18/02/2008
Les « machins »
Deux beaux « machins » au sens gaullien du terme dans le bulletin de l’ordre de février que je viens juste de recevoir.
La spécialité de médecine générale (tout en bas de la page)
Revaloriser dans tous les sens du terme la filière « médecin générale », certes.
Mais commencer par une contorsion sémantique totalement vide de sens (accoler dans la même phrase "spécialité" et "générale") me semble de mauvais augure.
J’aime bien aussi cette phrase lourde de sous-entendus :
« Il est apparu discriminant de faire cohabiter sur un même territoire les nouveaux spécialistes en médecine générale et les anciens généralistes exerçant depuis plusieurs années. ».
Ah bon ? "Il est apparu", à qui ? (le passif a un emploi très commode, parfois)
Les médecins dits « généralistes » pourraient donc se sentir discriminés par les dits « spécialistes en médecine générale » ?
Pour quelle raison ?
La sémantique aurait donc un tel pouvoir ?
A quelle heure l’enseignement de la médecine s’est tellement amélioré que les « généralistes » pourraient se sentir « discriminés » ?
Je m'en fiche, me direz-vous. Et bien, pas tant que cela.
A quelle heure l'enseignement médical aura tellement fait de progrès, qu'il faudra nommer des "spécialistes en médecine spécialisée"?
Et y aurais-je droit, au risque de me sentir, moi aussi discriminé ?
Dois-je encore parler aux proches qui ne sont plus que "simples médecins généralistes" ? Je le ferai, car j'ai l'esprit ouvert et je suis tolérant. J'aurais même le courage de dire au cours des dîners en ville "Que j'ai un ami médecin généraliste". Et toute la tablée me regardera avec admiration ou dégoût.
Et les sous ? Problème certes très secondaire, dans cette histoire...
Et bien, le Conseil, que nous élisons en ce moment, s’en lave opportunément les mains dans le dernier paragraphe, mais vous soutient totalement, Il est entièrement derrière vous.
Je veux, j’exige d’avoir la qualification de général de médecine spécialisée (et la rétribution qui va avec) !
Ne rigolez pas, j'y ai droit. Je fais une EPP qui me distingue des autres mauvais médecins (les mêmes que ceux qui n'auront pas droit à leur nouveau colifichet ordinal car ils n'auront pas satisfait aux fameux critères "...pas opposables car ils ne sont pas légalement obligatoires...").
- Médecin,
- Médecins généralistes et médecins spécialistes,
- Médecins généralistes, médecins spécialistes en médecine générale, médecins spécialistes,
- ...
Cette dérive de type "grades dans l'armée mexicaine" en dit long sur la dévaluation de notre statut de "médecin".
Hippocrate, réveille toi! Ils sont tous devenus fous.
Le nom seul, est déjà ridicule (et dérisoire)....
13:00 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (4)
15/02/2008
Les aventures de J…
J…, infirmière très compétente, très gentille, très jeune (DE +1.5 ans) et très blonde.
En plus, elle est un peu dyslexique.
Un jour, j’ouvre le dossier infirmier d’un patient déjà là depuis quelques jours.
Un énorme et inquiétant « VIRUS » s’étale en première page à la place du nom de famille.
« Comment s’appelle le patient ? »
« Vitus, pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai marqué ? » (ce nom est un pseudonyme)
…
Un autre jour, j’entre dans une chambre alors qu’elle explique consciencieusement à un monsieur d’une quarantaine d’années comment faire une « petite toilette », avant de faire une ECBU.
« Alors, vous prenez les compresses, vous mettez ce produit dessus, et vous vous frottez le ki…, uhmm, le kiki…, le prépuce ! »
« Uhmm, tu sais, ce monsieur étant musulman, il est probable qu’il n’ait plus son prépuce depuis très très longtemps… ».
Malgré ses 39°C, le patient était écroulé de rire.
Discussion avec l’aide-soignante qui a autant de bouteille qu’un vieux loup de mer et J… après que nous ayons accueilli un monsieur âgé accompagné de son fils.
Je demande à l’aide-soignante : « Uhmm, c’est moi, ou le fils me parait un peu…. »
« En effet, c’est ce qu’il m’a semblé ! »
« C’est sûr qu’il l’est, il est tout bronzé, sauf le pourtour des yeux ! »
Fou rire avec l’aide-soignante. Nous mettons quelques minutes avant de pouvoir lui demander comment elle pouvait être si catégorique avec un signe aussi étrange.
« Facile, il fait des UV, et il est tout bronzé, sauf autour des yeux à cause des lunettes… »
Alors là, rien à dire, respect. Je ne pense pas que ce signe soit très spécifique ou très sensible, mais en tout cas quel sens de l’observation…
Bon à côté de ses remarques parfois un peu surréalistes, sa conscience professionnelle nous a (et m’a) déjà souvent sorti(s) de mauvais pas ou l’examen un peu trop rapide d’un patient nous avait fourré.
Je me souviens notamment d’une pauvre dame qui se plaignait de diarrhée et disait qu’elle urinait moins. Nous avons tous fait du symptomatique pour le trouble du transit (ultralevure…) et négligé le reste. C’est finalement J… qui nous a apporté la solution : la patiente était sous patch de morphiniques et ses symptômes étaient des effets secondaires pourtant « classiques » : rétention d’urines et fécalome…
Merci petite J… !
10:00 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)
14/02/2008
Le deuxième avis.
« Alors ? »
Le patient est tout sourire.
J’ouvre la pochette de l’examen : négatif !
« Parfait, Champagne ce soir pour fêter ça ! »
« Je n’ai pas droit à l’alcool »
« Bon, alors Perrier à volonté ! ».
Ce patient est venu me voir mi janvier avec de gros soucis.
Greffé hépatique et rénal, il est suivi comme le lait sur le feu par deux équipes de greffeurs.
Chaque année, il passe une évaluation coronaire, qui est pour l’instant toujours normale.
Mais fin décembre dernier, il s’est rendu au CHG, plus proche de chez lui que le CHU pour son bilan.
Un cardiologue lui passe donc une échographie à la dobutamine. Le médecin est inquiétant : infarctus passé inaperçu, danger, coronarographie à faire rapidement. Il contacte même sur le champ le coronarographiste.
Le patient, très au courant de ses pathologies (comme tous les greffés) s’inquiète pour son rein (à cause de l’iode de la coronarographie) et demande un temps de réflexion.
Il contacte les néphrologues qui répondent « Si les cardiologues veulent la coronarographie, qu’ils la fassent ».
Il contacte alors les hépatologues qui me demandent un deuxième avis.
Début janvier je vois le patient, et surtout le résultat de ce fameux examen.
D’abord le nom : je le connais, pas en bien.
Ensuite la conclusion : brouillonne, aucun des critères de qualité requis.
Je lui demande de refaire cet examen, qui revient donc parfaitement normal.
Moralité :
Il n’y en a pas. En tout cas ce n’est pas « Préférez le CHU au CHG ».
Les greffés préfigurent à mon avis ce que devraient être idéalement, et seront peut-être une partie de nos patients, c'est-à-dire des acteurs, et non des spectateurs de leurs propres soins.
Ils se connaissent parfaitement, interagissent énormément avec leurs équipes de greffeurs qui sont souvent bien plus à leur écoute que n’importe quelle autre équipe de soignants, et ils en tirent un bénéfice maximum. Ils se posent des questions et sont parfois capables de trier le bon grain de l’ivraie. Ils ont bien sûr toujours besoin de nous, comme nous avons besoin d’eux pour les soigner. Ils sont bien sûr réputés « difficiles », car ils sont moins moutons de Panurge que les autres.
Si vous me permettez une comparaison bouddhiste un peu hardie, ils sont « éveillés ».
Cet « éveil » n’est bien sûr pas à la portée de tout le monde.
Mais ce qui était réservé jusqu’à présent qu’à quelques patients atteints de pathologies lourdes et entourés d’équipes médicales importantes (je n’ai parlé que des greffés, car ce sont eux que je connais le mieux) va probablement se « démocratiser », grâce notamment à la « médecine 2.0 ».
Ce concept qui excite beaucoup encore un tout petit cénacle induit une mutualisation de l’information médicale sur le net.
Cette information n’est plus déclamée en chaire sur des sites institutionnels, mais est alimentée, organisée par quiconque s’intéresse au sujet : soignants, soignés, voire d’autres.
Ne pensez pas que ce concept est encore une nuée dans l’esprit d’un geek médicophile. Il se développe doucement mais sûrement. Ce blog, comme tous les autres blogs médicaux sont censés faire partie de ce concept. Bien plus intéressant, le carnaval des blogs médicaux auquel vous avez participé, soignants ou non « est » l’exemple type de ce qu’est la « médecine 2.0 ». Mais il en existe des dizaines d'autres exemples, et leur nombre augmente chaque jour (fora, wikis...).
Vous avez fait de la « médecine 2.0 », comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, sans vous en rendre compte.
Bien sûr, des tas d’écueils bien réels devront être évités (j'en parlerai peut-être une prochaine fois).
Mais que nous le voulions ou non, une partie de nos patients va maintenant vouloir participer activement à leurs soins grâce aux informations glanées sur le web.
C’est ainsi, on n’y peut rien, il faut s’y préparer, et faire en sorte que cette nouvelle version du binôme soignant/soigné fonctionne pour le mieux, pour le plus grand bénéfice des deux partenaires.
Soigner des patients « éveillés » requiert plus de rigueur dans nos prises de décision et dans leur application.
Soigner des greffés, patients réputés « difficiles », et bientôt soigner de plus en plus de patients éveillés va nous obliger à devenir meilleurs, et à le rester.
Je crois que ce défi va être intéressant.
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A lire/ à découvrir (liste non exhaustive) :
- La série d’articles sur la médecine 2.0 sur Atoute.org
- La série d’articles de Marie-Françoise de Pange dans le Quotidien du Médecin (pour les abonnés)
- Le wiki de Gaétan Kerdelhué
08:50 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (5)