18/12/2006
Souvenirs, souvenirs.
Mon premier choix d’interne, première semaine.
Je suis aux soins intensifs cardiologiques d’un CHU. « J’hérite » d’un patient connu comme le loup blanc dans le service. C’est un SDF, avec une cardiopathie ischémique sévère. Il a déjà fait X décompensations cardiaques. Il est connu car il déambule nonchalamment dans les couloirs du service en traînant derrière lui sa sonde urinaire et une odeur acre de tabac froid et de crasse. Là, c’est un peu différent, il s’est présenté avec un emphysème sous cutané gigantesque, diffusé sur l’ensemble du tronc. Pour donner une idée, il ressemble à Bibendum. Un peu livré à moi-même, je vais demander un avis au Chef de service de pneumologie, deux étages en dessous. Très intimidé, je rentre dans son bureau et je lui raconte l’histoire. Il me regarde, silencieux puis me dit : « Tu devrais prendre une aiguille à sous-cutanées (les oranges) et lui crever toutes ses bulles ».Fin de l’entretien.
De retour dans mon service, un chef qui passait par là s’est moqué de moi. Il semble, que sans le savoir, j’étais allé demander conseil au pire pneumologue du CHU. Le patient est mort peu après. Avec le temps, je pense qu'il était largement au delà de toute ressource thérapeutique, mais la réponse est restée gravée dans mon esprit.
23:25 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (5)
14/12/2006
Science sans conscience…
N’est que ruine de l’âme.
Bien belle phrase, et bien beau concept pas toujours facile à appliquer dans une pratique médicale de plus en plus « normalisée ».
Je suis une femme de 76 ans depuis fin 2005 pour une hypertension artérielle.
Elle souffre d’une insuffisance respiratoire chronique obstructive sévère per tabagique (elle fume toujours) et post tuberculeuse avec des critères spirométriques effondrés. Bien sûr, pour corser la difficulté du traitement anti HTA, cette BPCO est plus ou moins cortico-dépendante.
Elle est suivie en pneumo, et par une médecin généraliste.
Quand je la vois pour la première fois, elle ne me parait pas commode.
Maigre et osseuse, des allergies à n’en plus finir et surtout un suivi professoral imposant (agrégé de pneumo, agrégé de dermato, agrégé de médecine interne).
En gros, elle veut bien être traitée, mais pas avec n’importe quoi. Le « n’importe quoi » étant bien sûr hautement subjectif. Elle critique tous ses soignants, notamment la généraliste.
Elle est dyspnéique au moindre effort, sibilante et a tendance à respirer les lèvres serrées quand je la fais monter sur la couchette.
En lisant le dossier, je me rends compte qu’elle a un épanchement péricardique jugé « important ».
A l’examen, jambes fines mais turgescence jugulaire nette.
La tension est à 150/80.
Je modifie un peu le traitement et demande un contrôle échographique.
Ce dernier examen répond : discuter le drainage.
Bon, je la trouve bien fragile et je la traite par aspirine à forte dose pour essayer de résorber l’épanchement. Sans succès.
Elle vient me voir assez souvent, et finalement, je m’attache à cette petite bonne femme courageuse. On en arrive à se faire voir les photos de nos enfants (pour moi) et petits enfants (pour elle).
Chaque fois que je la vois, je me pose la question d’un drainage. Je me pose la question de la nature de cet épanchement (néoplasie, tuberculose…) et de l’amélioration de la dyspnée qui pourrait en découler. Ce qui me fait hésiter est primo le risque opératoire et secundo le fait qu’elle supporte la position couchée sans broncher (je suis un cardiologue primaire : on ne draine (à visée thérapeutique) que si le décubitus est mal toléré). A chaque consultation j’hésite puis rituellement je la couche à plat, puis hésite encore.
A chaque fois l’écho répond « envisager le drainage ».
Je parle avec elle : elle a peur de se faire endormir avec son insuffisance respiratoire (je la comprends) et elle préfère vivoter et voir ses petites filles que de risquer une intervention pour aller mieux.
Je demande l’avis d’une copine anesthésiste qui exclut un drainage sous locale.
La médecin généraliste me demande de jeter un coup d’œil à ses artères de jambes, notre patiente se plaignant de vagues douleurs bilatérales et atypiques. Je lui fais un döppler : sténose serrée de l’artère fémorale superficielle gauche au tiers supérieur. Arggg, encore une indication potentielle de geste invasif. Heureusement pour ma conscience, l’IPS de repos est à 1 et elle est tellement dyspnéique à l’effort qu’elle n’arrive même pas à son périmètre de marche probable. Je repousse donc toute intervention pour le moment.
Je tourne encore un peu en rond autour du péricarde. Elle se sert clairement de mes hésitations pour ne pas se faire drainer : « je vous fais confiance, mais ne me faites pas opérer… ». J’ai quand même le sentiment que si j’insistais un peu, elle irait au bloc.
Toujours l’éternel problème de la balance risque/bénéfice.
D’où est venu mon salut ?
Et bien, de la médecin généraliste.
Par le biais de ses courriers, elle m’avait laissé une impression un peu, disons mitigée. Ses préoccupations se fixant sur ce qui me semblait être de nombreux et petits détails.
De plus, mes consultations étant assez souvent « Rock N’ Roll », je n’avais jamais trouvé le temps de l’appeler afin de parler de cette patiente.
Ces deux facteurs ont fait que je l’avais un peu oubliée dans cette histoire, malgré mes retours de courriers quasi systématiques.
Hier, j’ai pris le temps.
Je suis tombé sur une femme très bien.
Pas du tout « intellectuelle de gauche » comme je l’avais pensé initialement (je parie que cette phrase va faire exploser les commentaires…).
Elle m’a clairement fait savoir sa préférence pour l’abstention thérapeutique lourde.
On a discuté une bonne vingtaine de minutes.
Je lui ai donné mon portable pour faciliter les contacts en cas de nouveaux soucis (notre patiente a fait une syncope à domicile il y a 15 jours, ce qui m’avait fait encore plus tourner autour de son épanchement).
Finalement, un praticien confronté à un cas difficile est souvent soumis à plusieurs forces parfois antagonistes.
Primo, sa propre expérience, qui couplée à l’approche du malade (scientifique et humaine) lui permettent de choisir un schéma thérapeutique qu’il estime être le meilleur.
Secundo, le doute inhérent à tout choix difficile va le pousser à demander des avis à d’autres confrères. C’est la « pluridisciplinarité ». C’est très bien, mais surgit alors la crainte que le destin médical du patient lui échappe.
Tercio, la relation avec le patient, qui en devenant affective peut devenir gênante pour la prise en charge en troublant une réflexion qui devrait être objective.
Dans ce cas, sans diluer ma responsabilité, ni m’en laver les mains, j’ai noué (un peu tardivement) une alliance avec un autre médecin prenant à cœur le destin de cette patiente. Cela m’a permis d’affirmer la décision thérapeutique que je pense être la bonne, même si elle ne répond pas aux « canons » de la médecine actuelle.
Et si la médecin généraliste avait poussé à la roue pour la faire drainer ?
…
14:36 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)
12/12/2006
Maladie thrombo-emboliqe et grossesse
Je suis actuellement deux femmes enceinte ou en post-partum qui ont fait une embolie pulmonaire durant leur grossesse.
J’ai retrouvé un diaporama que j’avais rédigé en 2004 pour un staff; en voici quelques extraits.
Les données sont tirées en grande partie de l’EMC.
°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0
Grossesse = risque de thrombose veineuse profonde
• Risque relatif entre 5 et 6
• 50% des accidents thrombo-emboliques chez les femmes de moins de 40 ans
Incidence paraclinique: 0.2 à 7 p. mille grossesses
100 thromboses veineuses profondes non traitées = 15 à 25 embolies pulmonaires
Maladie veineuse post phlébitique après 11 ans de suivi:
• 78% de femmes symptomatiques dont 4% d’ulcération cutanée
Embolies pulmonaires
Incidence: 3 – 12 p. mille grossesses
Mortalité spontanée: 13% (1-2 p 100.000 grossesses)
2ème cause de mortalité maternelle en France (19% des décès en 1991)
Facteurs de risque :
· Période du post partum
· Antécédents de thromboembolie
· 13% de récurrence sans prévention
· Surcharge pondérale
· Oestroprogestatifs en post partum
· Stimulation ovarienne
· Facteurs « classiques »
Déficit AT III, Déficit en protéines S ou C, Facteurs II et V Leiden, Résistance protéine C activée, Ac anti phospholipides (lupus), Mutation G20210A prothrombine, Hyperhomocystéinémie…
La survenue en cours de grossesse d’une maladie thrombo-embolique impose la recherche d’une thrombophilie.
Des modifications hématologiques physiologiques persistent jusqu’à trois mois post-partum.
Il faut donc refaire le bilan de thrombose 3 mois post-partum,
pour pouvoir correctement estimer le risque thrombophilique.
· Âge
· Régime alimentaire (je ne sais plus ce que c'est...)
· Césarienne
· RR = 3-16
· Parité
· Chirurgie post partum (ligature des trompes…)
· Hospitalisation
Stimulation ovarienne
• Gonadotrophines
• Citrate de clomifène
• Les 2 combinés
Provoquent :
Augmentation VIII, X et fibrinogène
Diminution protéines S et C
Diminution AT III
Diminution de la fibrinolyse
Diminution du VII
Augmentation protéine S libre
Soit un équilibre entre les facteurs pro-coagulants et pro-hémorragiques
Donc pas de majoration du risque chez une femme sans facteur de risque,
et en dehors du syndrome d’hyperstimulation ovarienne.
Diagnostic clinique très difficile
96% à gauche, 4% bilatérale, jamais isolée à droite
Symptomatologie frustre même en cas de TVP proximale (réseau veineux collatéral)
17:10 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)