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17/02/2008

Dimanche, à la maison, seul.

J’aurais très bien pu écrire samedi ou samedi et dimanche, aussi.

 

Je n’ai pas mis le nez dehors, je ne désire rien de particulier, à part récupérer de la semaine passée et de celle à venir, notamment de la garde de demain.

 

Malheureusement, ce n’est pas possible de récupérer par anticipation.

 

Depuis ce matin, j’écoute des MP3 diffusés par mon PC et lit avidement le « Seigneur de Bombay » (page 355 à l’heure ou j’écris cette note).

Le « One night in Bangkok » et sa fabuleuse intro m’étourdissent en me faisant mesurer le temps écoulé depuis l’année de mes 12 ans.

 

Cette « non vie » me rappelle furieusement l’époque de mon célibat. La « non vie », c’est quand on ne fait rien, et surtout que l’on a rien envie de faire, ou tout projet de sortir de la maison s’achève par un « à quoi bon ? ».

Avec une épouse et 2 enfants, ces périodes sont devenues rares.

Le temps et moi-même nous tuons donc mutuellement ce dimanche 17 février.

 

D’un autre côté, je ne suis pas malheureux, allant du canapé Ikéa blanc (déjà tâché par les chaussures terreuses des petits) où m’attend sagement le gros roman doré, à ma petite place devant le PC quand je veux obtenir des précisions sur tel ou tel point soulevé dans le récit.

Vous saviez que les Sikhs portent traditionnellement 5 articles de foi sur eux, « les 5 K », Kesh, Kanga, Kaccha, Kara et Kirpan ? Et que le port de ce dernier a fait l’objet d’une décision de la Court Suprême du Canada en 2006 (Multani v. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys) ?

Et bien, Wikipedia le sait, lui.

 

Le héros du roman, l’inspecteur Sartaj Singh, est sikh, d’où mon intérêt soudain pour cette religion.

Autre particularité, lue aussi sur Wikipedia, est que l’immense majorité des hommes sikhs portent le nom de famille « Singh », et les femmes celui de « Kaur ».

Etrange et étonnant.


Je me suis aussi remis à boire du thé. Pas le délicieux Assam Orange Pekoe que j’ai terminé il y a bien longtemps (je l’avais trouvé dans une boutique non loin de l’Opéra), mais un thé Lipton en vrac à l’orange. Je n’ai pas la possibilité de faire la fine bouche. L’autre choix étant un fond de thé noir kenyan de la marque "Fahari Ya Kenya" que nous avions ramené de là-bas en 2000 ou en 2001. Une éternité, pour un thé. J’ai choisi la prudence.

Je l’ai sucré avec du miel de châtaignier, et le résultat n’est pas si mauvais, d’autant plus que je me suis permis de le boire dans le service de porcelaine Villeroy & Boch à motifs africains que j’ai offert à Sally pour Noël.

Porcelaine fine et petite transgression améliorent nettement le goût d’un thé, même médiocre.

 

Ce soir, pour rester en Asie, soupe de nouilles chinoises à l'arôme, mais sans aucun atome de crevettes (Halal, qui plus est) en 3 minutes. Les solitaires et/ou les flemmards et/ou les pressés savent de quoi je veux parler. Tout un pan de notre société résumé en 1 paquet de nouilles chinoises…

 

Bon, vivement demain que la vie reprenne le pas sur la « non vie ».

L'Ubris du blog et la douche

En général, je suis assez peu adepte des statistiques de « Grange Blanche ».

 

Toutefois, je les consulte quand je me rends dans la partie administrateur pour nettoyer un peu les commentaires, ou toiletter la présentation de telle ou telle note, voire celle de la page en entier. Vous avez pu remarquer que j’aime bien changer de présentation, notamment quand je n’ai rien à raconter d’intéressant, c'est-à-dire assez souvent (il faut bien le dire…).

 

Je ne regarde pas les chiffres en eux même, qui sont assez stables depuis des mois, mais plutôt une augmentation brutale qui signalerai que l’on a créé un lien vers le blog.

J’aime bien regarder qui me lie, pour savoir ce qui est dit, et le lier de mon côté, le cas échéant.

Je présume que tous les blogueurs ont à peu près la même attitude.

 

 

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Je suis satisfait de mon audience, un peu comme le Raminagrobis de la fable.

Je ne désire pas plus, ce qui augmenterai mécaniquement les problèmes pour l’instant mineurs liés à la gestion de ce blog. Je ne désire pas moins non plus, car écrire dans le désert, sans aucun retour n’a strictement aucun intérêt.

 

Mais là où ça devient intéressant, c’est quand je consulte les statistiques apportées par « Statcounter ».

Par an, la progression est très satisfaisante pour l’ego (blog ouvert le 30/01/05, Statcounter installé le 14/05/05).

 

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Comme le dirait mon épouse, très philosophe « Tu es satisfait de toi, c’est le principal ».

Mais Statcounter permet des analyses bien plus fines, notamment la durée de séjour sur « Grange Blanche », et là, ça devient franchement hilarant.

 

 

 

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Depuis 2005, la proportion des visiteurs qui restent moins de 5 secondes sur ce blog est à peu près égale à 2/3. Si on part du principe qu’il faut au moins plus de 5 minutes pour lire une seule note (courte), vous pouvez constater que finalement, il ne reste que très peu de véritables lecteurs parmi les quelques visiteurs quotidiens.

 

A la douche froide, Raminagrobis !

 

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D’ailleurs, pour ceux qui pensent encore que le web est un des derniers espaces de liberté :

 

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J’ai pris une visite au hasard, j'ai caché l'adresse IP.

Statcounter, qui est gratuit, a déjà au moins 3 ans et probablement pas le meilleur compteur de visites, permet d’obtenir tous ces renseignements.

Chaque fois, ça me fait un peu froid dans le dos.

« Big Brother is watching you ! »

 

 

09:05 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (9)

L'ankus du roi (3)

Kaa s’élança, les yeux flambants.

 

— Qui m’a prié d’amener l’Homme ? siffla-t-il.

 

— Moi, évidemment, dit du bout des dents le vieux Cobra. Il y a longtemps que je n’avais vu d’Homme, et celui-ci parle notre langue...

 

— Mais il n’était pas question de tuer. Comment puis-je retourner à la Jungle et dire que je l’ai conduit à la mort ? dit Kaa.

 

— Je ne te parle pas de tuer, jusqu’à ce qu’il en soit temps. Et quant à ce qui est, pour toi, de rester ou de partir, il y a le trou dans le mur. Silence, maintenant, gros tueur de singes ! Je n’ai qu’à te toucher au cou, et la Jungle n’entendra plus parler de toi. Jamais homme n’est venu ici, qui s’en soit allé respirant encore. Je suis le Gardien du Trésor de la Cité du Roi.

 

— Mais je te déclare, à toi, ver blanc des ténèbres, qu’il n’y a ni roi ni cité ! La Jungle est là tout autour de nous ! cria Kaa.

 

— Il y a toujours le Trésor. Mais nous pouvons faire une chose... Attends un peu, Kaa des Rochers, et regarde le garçon courir. Il y a place, ici, pour se divertir. La vie est bonne. Cours çà et là pour un moment, amuse-toi, mon garçon !

 

Mowgli posa tranquillement la main sur la tête de Kaa.

 

— Jusqu’alors la créature blanche n’a eu affaire qu’aux hommes du Clan des Hommes... Elle ne me connaît pas, murmura-t-il... Elle a voulu cette chasse. Qu’on la lui donne !

 

Mowgli se tenait debout, l’ankus à la main, la pointe tournée vers la terre. D’un geste rapide il le lança devant lui, et l’ankus retomba sur le gros Serpent, en travers et juste en arrière du capuchon, et le cloua sur le sol. En un éclair Kaa tombait de tout son poids sur le corps qui se tordait, le paralysant du capuchon à la queue. Les yeux rouges flamboyaient, et les six pouces de tête libres battaient furieusement de droite et de gauche.

 

— Tue, dit Kaa, comme Mowgli portait la main à son couteau.

 

— Non, dit Mowgli, en tirant la lame ; je ne tuerai plus, sauf pour vivre. Mais regarde, Kaa !

 

Il saisit le Serpent derrière le capuchon, ouvrit de force la bouche avec la lame de son couteau, et montra les terribles crocs venimeux de la mâchoire supérieure, qui apparaissaient noirs et desséchés dans la gencive. Le Cobra Blanc avait survécu à son poison, comme il arrive aux serpents.

 

— Thuu1 (c’est tout sec), dit Mowgli.

 

Et, faisant un signe de départ à Kaa, il ramassa l’ankus, rendant au Cobra Blanc la liberté.

 

— Le Trésor du Roi réclame un nouveau Gardien, dit-il gravement. Thuu, tu as tort. Cours partout çà et là, et amuse-toi, Thuu !

 

— Je suis déshonoré. Tue-moi ! siffla le Cobra Blanc.

 

— Il a été trop question de tuer ici. Nous allons partir. Je prends la chose à pointe d’épine, Thuu, comme prix du combat et de ma victoire.

 

— Prends garde, alors, que cette chose ne finisse par te tuer toi-même. C’est la Mort ! Souviens-t’en, c’est la Mort ! Il y a, dans cette chose, assez pour faire périr les hommes de toute ma cité. Tu ne la garderas pas longtemps, Homme de la Jungle, pas plus que celui qui te la prendra. Ils tueront, tueront, et tueront à cause d’elle ! Ma force est desséchée, mais l’ankus fera mon ouvrage. C’est la Mort ! la Mort ! la Mort !

 

Mowgli se traîna par le trou pour regagner le passage, et sa dernière vision fut celle du Cobra Blanc frappant furieusement de ses crocs désarmés les faces d’or indifférentes des dieux couchés sur le sol, et sifflant :

 

— C’est la Mort !

 

 
Notes:
1 Littéralement : "souche pourrie". (N. d. T.) 

 

 

 

(A suivre…)

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Le Second Livre de la Jungle. 1894

Rudyard Kipling.

 

08:20 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)

16/02/2008

Le seigneur de Bombay.

Vous ne risquez pas de passer à côté des piles de cet énorme roman (1037 pages) à la couverture dorée brillante criarde, très en phase avec le style bling-bling ambiant.

Je l’ai pris en mains plusieurs fois avant de le reposer, écœuré par tant de vulgarité.

Puis finalement, je l’ai ramené à la maison, n’arrivant plus à progresser dans « La tache » de Philip Roth.

En ce moment, il me faut de la lecture facile, ne demandant pas de réflexion excessive.

J’en suis à la page 229.

Ce roman policier de facture très classique (le flic intègre, divorcé qui se lance dans une enquête qui le dépasse, accompagné par son fidèle adjoint…) est néanmoins relevé par une excellente sauce curry, puisque l’action se passe de nos jours dans la ville grouillante de Mumbay (l’ancienne Bombay).

Le récit est vif et entraînant, entrecoupé de scènes un peu plus calmes, qui ne dépareillent pourtant pas l’évolution de l’histoire.

De nombreux termes locaux, heureusement traduits dans un petit lexique à la fin du livre émaillent le texte, et vous permettront de vous faire un utile fond lexical "so Guide Bleu" en argot de Mumbay.

En voici quelques exemples et un petit jeu pour agrémenter la soirée, les deux colonnes sont mélangées, à vous de retrouver les bons binômes :

 

 

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Le Seigneur de Bombay

Vikram Chandra

Editions Robert Laffont

20:10 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)

La SEP dans SL

J’ai retrouvé avec plaisir Daneel Ariantho dans SL (Second Life), et encore une fois, il m’a fait découvrir un lieu intéressant.

La fourmi Pat en a d’ailleurs parlé ce jour même sur son blog.

 

J’avais déjà parlé ici de la venue de AIDES dans SL.

Mais d’autres groupes font le choix de s’implanter dans SL afin d’accroître leur visibilité et de profiter des possibilités techniques liées à cet univers en 3D.

 

Cette fois çi, il s’agit de MSweb, un site qui regroupe des malades néerlandais atteints de SEP (Sclérose en plaques).

Malheureusement, le site est principalement rédigé dans la langue un peu difficile de nos amis bataves.

Ils se sont donc implantés dans une vaste sim appartenant à l’Université Libre d’Amsterdam.

Les informations sont bilingues (anglais/néerlandais), claires et synthétiques.

La sim est animée par des volontaires (dont Maarten Supercharge à droite et Gezellie Tigerpaw à gauche sur la photo) qui ont eu la gentillesse de nous faire visiter les lieux.

 

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Pour faire connaître le groupe et promouvoir leurs actions éducatives, une grande soirée sera organisée samedi prochain à 19h00, heure française.

 

Le carton :

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Les coordonnées

 

 

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Edition du 17/02/08: La note de Daneel sur cette initiative

17:25 Publié dans Web | Lien permanent | Commentaires (3)

L'ankus du roi (2)

Mowgli nagea vers le bord, se roula dans l’herbe pour se sécher, et tous deux se mirent en route pour les Grottes Froides, la cité abandonnée dont vous avez déjà entendu parler. Mowgli, à cette époque, n’avait plus peur du Peuple Singe, mais le Peuple Singe gardait la plus vive horreur de Mowgli. Cependant leurs tribus étaient en expédition dans la Jungle, de sorte que les Grottes Froides apparurent vides et silencieuses dans le clair de lune. Kaa ouvrit la marche vers les ruines du pavillon de la reine, qui s’élevaient sur la terrasse, se coula par-dessus les décombres et plongea dans l’escalier à demi bouché qui, du centre du pavillon, s’enfonçait sous terre. Mowgli lança l’appel des serpents : « Nous sommes du même sang, vous et moi », et suivit, sur les mains et les genoux. Ils se traînèrent ensuite, sur un long parcours, dans un passage en pente, qui tournait et revenait plusieurs fois sur lui-même ; et, à la fin, ils atteignirent un endroit où la racine de quelque arbre géant, qui jaillissait du sol à trente pieds au-dessus, avait descellé une des lourdes pierres du mur. Ils rampèrent par cette brèche et se trouvèrent dans un vaste caveau, dont le toit en forme de dôme avait été pareillement disjoint par des racines d’arbre, de telle sorte que de rares traînées de lumière en balafraient l’obscurité.

 

— Voilà un gîte sûr, dit Mowgli, en se redressant et se campant sur ses jambes, mais trop loin pour y venir tous les jours. Et maintenant, qu’allons-nous voir ?

 

— Je ne compte donc pour rien ? dit une voix au milieu du caveau.

 

Et Mowgli vit bouger quelque chose de blanc, et, petit à petit, se dresser le cobra le plus monstrueux sur lequel ses yeux se fussent jamais posés, un être long de huit pieds ou presque, et devenu, à force de vivre dans l’obscurité, d’un blanc de vieil ivoire. La marque des lunettes elle-même sur le capuchon éployé avait tourné au jaune pâle. Ses yeux étaient aussi rouges que des rubis ; tout l’ensemble présentait l’aspect le plus surprenant.

 

— Bonne chasse ! dit Mowgli, qui n’oubliait pas plus ses bonnes manières que son couteau, et celui-ci ne le quittait jamais.

 

— Quelles nouvelles de la cité ? demanda le Cobra Blanc, sans répondre au salut. Quelles nouvelles de la grande cité aux formidables murs — la cité des cent éléphants, des vingt mille chevaux et du bétail sans nombre — la cité du Roi de vingt Rois ? Je deviens sourd ici, et il y a longtemps que je n’ai entendu les gongs de guerre.

 

— Il n’y a que la Jungle sur nos têtes, répondit Mowgli. Parmi les éléphants, je ne connais que Hathi et ses fils. Bagheera a égorgé tous les chevaux dans un village ; et qu’est-ce que c’est qu’un Roi ?

 

— Je t’ai déjà dit, fit Kaa doucement, s’adressant au Cobra, je t’ai dit, il y a quatre lunes, que ta cité n’existait pas.

 

— La cité — la grande cité de la forêt, dont les portes sont gardées par les tours du Roi — ne passera point. Ils l’ont bâtie avant que sortît de l’œuf le père de mon père, et elle durera encore que les fils de mon fils seront aussi blancs que moi. Salomdhi, fils de Chandrabija, fils de Viyeja, fils de Yegasuri, l’a bâtie aux jours de Bappa Rawal. Quel bétail êtes-vous, vous autres, et à quel maître ?

 

— C’est une piste perdue, dit Mowgli, en se tournant vers Kaa. Je ne comprends pas ce qu’il dit.

 

— Moi non plus. Il est très vieux. Père des Cobras, il n’y a ici que la Jungle, comme il en a toujours été depuis le commencement.

 

— Alors, quel est celui-ci, dit le Cobra Blanc, assis en face de moi, sans peur, qui ne connaît pas le nom du Roi, et qui parle notre langage avec ses lèvres d’homme ? Quel est-il avec son couteau et sa langue de serpent ?

 

— On m’appelle Mowgli, fut la réponse. Je suis de la Jungle. Les loups sont mon peuple, et Kaa ici présent est mon frère. Père des Cobras, qui es-tu ?

 

— Je suis le Gardien du Trésor du Roi. Kurrun Rajah bâtit la voûte au-dessus de ma tête, aux jours où ma peau était sombre encore, afin que j’enseigne la mort à ceux qui viendraient voler. Puis on descendit le trésor par un trou, et j’entendis les chants des brahmanes mes maîtres.

 

— Hem ! dit Mowgli en lui-même. J’ai déjà eu affaire à un brahmane dans le Clan des Hommes, et... je sais ce que je sais. Cela va mal tourner tout à l’heure.

 

— Cinq fois depuis ma garde la pierre a été levée, mais toujours pour en descendre davantage, et jamais pour rien retirer. Il n’y a pas de richesses comme ces richesses, trésors de cent rois. Mais il y a longtemps, bien longtemps, que la pierre a bougé pour la dernière fois, et je pense que ma ville oublie...

 

— Il n’y a pas de ville. Lève les yeux. Les racines des grands arbres, là-haut, éventrent les pierres. Arbres et hommes ne poussent pas ensemble, insista Kaa.

 

— Deux ou trois fois, des hommes ont trouvé leur chemin jusqu’ici, répondit férocement le Cobra Blanc ; mais ils ne disaient rien jusqu’à ce que j’arrivasse sur eux, tandis qu’ils tâtonnaient dans l’ombre, et alors ils ne criaient qu’un peu de temps. Mais vous, vous venez avec des mensonges, tous les deux, Homme et Serpent, et vous voudriez me faire croire que ma cité n’existe pas, et que ma garde est finie. Peu changent les hommes au cours des années. Et moi, je ne change jamais ! Jusqu’à ce que la pierre soit levée, et que les brahmanes descendent en chantant les chants que je connais, et me nourrissent de lait chaud, et me ramènent à la lumière, moi, moi, moi, et pas un autre, je reste le Gardien du Trésor du Roi ! La cité est morte, dites-vous, et voici les racines des arbres ? Baissez-vous alors, et prenez ce que vous voulez. La terre n’a pas de trésors comme ceux-ci. Homme à langue de serpent, si tu repasses vivant le chemin que tu as pris pour entrer ici, les Rois jusqu’au dernier seront tes esclaves !

 

— De nouveau la piste est perdue, dit froidement Mowgli. Quelque chacal aurait-il poussé son terrier si profond, et mordu ce grand Capuchon Blanc ? Il est fou sûrement. Père des Cobras, je ne vois ici rien à emporter.

 

— Par les Dieux du Soleil et de la Lune, la folie de la mort est sur ce garçon ! siffla le Cobra. Avant que tes yeux se ferment, je vais t’accorder cette faveur. Regarde, et vois ce qu’auparavant nul homme n’a jamais vu !

 

— Ils ont tort, dans la Jungle, ceux qui parlent à Mowgli de faveur, dit le garçon entre ses dents ; mais l’obscurité change tout, comme je le vois. Je regarderai, si cela peut te faire plaisir.

 

Du regard, en clignant les yeux, il fit le tour du caveau, puis ramassa sur le sol une poignée de quelque chose qui brillait.

 

— Oh ! oh ! dit-il, dans le Clan des Hommes ils aimaient à jouer avec quelque chose de pareil ; seulement, ceci est jaune, et l’autre chose était brune.

 

Il laissa retomber les pièces d’or, et fit quelques pas en avant. Le sol du caveau disparaissait sous quelque cinq ou six pieds de monnaies d’or et d’argent qui avaient jailli des sacs où on les avait primitivement enfermées. Au cours des siècles le métal avait fini par se tasser et s’agglomérer comme fait le sable à marée basse. Dessus, au milieu, ou bien en trouant la surface, comme des épaves bosselant la grève, se voyaient des howdahs à éléphants, en argent repoussé, incrustés de plaques en or martelé, enrichis d’escarboucles et de turquoises. Il y avait des litières et des palanquins pour transporter les reines, encadrés et cerclés d’argent et d’émaux, avec des bâtons à poignées de jade et des anneaux d’ambre pour les rideaux ; des chandeliers d’or à pendeloques d’émeraudes percées qui frissonnaient sur les branches des images de dieux oubliés, hautes de cinq pieds, en argent, avec des yeux de pierreries ; des cottes de mailles damasquinées d’or sur acier, frangées d’un semis de perles gâtées et noircies par le temps ; des casques à cimiers et à filets de rubis sang de pigeon, des boucliers de laque, d’écaille et de peau de rhinocéros, à bandes et à bosses d’or rouge, ornés d’émeraudes sur les bords ; des faisceaux d’épées, de dagues et de couteaux de chasse à poignées de diamant ; des vases et des cuillers d’or pour les sacrifices, et des autels portatifs d’une forme qui ne voit jamais la lumière du jour ; des coupes et des bracelets de jade ; des cassolettes, des peignes, des pots à parfums, pour le henné, pour le khôl, tous en or repoussé ; des anneaux de nez, des bracelets, des diadèmes, des bagues et des ceintures sans nombre ; des baudriers larges de sept doigts, en diamants et rubis taillés en pyramide ; des coffres à triple armature de fer, dont le bois tombé en poudre laissait voir, à l’intérieur des piles de saphirs étoilés, opales, œils-de-chat, saphirs ordinaires, diamants, émeraudes et grenats cabochons.

 

Le Cobra Blanc avait raison. Aucune somme n’aurait pu seulement commencer à payer la valeur de ce trésor, butin trié de siècles de guerre, de pillage, de commerce et d’impôts. Les monnaies seules, pierres précieuses mises à part, étaient sans prix, et le poids brut de l’or et de l’argent pouvait atteindre deux ou trois cents tonnes. Tout prince indigène dans l’Inde d’aujourd’hui, si pauvre qu’il soit, possède une réserve cachée qu’il grossit toujours ; et, bien qu’une fois, de loin en loin, il arrive à un prince éclairé d’expédier quarante ou cinquante chariots à bœufs chargés d’argent pour recevoir en échange des titres de rentes, la plupart d’entre eux gardent jalousement leur trésor et son secret.

 

Mais naturellement Mowgli ne comprenait pas ce que tout cela voulait dire. Les couteaux l’intéressaient un peu, mais ils n’étaient pas aussi bien en main que le sien, et il eut tôt fait de les laisser retomber. À la fin il découvrit un objet vraiment captivant, posé sur le fronton d’un howdah à demi enseveli dans les monnaies. C’était un ankus ou aiguillon à éléphant, de deux pieds de long, quelque chose comme une petite gaffe. Un rubis cabochon unique en formait le sommet, et sur une longueur de huit pouces, au-dessous, le manche était clouté de turquoises brutes dont le semis rapproché fournissait une prise des plus satisfaisantes. Au-dessous encore régnait un rebord de jade sur lequel courait une guirlande de fleurs, seulement les feuilles de ces fleurs étaient d’émeraude, et les corolles de rubis sertis à même la fraîche et verte pierre. Le manche se continuait par une tige de l’ivoire le plus pur, tandis que l’extrémité — la pointe et le croc — était d’acier avec des nielles d’or qui représentaient une chasse à l’éléphant. Les dessins attirèrent l’attention de Mowgli, qui s’aperçut de quelque rapport entre eux et son ami Hathi.

 

Le Cobra Blanc l’avait suivi de près.

 

— Tout cela ne vaut-il pas la peine de mourir pour le voir ? dit-il. Ne t’ai-je pas fait une grande faveur ?

 

— Je ne comprends pas, dit Mowgli. Ce sont choses dures et froides, et en aucune manière bonnes à manger. Ceci, cependant — il souleva l’ankus — je désire le prendre, afin de le voir au soleil. Tu dis que tout cela t’appartient. Veux-tu me le donner ? je t’apporterai des Grenouilles à manger.

 

Le Cobra Blanc frissonna tout entier d’une joie diabolique.

 

— Assurément, je te le donnerai, dit-il. Tout ce qui est ici, je te le donnerai... jusqu’à ce que tu t’en ailles.

 

— Mais je m’en vais maintenant. Il fait sombre et froid dans ce trou, et je voudrais emporter la chose à pointe d’épine dans la Jungle.

 

— Regarde à tes pieds ! Qu’est-ce que cela ?

 

Mowgli ramassa quelque chose de blanc et de poli.

 

— C’est l’os d’une tête d’homme, dit-il avec calme... En voici deux autres.

 

— Ils vinrent, il y a nombre d’années, pour emporter le Trésor. Je leur parlai dans l’ombre et ils ne bougèrent plus.

 

— Mais qu’ai-je besoin de ce qu’on appelle un trésor ? Si tu veux seulement me donner l’ankus à emporter, c’est une assez bonne chasse. Sinon, c’est bonne chasse tout de même. Je ne me bats pas avec le Peuple du Poison, et l’on m’a enseigné aussi le Maître-Mot de ta tribu.

 

— Il n’y a qu’un Maître-Mot ici. C’est le mien !

 

(A suivre…)

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Le second livre de la Jungle. 1894

Rudyard Kipling.

08:15 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)

15/02/2008

Les aventures de J…

J…, infirmière très compétente, très gentille, très jeune (DE +1.5 ans) et très blonde.

 

En plus, elle est un peu dyslexique.

 

Un jour, j’ouvre le dossier infirmier d’un patient déjà là depuis quelques jours.

Un énorme et inquiétant « VIRUS » s’étale en première page à la place du nom de famille.

« Comment s’appelle le patient ? »

« Vitus, pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai marqué ? »  (ce nom est un pseudonyme)

 

Un autre jour, j’entre dans une chambre alors qu’elle explique consciencieusement à un monsieur d’une quarantaine d’années comment faire une « petite toilette », avant de faire une ECBU.

« Alors, vous prenez les compresses, vous mettez ce produit dessus, et vous vous frottez le ki…, uhmm, le kiki…, le prépuce ! »

« Uhmm, tu sais, ce monsieur étant musulman, il est probable qu’il n’ait plus son prépuce depuis très très longtemps… ».

Malgré ses 39°C, le patient était écroulé de rire.

 

Discussion avec l’aide-soignante qui a autant de bouteille qu’un vieux loup de mer et J…  après que nous ayons accueilli un monsieur âgé accompagné de son fils.

Je demande à l’aide-soignante : « Uhmm, c’est moi, ou le fils me parait un peu…. »

« En effet, c’est ce qu’il m’a semblé ! »

« C’est sûr qu’il l’est, il est tout bronzé, sauf le pourtour des yeux ! »

Fou rire avec l’aide-soignante. Nous mettons quelques minutes avant de pouvoir lui demander comment elle pouvait être si catégorique avec un signe aussi étrange.

« Facile, il fait des UV, et il est tout bronzé, sauf autour des yeux à cause des lunettes… »

Alors là, rien à dire, respect. Je ne pense pas que ce signe soit très spécifique ou très sensible, mais en tout cas quel sens de l’observation…

 

Bon à côté de ses remarques parfois un peu surréalistes, sa conscience professionnelle nous a (et m’a) déjà souvent sorti(s) de mauvais pas ou l’examen un peu trop rapide d’un patient nous avait fourré.

Je me souviens notamment d’une pauvre dame qui se plaignait de diarrhée et disait qu’elle urinait moins. Nous avons tous fait du symptomatique pour le trouble du transit (ultralevure…) et négligé le reste. C’est finalement J… qui nous a apporté la solution : la patiente était sous patch de morphiniques et ses symptômes étaient des effets secondaires pourtant « classiques » : rétention d’urines et fécalome…

Merci petite J… !  

10:00 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (3)

L'ankus du roi (1)

Les Quatre qui jamais n’ont été remplis depuis la première Rosée, on les nomme — Gueule de Jacala, gésier de Vautour, mains de Singe, Œil d’Homme.

Dicton de la Jungle.

 

 

Kaa, le gros Python de Rocher, venait de changer de peau pour la deux centième fois peut-être depuis sa naissance ; et, Mowgli, se rappelant toujours qu’il lui devait la vie, à la suite de certaine nuit blanche aux Grottes Froides, dont vous vous souvenez peut-être, accourut l’en féliciter.

 

Un serpent, après avoir changé de peau, reste toujours quinteux et démoralisé jusqu’à ce que la nouvelle peau commence à reluire et à prendre apparence.

 

Kaa ne plaisantait plus Mowgli maintenant, mais, avec tout le Peuple de la Jungle, il l’acceptait comme le Maître de la Jungle, et lui portait toutes les nouvelles qu’un python pouvait naturellement apprendre. Ce qu'ignorait Kaa de la Moyenne Jungle, comme on l’appelle, la vie qui court à ras de terre ou sous terre, la vie des cailloux, des terriers et des racines, on aurait pu l’écrire sur la plus petite de ses écailles.

 

Cet après-midi Mowgli, assis au milieu des grands anneaux de Kaa, maniait la vieille peau flasque et déchirée, qui gisait toute nouée et tordue parmi les rochers, telle que Kaa venait de la quitter. Kaa s’était courtoisement tassé sous les larges épaules nues de Mowgli, de sorte que le garçon reposait en réalité dans un fauteuil vivant.

 

— Jusqu’aux écailles des yeux, c’est parfait, murmura Mowgli, en jouant avec la vieille peau. Singulière chose de voir ainsi l’enveloppe de sa tête à ses propres pieds.

 

— Oui, mais je n’ai pas de pieds, dit Kaa ; et, à la mode des miens, je ne le trouve pas étrange. Est-ce que tu ne te sens jamais la peau vieille et rugueuse ?

 

— Alors, je vais me laver, Tête Plate ; mais, c’est vrai, dans les grandes chaleurs j’ai parfois désiré pouvoir ôter ma peau sans douleur, et courir ainsi allégé.

 

— Moi aussi je me lave, et de plus je change de peau. Quel air a mon nouvel habit ?

 

Mowgli passa sa main sur la marqueterie en losanges de l’immense échine :

 

— La Tortue a le dos plus dur, mais moins gai à l’œil, prononça-t-il. La Grenouille, qui porte mon nom, l’a plus gai, mais moins dur. C’est très beau à voir, on dirait des marbrures dans la cloche d’un lis.

 

— Il lui faut de l’eau. Une peau neuve ne prend jamais tout son lustre avant le premier bain. Allons nous baigner.

 

— Je vais te porter, dit Mowgli.

 

Et il se baissa, en riant, comme pour soulever le grand corps de Kaa par le milieu, juste à l’endroit où le cylindre offrait le plus d’épaisseur. C’était comme si un homme eût essayé de soulever un conduit à eau de deux pieds de diamètre ; et Kaa restait immobile, pouffant de gaieté silencieuse. Puis ils commencèrent leur habituelle partie du soir : l’Adolescent, dans la fleur de sa jeune force, et le Python, en la somptueuse nouveauté de sa parure, face à face pour un match de lutte, épreuve d’adresse et de vigueur. Sans doute Kaa eût pu broyer une douzaine de Mowgli, s’il s’était laissé aller ; mais il jouait avec précaution, et ne donnait pas le dixième de sa puissance. Dès que Mowgli avait eu la force de supporter quelques façons un peu rudes, Kaa lui avait enseigné ce jeu, qui assouplissait les membres du garçon comme nul autre. Parfois Mowgli, garrotté jusqu’au menton par les anneaux mobiles de Kaa, s’efforçait de dégager un bras pour saisir le serpent à la gorge. Alors Kaa cédait mollement, et Mowgli, d’un rapide mouvement des deux pieds, tâchait de paralyser la prise de l’énorme queue, tandis qu’elle cherchait en arrière, à tâtons, l’appui d’un rocher ou d’une souche. Ils oscillaient ainsi d’un côté et d’autre, tête contre tête, chacun épiant son moment jusqu’à ce que le beau groupe sculptural se fondît en un tourbillon de replis noirs et jaunes de jambes et de bras agités, pour se reformer et se défaire encore.

 

— Tiens ! Tiens ! Tiens ! disait Kaa, en faisant des feintes de tête, que la main preste de Mowgli n’arrivait point à parer. Vois ! Je te touche ici, Petit Frère ! Et là, et là ! As-tu les mains gourdes ? Et là encore !

 

Le jeu finissait toujours de la même manière, par un coup droit de bélier qui culbutait le garçon plusieurs fois sur lui-même. Jamais Mowgli ne put trouver une garde contre cette botte foudroyante, et, comme le disait Kaa, il ne valait pas la peine d’essayer.

 

— Bonne chasse ! grogna Kaa pour finir.

 

Et Mowgli, suivant l’habitude, fut lancé à une douzaine de mètres, suffoquant et riant. Il se releva, de l’herbe plein les doigts, et suivit Kaa vers la baignade favorite du sage python — mare profonde et noire comme l’encre, entourée de rochers, et qu’égayaient des moignons d’arbres sombres. Le garçon s’y glissa à la mode de la Jungle, sans un bruit, et plongea ; il reparut à l’autre bord, toujours sans bruit, et se retourna sur le dos, les bras derrière la tête, suivant des yeux la lune qui se levait au-dessus des rochers, et s’amusant, du bout des orteils, à en briser le reflet dans l’eau. La tête taillée en diamant de Kaa fendit la mare comme un rasoir, et vint se poser sur l’épaule de Mowgli. Ils restèrent immobiles ainsi, voluptueusement pénétrés par la fraîcheur de l’eau.

 

— C’est très, très bon ! dit enfin Mowgli d’une voix nonchalante. Éh bien ! à cette même heure, dans le Clan des Hommes, si je me rappelle bien, ils s’étendaient sur des morceaux de bois durs, dans des trappes de boue, et, après s’être soigneusement barricadés contre l’air pur, tiraient une étoffe sale pardessus leurs lourdes têtes, et chantaient de vilaines chansons par le nez. Il fait meilleur dans la Jungle.

 

Un cobra pressé descendit le long d’un rocher, but, leur souhaita « Bonne chasse ! », et disparut.

 

— Sssh ! dit Kaa, comme si quelque chose lui revenait à l’esprit. Ainsi la Jungle te donne tout ce que tu as jamais désiré, Petit Frère ?

 

— Pas tout, dit Mowgli en riant ; ou il y aurait un autre Shere Khan aussi gros à tuer une fois par lune. Maintenant, je pourrais tuer avec mes propres mains, sans l’aide de buffles. Et puis aussi j’ai souhaité voir briller le soleil au milieu des Pluies, et les Pluies cacher le soleil au fort de l’été ; et je ne me suis jamais levé le ventre vide, sans désirer avoir tué une chèvre ; et je n’ai jamais tué une chèvre sans désirer que ce fût un daim, ni un daim sans désirer que ce fût un nilghai. Mais c’est ainsi que nous sentons tous.

 

— Tu n’as pas d’autre désir ? demanda le grand serpent.

 

— Que puis-je désirer de plus ? J’ai la Jungle, et la Faveur de la Jungle ! Y a-t-il quelque chose de plus entre l’aurore et le couchant ?

 

— Pourtant le Cobra disait... commença Kaa.

 

— Quel Cobra ? Celui qui vient de filer n’a rien dit. Il était en chasse.

 

— C’est un autre.

 

— As-tu donc beaucoup de rapports avec le Peuple du Poison ? Pour moi je leur laisse leur chemin. Ils portent la mort dans leur dent de devant, et cela n’est pas juste... car ils sont si petits. Mais quel est ce capuchon avec qui tu as causé ?

 

Kaa se mit à rouler lentement dans l’eau, comme un steamer pris par le travers.

 

— Il y a trois ou quatre lunes, dit-il, je chassais aux Grottes Froides, un endroit que peut-être tu n’as pas oublié. Et ce que je chassais s’enfuit en criant, au-delà des citernes, jusqu’à cette maison dont j’enfonçai jadis un mur à cause de toi, et disparut sous terre.

 

— Mais les gens des Grottes Froides ne logent pas dans des terriers.

 

Mowgli savait que Kaa parlait du Peuple Singe.

 

— Celui-là ne logeait pas, mais cherchait à se loger, repartit Kaa avec un petit frisson de la langue. Il entra dans un terrier qui menait très loin. Je le suivis, puis, ayant tué, je dormis. Lorsque je m’éveillai je m’avançai encore.

 

— Sous terre ?

 

— Tu l’as dit. Je tombai enfin sur un Capuchon Blanc (un Cobra Blanc), qui me parla de choses au-delà de mon entendement, et m’en montra beaucoup que je n’avais jamais vues.

 

— Un nouveau gibier ? Était-ce de bonne chasse ?

 

— Ce n’était pas du gibier, et je m’y serais cassé toutes les dents ; mais le Capuchon Blanc me dit qu’un homme — il parlait comme s’il connaissait l’espèce — qu’un homme eût donné le sang chaud de ses veines pour la seule contemplation de ces choses.

 

— Nous irons voir, dit Mowgli. Je me souviens maintenant d’avoir été un homme.

 

— Doucement, doucement. Trop de hâte a perdu le Serpent Jaune qui voulait manger le Soleil. Nous causâmes donc sous terre, et je parlai de toi, en te désignant comme un homme. Le Capuchon Blanc (il est, en vérité, aussi vieux que la Jungle) dit : « Il y a longtemps que je n’ai vu un homme. Qu’il vienne, et il verra toutes ces choses pour la moindre desquelles beaucoup d’hommes donneraient leur vie. »

 

— Cela ne peut être qu’un nouveau gibier. Et cependant le Peuple du Poison ne nous le dit pas, lorsqu’il y a du gibier sur pied. Ce sont gens peu serviables.

 

— Ce n’est pas du gibier, te dis-je. C’est... c’est... je ne peux te dire ce que c’est.

 

— Nous irons. Je n’ai jamais vu de Capuchon Blanc, et j’ai envie de voir les autres choses. Est-ce qu’il les a tuées ?

 

— Ce sont toutes des choses mortes. Il prétend qu’il est leur gardien à toutes.

 

— Ah ! comme un loup se tient sur la chair qu’il a portée à son gîte. Allons-y.

 

 

(A suivre…)

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Le Second Livre de la Jungle. 1894

Rudyard Kipling.

 

 

 

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14/02/2008

Le deuxième avis.

« Alors ? »

Le patient est tout sourire.

J’ouvre la pochette de l’examen : négatif !

« Parfait, Champagne ce soir pour fêter ça ! »

« Je n’ai pas droit à l’alcool »

« Bon, alors Perrier à volonté ! ».

 

Ce patient est venu me voir mi janvier avec de gros soucis.

Greffé hépatique et rénal, il est suivi comme le lait sur le feu par deux équipes de greffeurs.

Chaque année, il passe une évaluation coronaire, qui est pour l’instant toujours normale.

Mais fin décembre dernier, il s’est rendu au CHG, plus proche de chez lui que le CHU pour son bilan.

Un cardiologue lui passe donc une échographie à la dobutamine. Le médecin est inquiétant : infarctus passé inaperçu, danger, coronarographie à faire rapidement. Il contacte même sur le champ le coronarographiste.

Le patient, très au courant de ses pathologies (comme tous les greffés) s’inquiète pour son rein (à cause de l’iode de la coronarographie) et demande un temps de réflexion.

Il contacte les néphrologues qui répondent « Si les cardiologues veulent la coronarographie, qu’ils la fassent ».

Il contacte alors les hépatologues qui me demandent un deuxième avis.

 

Début janvier je vois le patient, et surtout le résultat de ce fameux examen.

D’abord le nom : je le connais, pas en bien.

Ensuite la conclusion : brouillonne, aucun des critères de qualité requis.

Je lui demande de refaire cet examen, qui revient donc parfaitement normal.

 

Moralité :

Il n’y en a pas. En tout cas ce n’est pas « Préférez le CHU au CHG ».

 

Les greffés préfigurent à mon avis ce que devraient être idéalement, et seront peut-être une partie de nos patients, c'est-à-dire des acteurs, et non des spectateurs de leurs propres soins.

Ils se connaissent parfaitement, interagissent énormément avec leurs équipes de greffeurs qui sont souvent bien plus à leur écoute que n’importe quelle autre équipe de soignants, et ils en tirent un bénéfice maximum. Ils se posent des questions et sont parfois capables de trier le bon grain de l’ivraie. Ils ont bien sûr toujours besoin de nous, comme nous avons besoin d’eux pour les soigner. Ils sont bien sûr réputés « difficiles », car ils sont moins moutons de Panurge que les autres.

Si vous me permettez une comparaison bouddhiste un peu hardie, ils sont « éveillés ».

Cet « éveil » n’est bien sûr pas à la portée de tout le monde.

Mais ce qui était réservé jusqu’à présent qu’à quelques patients atteints de pathologies lourdes et entourés d’équipes médicales importantes (je n’ai parlé que des greffés, car ce sont eux que je connais le mieux) va probablement se « démocratiser », grâce notamment à la « médecine 2.0 ».

Ce concept qui excite beaucoup encore un tout petit cénacle induit une mutualisation de l’information médicale sur le net.

Cette information n’est plus déclamée en chaire sur des sites institutionnels, mais est alimentée, organisée par quiconque s’intéresse au sujet : soignants, soignés, voire d’autres.

Ne pensez pas que ce concept est encore une nuée dans l’esprit d’un geek médicophile. Il se développe doucement mais sûrement. Ce blog, comme tous les autres blogs médicaux sont censés faire partie de ce concept. Bien plus intéressant, le carnaval des blogs médicaux auquel vous avez participé, soignants ou non « est » l’exemple type de ce qu’est la « médecine 2.0 ». Mais il en existe des dizaines d'autres exemples, et leur nombre augmente chaque jour (fora, wikis...).

Vous avez fait de la « médecine 2.0 », comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, sans vous en rendre compte.

 

Bien sûr, des tas d’écueils bien réels devront être évités (j'en parlerai peut-être une prochaine fois).

Mais que nous le voulions ou non, une partie de nos patients va maintenant vouloir participer activement à leurs soins grâce aux informations glanées sur le web.

C’est ainsi, on n’y peut rien, il faut s’y préparer, et faire en sorte que cette nouvelle version du binôme soignant/soigné fonctionne pour le mieux, pour le plus grand bénéfice des deux partenaires.

Soigner des patients « éveillés » requiert plus de rigueur dans nos prises de décision et dans leur application.

Soigner des greffés, patients réputés « difficiles », et bientôt soigner de plus en plus de patients éveillés va nous obliger à devenir meilleurs, et à le rester.

 

Je crois que ce défi va être intéressant.

 

 

 

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 A lire/ à découvrir (liste non exhaustive) :

 

  • Le wiki de Gaétan Kerdelhué

 

08:50 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (5)

13/02/2008

Le coq aux hormones.

Hier visite du secteur convalescence avec le médecin généraliste. Moment toujours agréable et fructueux.

Nous discutons avec la jeune et jolie infirmière (24 ans), et la non moins jeune et jolie aide-soignante (je la connais moins).

Je sors en 10 minutes 2 remarques un peu grivoises, et mon confrère me rappelle que j’en ai sortie une en faisant un döppler, peu avant dans la matinée.

Ce n’est pas du tout mon habitude.

Remarque immédiate de l’IDE pince sans rire: « Uhmm, ta femme est partie faire du ski avec les enfants ».

C’est fou comme certaines femmes nous simplifient à l’extrême. Elles ne croient discerner en nous que la surface sombre et agitée, parfois simple clapotis, parfois gigantesques creux, d’une mer dont les profondeurs seraient tiraillées par de vastes courants hormonaux perpétuels.

Ce n’est même pas réducteur, c’est insultant.

Nous ne sommes pas des coqs aux hormones !

 

Et puis d’abord sa remarque ironique est erronée, ce que je mets sur le compte de sa jeunesse : mon épouse n’est pas encore au ski, elle est partie passer d’abord une semaine à la campagne avec les petits.

 

 

 

 

 

(D'un autre côté, c'est vrai que depuis son départ, je trouve que beaucoup de jeunes femmes sont mignones, voire même le sont devenues...).