côté, il a plus de chance de mourir d’une rupture d’anévrysme sur une piste de dance d’un mariage sépharade, ou qu’il se déroule que sous une roquette du Hezbollah.

 

Eli, Eli, lamma sabachthani...

12:45 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)

Le Pacifique

medium_pacifique.jpg"Il y a, dans ces eaux, on ne sait quel tendre mystère, avec ce doux mouvement redoutable qui semble vous parler d’une âme enfermée au-dessous, semblable aux fabuleux frissons onduleux de la terre qui émeuvent, dit-on, le sol éphésien où est enseveli l’Evangéliste saint Jean. Et il est juste aussi que sur le déploiement de ces plaines marines, que sur ces amples, mouvants pâturages de l’océan, qu’au-dessus de ces vastes fonds des quatre continents, les vagues roulent et se lèvent, se creusent et se gonflent incessamment ; car des millions d’ombres et de fantômes, de rêves engloutis, ténébreux noctambules, et de songes noyés s’y entremêlent ; tout ce que nous nommons la vie et l’âme, les vies, les âmes sont là qui rêvent, sans finir ; et qui se tournent comme des dormeurs sur leur lit ; aussi les vagues éternelles ne sont-elles rien que le battement de leur inquiétude."

 

Chap. CXI. Le Pacifique

Moby Dick

Herman Melville

Texte français par Armel Guerne

11:32 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)

24/07/2006

La veine du toxicomane.

medium_veine.jpgConsultation hospitalière ce matin, un peu « cour des miracles cardiologiques », comme tous les lundis matin.

Ce matin, toutefois, deux consultations sortant un petit peu de l’ordinaire.

 

La première, un couple venant de Pondichéry. L’homme est en France depuis 22 ans. Il est partit trouver femme au pays récemment et a ramené sa femme en décembre dernier. Elle est enceinte et a des problèmes bénins d’extrasystoles sur cœur sain (c’est ce qu’il fallait vérifier ce matin).

On a un peu discuté de cet ancien comptoir, et j’ai appris plein de choses, notamment qu’il reste encore 20.000 français-pondichériens. Ils m’ont aussi un peu raconté leur mode de vie.

Bref encore une consultation à l’issue de laquelle mon ignorance a encore un peu régressé

 

Dernière consultation, un peu plus surréaliste.

Femme de 40-45 ans, sans particularité physique ou vestimentaire, venant pour un doppler veineux du membre supérieur droit.

En général, on demande ce genre d’examens dans un contexte néoplasique (recherche de phlébite paranéoplasique) ou de bilan pré/post fistule pour dialyse.

 

Ici, rien de tout cela, elle vient parce qu’elle a une veine apparente au pli du coude. Elle me montre, et en effet, elle a une veine médiane basilique au pli du coude un peu saillante et dépressible au toucher.

« Vous savez, c’est rien

- Mais ça me porte préjudice, et elle gonfle bien plus que cela parfois ; je suis obligée de passer de la pommade tous les soirs

- Pourquoi préjudice, elle fait mal ?

- Non, mais j’ai perdu mon emploi à cause d’elle

- ??

- J’étais assistante maternelle, et on m’a expliqué que je ne pouvais pas continuer à causes des bêtises que j’ai faites il y a 10 ans.

- Vous vous piquiez ?

- Pas moi, j’avais trop peur, un ami.

- Et alors, quel rapport avec cette veine ?

- Ils ont vu que j’étais ancienne toxico à cause d’elle.

- Je n’ai jamais entendu parler de cette histoire de veine accusatrice ; en plus, on la voit à peine…

- Mais vous l’avez vue !

- Oui, mais, vous avez pointé le doigt dessus.

- Le Pr. XXX (jamais entendu parlé de lui) m’a dit qu’on pouvait régler ça avec du laser.

- On peut, mais ça me parait fou de traiter quelque chose dont vous ne souffrez pas (ce Pr. XXX doit être encore un ami désintéressé de l’Humanité souffrante).

- J’en souffre, regardez comme elle est visible !

- Moi aussi j’en ai une, regardez, je vais la faire disparaître. Je lève le bras au dessus du cœur, et hop, vous ne la voyez plus ! »

Elle éclate en sanglots : « ça n’a donc pas de rapport avec mes bêtises ? »

- « Pourquoi pleurez-vous »

- « Parce que ça fait 10 ans que j’en avais pas parlé… »

-« C’est rien, ce qui est fait est fait, aucun intêret de revenir dessus, et foutez la paix à votre veine »…

 

Par curiosité, et pour ma culture générale, avez-vous déjà entendu parler d’une veine du pli du coude saillante, tendue comme un doigt accusateur de toxicomanie ancienne (genre "Ecce Homo") ?

Un réseau veineux en arbre mort, éventuellement, mais je n’ai jamais entendu parler de cette histoire…

13:00 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)

23/07/2006

Les figues fraîches.

medium_Figues.jpgFinalement, je ne vous ai même pas raconté en détail ma soirée avec P. la blonde.

Pour les lubriques, genre Ron, ou les sismologues genre Mélie (;-)), il ne s’est rien passé au-delà de la table du restaurant. Donc si vous voulez des détails croustillants, allez plutôt lire Anne Archet (en plus, elle a plus de talent littéraire dans son petit doigt que tous les Passmore, moi compris, des 20 dernières générations.).

Donc, après son SMS inattendu, et presque 3 ans depuis notre dernière rencontre, nous nous donnons rendez-vous dans un lieu emblématique de la ville. Le genre « sous la queue du cheval » des lyonnais.

Bon, manque de pot, des flics et tout un tas de sympathisants libanais battent le pavé à l’endroit choisi.

Heureusement, elle est grande et blonde. Heureusement aussi que ce n’est pas la Suède qui croule sous les bombes israéliennes.

Je la repère donc rapidement. Elle n’a pas changé du tout, de grands yeux verts (ou bleus, j’ai un doute…) et un nez se retroussant à chaque sourire. Elle passe devant moi, son petit tatouage me semble un peu passé (un petit chat de face, à la pointe de l’omoplate ; quand elle bouge le bras, on dirait qu’il avance vers nous)

J’avais initialement prévu le restaurant du Sofitel, avec sa vue magnifique. Manque de pot, complet à cause de la présence d’une forte délégation chinoise venue ici pour faire du commerce.

Ils ne vendent donc pas assez de produits en France ? Non mais, quelle idée de venir contrecarrer cette soirée!

Des chinois, des libanais, j’en deviendrais presque xénophobe….

On s’est finalement replié dans un restaurant de couscous.

(Comme quoi, je ne suis pas rancunier).

Nous nous sommes assis en terrasse. Mon Dieu qu’elle est belle….

Je pense à ma femme et mes enfants à 350 Kms de là… (un infirmier  à qui  j'avais raconté  ce futur dîner m'avait sorti  une théorie comme quoi "au delà de 150 Kms, ce n'est plus pécher")

Ce soir, Sally doit me faire confiance, car elle ne m’appelle pas une seule fois pour lui dire bonne nuit, puis à Guillaume, puis à Thomas, comme si tout le monde se couchait à des heures décalées. Ou bien elle est scotchée devant une de ses séries cultes (Lost ou Desperate Housewife). En y réfléchissant, c’est même curieux qu’elle n’ait pas appelé. A son retour, je lui demanderai ce qu’elle faisait ce soir là…

P. prend un Tajine aux fruits de mer et moi aux figues fraîches.

La conversation démarre.

Première partie, sa vie privée.

Point d’interrogation général pour moi (PIG dans Thérapie ; c’est d’ailleurs elle qui m’avait conseillé de lire ce livre. Je viens de m’en souvenir en écrivant ces lignes…).

Comment une fille aussi jolie, gentille et pas bête du tout (ce n’est pas un critère absolu, mais elle est médecin) n’a jamais réussi à trouver une stabilité sentimentale depuis tant de temps (10-12 ans depuis que je la connais). Peut-être est-elle particulièrement difficile à vivre dans la sphère privée ? D’un autre côté, je me dis que la Vie fait bien les choses ; si seul(e)s les non-avantagé(e)s-par-la-Nature avaient du mal à trouver le bonheur, le taux de suicide serait rédhibitoire. Il faudrait alors créer des armées entières de sapeurs-pompiers, et de psychiatres de garde (jeune homme/femme, à la voix douce, se promenant le plus souvent dans les services d’urgence, seul le port dans la main droite d’un dossier médical permet de l’identifier comme appartenant au corps médical).

Intervalle de « Survie » de ses copains : de deux semaines à deux ans. Je n’ai pas osé lui demander la médiane, la moyenne et l’écart-type. Un beau matin, elle se lève et balance souvent sans sommation : « j’en ai marre, je te quitte ». En général, ils le prennent assez mal.

Deuxième partie, après les tajines : ma célèbre image du "loup et le chien", pour la consoler d’être célibataire.

Je sais, je sais, je ressors cette fable toutes les fois. Mais comme je n’ai jamais expliqué ma théorie sur ce blog (merci Google), à défaut d’avoir cité la fable dans un commentaire de la note « Blancs, bruns et blonds. », la voici :

Les individus se divisent grosso modo en deux groupes (faisons simple, sinon simpliste) : les chiens, c'est-à-dire ceux qui ont une vie de couple stable, et les loups, les autres.

Les premiers sont bien nourris, régulièrement, sans grande complication. Mais ils sont attachés.

Les seconds sont quasiment toujours morts de faim, mais ils sont libres.

Choix cornélien. Envie perpétuelle d’être dans l’autre groupe, ou d’être dans le sien sans les inconvénients, mais ce qui est quasiment impossible. Lisez la fable, absolument tout y est : la flatterie pour manger…

A la fin de la fable « Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor. ». Je lui serine cette histoire depuis 11 ans : qu’elle profite bien de sa liberté…

Mais sans grand succès, car elle se morfond toujours, même si elle reconnaît des avantages au célibat.

A la fin, on a attaqué le dessert en parlant d’adultère. Promis, je ne sais pas qui a lancé le sujet. Le fondant au chocolat, le thé à la menthe et surtout l’alcool de figues à 40°C ont un peu embrouillé ce passage de la soirée. Je ne me souviens de pas grand-chose jusqu’à la bise au pied de son hôtel. J’avais emmené mon cartable, et je ne savais pas trop quoi en faire au moment critique. Note pour la prochaine fois dans 3 ans : ne pas apporter d’objet encombrant (parapluie, cartable, appareil à ECG…). A vrai dire, mes mains auraient été libres, et l’esprit un peu plus clair, je n’aurais pas été plus à l’aise.

Le « au revoir » a été fort bref, et je m’en suis retourné le pas empesé, avec mon cartable, et ma petite chemise à carreaux, comme un écolier gêné qui aurait raté son premier baiser. Le ridicule ne tue pas, heureusement. D’un autre côté, elle n’a pas fait grand-chose pour influer sur la fin de la soirée. Voyons les choses du bon côté, elle m’a ainsi évité un choix de conscience douloureux.

L’honneur est sauf, la morale aussi.

Mais la fragrance du péché est bien plus douce que celle de la figue fraîche.

On verra bien dans 3 ans.