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25/07/2006

Le Pacifique

medium_pacifique.jpg"Il y a, dans ces eaux, on ne sait quel tendre mystère, avec ce doux mouvement redoutable qui semble vous parler d’une âme enfermée au-dessous, semblable aux fabuleux frissons onduleux de la terre qui émeuvent, dit-on, le sol éphésien où est enseveli l’Evangéliste saint Jean. Et il est juste aussi que sur le déploiement de ces plaines marines, que sur ces amples, mouvants pâturages de l’océan, qu’au-dessus de ces vastes fonds des quatre continents, les vagues roulent et se lèvent, se creusent et se gonflent incessamment ; car des millions d’ombres et de fantômes, de rêves engloutis, ténébreux noctambules, et de songes noyés s’y entremêlent ; tout ce que nous nommons la vie et l’âme, les vies, les âmes sont là qui rêvent, sans finir ; et qui se tournent comme des dormeurs sur leur lit ; aussi les vagues éternelles ne sont-elles rien que le battement de leur inquiétude."

 

Chap. CXI. Le Pacifique

Moby Dick

Herman Melville

Texte français par Armel Guerne

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16/07/2006

Moby Dick et la tête de veau

medium_1288_Tete_Veau.jpgCe roman est excellent, mais ce n’est clairement pas un livre de vacances. Pas d’ « easy reading » possible, il faut être un minimum attentif à ce que l’on lit.

Le texte est truffé de petites piques contre la religion, l’ordre établi, les petits travers humains.

Encore faut-il les repérer…

Le récit par lui-même représente moins de la moitié du texte. Le reste est constitué de digressions philosophiques, littéraires ou naturalistes (1 chapitre complet dédié à la cétologie !).

Les scènes d’action sont parfaitement retranscrites et coupent agréablement ces chapitres un peu plus « réfléchis ».

Un exemple de digression çi-dessous.

Vous noterez que l’auteur avait prévu dès 1851 l’apparition de l’ESB et l’évolution d’un de nos hommes politiques.

Quelle clairvoyance !

 

   

« Quand le cachalot est de petite taille, sa cervelle est fort estimée. La boite crânienne est alors ouverte en deux à la hache, sur son axe, et les deux lobes dodus et blancs en sont extraits. On dirait tout à fait deux gros puddings. Enrobés de farine et cuits ainsi, ils constituent un mets délectable, de goût très voisin de ce plat que ne renient pas certains épicuriens : la tête de veau. Or, nul n’ignore qu’il est des gastrolâtres parmi les gastronomes, qui, à force de régaler leurs dîners de tête de veau, finissent par ne plus conserver beaucoup de leur propre cervelle et font eux-mêmes, de leurs propres têtes, des têtes de veau : ce qui, évidemment, rend extraordinairement difficile la distinction. Telle est aussi la raison qui fait qu’un de ces jeunes snobs, attablé devant une tête de veau ayant quelque peu l’air intelligent, est l’un de spectacles les plus désolants que vous puissiez voir. La tête semble pleine de reproche devant lui, avec un amer « Toi aussi, Brutus ! » dans toute son expression. »

 

Moby Dick

Hermann Melville

Texte français d’Armelle Guerne

22:22 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (5)

15/07/2006

L'empereur est nu!

Il y a de longues années vivait un empereur qui aimait par-dessus tout les beaux habits neufs ; il dépensait tout son argent pour être bien habillé. Il ne s’intéressait nullement à ses soldats, ni à la comédie, ni à ses promenades en voiture dans les bois, si ce n’était pour faire parade de ses habits neufs. Il en avait un pour chaque heure du jour et, comme on dit d’un roi : « Il est au conseil », on disait de lui :

« L’empereur est dans sa garde-robe. » La vie s’écoulait joyeuse dans la grande ville où il habitait ; beaucoup d’étrangers la visitaient. Un jour arrivèrent deux escrocs, se faisant passer pour tisserands et se vantant de savoir tisser l’étoffe la plus splendide que l’on puisse imaginer.

Non seulement les couleurs et les dessins en étaient exceptionnellement beaux, mais encore, les vêtements cousus dans ces étoffes avaient l’étrange vertu d’être invisibles pour tous ceux qui étaient incapables dans leur emploi, ou plus simplement irrémédiablement des sots. « Ce seraient de précieux habits, pensa l’empereur, en les portant je connaîtrais aussitôt les hommes incapables de mon empire, et je distinguerais les intelligents des imbéciles. Cette étoffe, il faut au plus vite la faire tisser. »

Il donna d’avance une grosse somme d’argent aux deux escrocs pour qu’ils se mettent à l’ouvrage. Ils installèrent bien deux métiers à tisser et firent semblant de travailler, mais ils n’avaient absolument aucun fil sur le métier.

Ils s’empressèrent de réclamer les plus beaux fils de soie, les fils d’or les plus éclatants, ils les mettaient dans leur sac à eux et continuaient à travailler sur des métiers vides jusque dans la nuit. J’aimerais savoir où ils en sont de leur étoffe, se disait l’empereur, mais il se sentait très mal à l’aise à l’idée qu’elle était invisible aux sots et aux incapables.

Il pensait bien n’avoir rien à craindre pour lui-même, mais il décida d’envoyer d’abord quelqu’un pour voir ce qu’il en était. Tous les habitants de la ville étaient au courant de la vertu miraculeuse de l’étoffe et tous étaient impatients de voir combien leurs voisins étaient incapables ou sots.

Je vais envoyer mon vieux et honnête ministre, pensa l’empereur. C’est lui qui jugera de l’effet produit par l’étoffe, il est d’une grande intelligence et personne ne remplit mieux sa fonction que lui. Alors le vieux ministre honnête se rendit dans l’atelier où les deux menteurs travaillaient sur les deux métiers vides. Mon Dieu ! pensa le vieux ministre en écarquillant les yeux, je ne vois rien du tout ! Mais il se garda bien de le dire. Les deux autres le prièrent d’avoir la bonté de s’approcher et lui demandèrent si ce n’était pas là un beau dessin, de ravissantes couleurs.

Ils montraient le métier vide et le pauvre vieux ministre ouvrait des yeux de plus en plus grands, mais il ne voyait toujours rien puisqu’il n’y avait rien. « Grands dieux ! se disait-il, serais-je un sot ? Je ne l’aurais jamais cru et il faut que personne ne le sache ! Remplirais-je mal mes fonctions ? Non, il ne faut surtout pas que je dise que je ne vois pas cette étoffe. » Eh bien ! vous ne dites rien ? dit l’un des artisans. Oh ! c’est vraiment ravissant, tout ce qu’il y a de plus joli, dit le vieux ministre en admirant à travers ses lunettes. Ce dessin ! … ces couleurs ! …

Oui, je dirai à l’empereur que cela me plaît infiniment. Ah ! nous en sommes contents. Les deux tisserands disaient le nom des couleurs, détaillaient les beautés du dessin. Le ministre écoutait de toutes ses oreilles pour pouvoir répéter chaque mot à l’empereur quand il serait rentré, et c’est bien ce qu’il fit. Les escrocs réclamèrent alors encore de l’or et encore des soies et de l’or filé. Ils mettaient tout dans leurs poches, pas un fil sur le métier, où cependant ils continuaient à faire semblant de travailler.

Quelque temps après, l’empereur envoya un autre fonctionnaire important pour voir où on en était du tissage et si l’étoffe serait bientôt prête. Il arriva à cet homme la même chose qu’au ministre, il avait beau regarder, comme il n’y avait que des métiers vides, il ne voyait rien. N’est-ce pas là une belle pièce d’étoffe ? disaient les deux escrocs, et ils recommençaient leurs explications. « Je ne suis pas bête, pensait le fonctionnaire, c’est donc que je ne conviens pas à ma haute fonction. C’est assez bizarre, mais il ne faut pas que cela se sache. »

Il loua donc le tissu qu’il ne voyait pas et les assura de la joie que lui causait la vue de ces belles couleurs, de ce ravissant dessin. C’est tout ce qu’il y a de plus beau, dit-il à l’empereur. Tous les gens de la ville parlaient du merveilleux tissu. Enfin, l’empereur voulut voir par lui-même, tandis que l’étoffe était encore sur le métier.

Avec une grande suite de courtisans triés sur le volet, parmi lesquels les deux vieux excellents fonctionnaires qui y étaient déjà allés, il se rendit auprès des deux rusés compères qui tissaient de toutes leurs forces - sans le moindre fil de soie. N’est-ce pas magnifique, s’écriaient les deux vieux fonctionnaires, que Votre Majesté admire ce dessin, ces teintes. Ils montraient du doigt le métier vide, s’imaginant que les autres voyaient quelque chose.

« Comment ! pensa l’empereur, je ne vois rien ! Mais c’est épouvantable ! Suis-je un sot ? Ne suis-je pas fait pour être empereur ? Ce serait terrible ! Oh ! de toute beauté, disait-il en même temps, vous avez ma plus haute approbation. » Il faisait de la tête un signe de satisfaction et contemplait le métier vide. Il ne voulait pas dire qu’il ne voyait rien. Toute sa suite regardait et regardait sans rien voir de plus que les autres, mais ils disaient comme l’empereur : « Oh ! de toute beauté ! » Et ils lui conseillèrent d’étrenner l’habit taillé dans cette étoffe splendide à l’occasion de la grande procession qui devait avoir lieu bientôt. Magnifique ! Ravissant ! Parfait ! Ces mots volaient de bouche en bouche, tous se disaient enchantés.

L’empereur décora chacun des deux escrocs de la croix de chevalier pour mettre à leur boutonnière et leur octroya le titre de gentilshommes tisserands. Toute la nuit qui précéda le jour de la procession, les escrocs restèrent à travailler à la lueur de seize chandelles. Toute la ville pouvait ainsi se rendre compte de la peine qu’ils se donnaient pour terminer les habits neufs de l’empereur. Ils faisaient semblant d’enlever l’étoffe de sur le métier, ils taillaient en l’air avec de grands ciseaux, ils cousaient sans aiguille et sans fil, et à la fin ils s’écrièrent :

Voyez, l’habit est terminé ! L’empereur vint lui-même avec ses courtisans les plus haut placés. Les deux menteurs levaient un bras en l’air comme s’ils tenaient quelque chose : Voici le pantalon, voici l’habit ! voilà le manteau ! et ainsi de suite. C’est léger comme une toile d’araignée, on croirait n’avoir rien sur le corps, c’est là le grand avantage de l’étoffe. Oui oui, dirent les courtisans de la suite, mais ils ne voyaient rien, puisqu’il n’y avait rien.

L’empereur enleva tous ses beaux vêtements et les escrocs firent les gestes de lui en mettre. Dieu ! comme cela va bien ! Comme c’est bien pris, disait chacun. Quel dessin, quelles couleurs, voilà des vêtements luxueux. Les chambellans qui devaient porter la traîne du manteau de cour tâtonnaient de leurs mains le parquet et les élevaient ensuite comme s’ils ramassaient cette traîne. C’est ainsi que l’empereur marchait devant la procession sous le magnifique dais, et tous ses sujets s’écriaient :

Dieu ! que le nouvel habit de l’empereur est admirable. Personne ne voulait avouer qu’il ne voyait rien, puisque cela aurait montré qu’il était incapable dans son emploi, ou simplement un sot. Jamais un habit neuf de l’empereur n’avait connu un tel succès. Mais il n’a pas d’habit du tout ! cria un petit enfant dans la foule. Grands dieux ! entendez, c’est la voix de l’innocence, dit son père. Et chacun de chuchoter de l’un à l’autre :

Il n’a pas d’habit du tout … Il n’a pas d’habit du tout ! cria à la fin le peuple entier. L’empereur frissonna, car il lui semblait bien que tout son peuple avait raison, mais il pensait en même temps qu’il fallait tenir bon jusqu’à la fin de la procession. Il se redressa encore plus fièrement, et les chambellans continuèrent à porter le manteau de cour et la traîne qui n’existait pas.

 

Les habits neufs de l’empereur (1837).

Hans Christian Andersen.

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