Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13/09/2007

Cas clinique, ce que j’ai proposé (partie 2).

La normalité de l’ensemble du bilan cardiaque, l’ancienneté des épisodes, la notion d’évènements déclencheurs (sauf pour les 3 dernières crises), et la positivité du tilt test orientent donc vers le diagnostic de syncopes vaso-vagales.

 

Ce type particulier de syncope est la conséquence d’un dérèglement de la subtile mécanique du système neuro-circulatoire.

Comme l’a dit fort justement Edouard, c’est ce système archaïque mais délicat qui a permis que l’homme quitte son statut de quadrupède.

En effet, mine de rien, quand nous nous levons d’une position couchée, nous déplaçons environ 500-800 ml de sang vers le système veineux splanchnique et celui des membres inférieurs, ce qui occasionne une baisse du débit cardiaque de 40% environ. Si le système nerveux autonome ne régulait pas automatiquement le débit cardiaque (par une action directe sur le cœur et la vasomotricité périphérique), nous syncoperions presque à coup sûr à chaque changement de position.

Depuis l’époque des traces de pas découvertes en Tanzanie, à Laetoli (environ 3.7 millions d’années), le système a eu le temps de faire ses preuves, même si parfois on observe quelques ratés.

 

Photo Sharing and Video Hosting at Photobucket

 

De quoi se constitue ce système ?

 

Il s’agit d’un arc réflexe, on trouve donc un système afférent, un système intégrateur et un système efférent.

 

Le système afférent est constitué d’une myriade de récepteurs dont les plus importants sont les:

 

  • barorécepteurs artériels (récepteurs sensible à la pression intra artérielle). Les plus connus sont ceux du sinus carotidien qui stimulent le glosso-pharyngien (IXème paire) et ceux de l’arche aortique qui stimulent le nerf vague (Xème paire). Ces récepteurs sont inhibiteurs sur le système cardiovasculaire. C'est-à-dire qu’en cas d’augmentation de la pression artérielle locale, ils vont inhiber le système cardiaque (inotropisme négatif et effet bradycardisant, notamment) et le système vasculaire (vasodilatation), ce qui va avoir tendance à faire baisser la tension artérielle.
  • chémorécepteurs artériels (sensibles au pH, à la pO2 et à la pCO2 intra artérielles). Ils sont aux mêmes endroits et utilisent les mêmes voies que les précédents.
  • mécanorécepteurs atriaux et ventriculaires. Ces récepteurs sont sensibles à la distension des oreillettes et des ventricules cardiaques. Leur stimulation va provoquer des effets diverses (vasodilatation, bradycardie, hypotension et libération des fameux peptides natriurétiques, notamment).
  • récepteurs à la douleur. Une douleur superficielle va avoir tendance à stimuler le système sympathique (augmentation de la pression artérielle et tachycardie), alors qu’une douleur profonde, viscérale va plutôt avoir tendance à faire le contraire. Première petite aparté. Je n’ai pas vraiment d’explication « finaliste » à ce dernier arc réflexe, mais le premier est lumineux : une douleur superficielle, possible conséquence d’une agression (un coup de griffe de lionne, par exemple) va stimuler le système et ainsi permettre une fuite plus rapide. Deuxième petite aparté : les douleurs profondes (néoplasiques par exemple, ou simplement fonctionnelles) vont donc avoir tendance à aggraver/déclencher des malaises neurocardiogéniques.
  • afférences corticales. Cette origine « haute » explique une partie du caractère « affectif » que comporte l’ensemble de l’arc réflexe. La décharge de stress (sudation, palpitations, moiteur des mains) provoquée par l’apparition de l’être aimé ou de la lionne en est la conséquence. D’où l’importance de dépister des facteurs favorisants émotionnels dans la recherche de la cause d’une syncope vaso-vagale (émotion forte, angoisse peur…).  

 

Le système intégrateur se situe à différents niveaux du système nerveux sous cortical : tronc cérébral, moelle épinière. Je ne vais pas rentrer dans des détails qui dépassent très largement mes compétences de cardiologue. Le système nerveux secoue tout ça dans un gros shaker et restitue l’information aux organes cibles par les voies efférentes.

 

Les voies efférentes sont très schématiquement doubles.

  • D’un côté le système parasympathique via le nerf vague (toujours le X) va libérer de l’acétylcholine (ACh sur les schémas) au niveau du cœur, ce qui aura une action bradycardisante quasi exclusive.
  • De l’autre côté, le système orthosympathique, médié par la noradrénaline (NE sur les schémas), va avoir des effets bien plus diversifiés : tachycardie, inotropisme positif, vasoconstriction artérielle et veineuse. Tout cela tend vers une augmentation du débit cardiaque, de la pression artérielle et in fine du débit artériel dans les organes nobles (cœur et cerveau).

 

Pour résumer sur deux schémas :

Photo Sharing and Video Hosting at Photobucket

 

Photo Sharing and Video Hosting at Photobucket

Schémas empruntés ici.

 

 

On se lève, les récepteurs artériels (je n’ai pas parlé des récepteurs situés dans les articulations, ni des autres systèmes neuro-endocrines pour ne pas surcharger) vont envoyer l’information au système nerveux central, qui va inhiber le système parasympathique et stimuler l’orthosympathique. Les centres supérieurs (notamment le cortex) facilitent cette adaptation par "anticipation". En effet, juste avant de vous lever, vous aviez pensé que vous alliez le faire (vous suivez ?). Ils stimulent alors eux aussi tout le système cardiovasculaire.

Le cœur va s’accélérer et battre plus fort, la tension artérielle va augmenter.

On s’est levé, tout s’est bien passé.

 

Mais parfois, le système s’emballe au niveau des récepteurs ou du centre intégrateur, ce que l’on comprend très bien quand on regarde l’énorme flot continu d’informations que ce dernier doit gérer. 

Une « hypersensibilité » du système, par exemple des barorécepteurs artériels, va provoquer une stimulation excessive du parasympathique et/ou une inhibition excessive, elle aussi, de l’orthosympathique, d’où bradycardie et/ou hypotension et syncope.

Une trop forte émotion (la lionne), une déshydratation (la marche dans la savane, l’absence de points d’eau), une douleur, une distension gastrique trop importante (Sacha le glouton), une position couchée trop prolongée (se mettre à 4 pattes pour boire), la déglutition (boire et manger), la miction, la défécation, les douleurs digestives,… vont avoir donc tendance à dérégler le système.

 

L’exemple classique, dont le seul nom fait frémir d'effroi tous les anesthésistes (notamment les bègues et/ou ceux qui ont un cheveu sur la langue) est celui du réflexe de Bezold-Jarisch.

Imaginons un patient un peu stressé au bloc, les jambes pendantes pendant la rachi-anesthésie, imaginons que l’anesthésiste lui fasse un peu mal (c’est une fiction, ne l'oublions pas), imaginons aussi que le patient est un peu déshydraté, un peu vide.

Son système intégrateur va donc être bombardé de noradrénaline.

Son cœur va battre vite et fort, tellement que les mécanorécepteurs vont être stimulés et vont transmettre l’information « on est distendu à fond » au système intégrateur (ici le tractus nucleus solitarius dans le tronc cérébral). Le centre va donc en déduire qu’il faut calmer le système, il stimule donc le nerf vague et inhibe l’orthosympathique. D’où bradycardie, vasodilatation périphérique, inotropisme négatif. Le problème est que le patient est déjà un peu vide (de manière relative car le sang reste coincé dans les jambes pendantes, et de manière absolue, si il est un peu deshydraté). La tension va donc baisser de manière excessive, combiné à la bradycardie ça va provoquer une belle syncope. L’anesthésiste, déjà un peu stressé (15 expressos depuis le matin), un peu vide lui aussi (il est debout pour piquer) et un peu stimulé par sa vessie pleine, va lui aussi syncoper, entraînant son IADE qui est dans les mêmes conditions que lui.

Quand le chirurgien arrive au bloc, il se retrouve donc devant ce tableau incroyable : une IBODE immobile, tel l’âne de Buridan, ne sachant pas qui réanimer en premier : l’anesthésiste, l’IADE, ou le patient.

 

Pour être complet, il existe d’autres conditions qui peuvent aggraver, ou même créer les conditions d’une syncope vaso-vagale.

D’ailleurs, dernier aparté, je ne l’ai pas dit avant, mais la syncope vasovagale n’est qu’un tableau clinique parmi des dizaines d’autres qui rentrent dans l’immense cadre des « syndromes neuro-cardiogéniques », mais je ne vais pas en parler (ouf !).

 

Quelles sont donc ces autres conditions, dont je n’ai pas parlé ?

Petite liste très incomplète :

 

  • atteintes du système nerveux périphérique (Diabète, alcoolisme, toxiques…)
  • atteintes dégénératives du système nerveux central (Parkinson, Alzheimer, Shy-Drager)
  • médicaments (diurétiques, vasodilatateurs, psychotropes…)
  • hyperthyroïdies, myélome multiple…
  • Les insuffisances veineuses des membres inférieurs (par effet de stase sanguine)

 

Il y en a des centaines d’autres.

 

Comme j’en ai marre, il y aura finalement une troisième partie : le traitement (et ce que je lui ai proposé, in fine).

11:05 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (5)

11/09/2007

Cas clinique, ce que j’ai proposé (partie 1).

Second petit préambule (pour les retardataires, le début est ici).

 

 

Un soir particulièrement venteux et glacial, Oncle Vania consentît à descendre de son arbre et à se rapprocher du feu pourtant tant honni durant les douces soirées d’été.

Il accepta et croqua même à pleines dents un cuisseau d’antilope rôtie, avec toutefois une trop démonstrative lippe de dégoût.

Un retentissant « Back to the trees !», signal d’une nouvelle histoire édifiante de l’oncle sur les méfaits de la modernité fit se renfrogner père.

L’oncle se cura les dents, avala le petit morceau d’antilope resté coincé entre deux prémolaires et commença rituellement son récit par une exhortation.

 

« Jamais nous n’aurions dû quitter notre position naturelle qui est celle de tous les autres animaux ! L’orthostatisme n’a apporté à l’homme que des calamités ! »

 

Il continua son récit de son habituelle voix bougonnante.

 

« Une fin d’après midi ensoleillée lorsque j’étais un tout jeune Homo Erectus (il prît une mine dégoûtée en prononçant ce nom du bout des lèvres), nous parcourions, mon meilleur ami Sacha et moi l’immensité de la savane à la recherche d’un point d’eau. Il avait fait particulièrement chaud et toutes nos mares traditionnelles étaient à sec. Comme l’eau attire le gibier, nous avions presque aussi faim que soif.

Puis, au détour d’un bouquet d’acacias, nous vîmes un petit marigot miraculeusement préservé des rayons du soleil par les arbres le matin, et un gros rocher gris l’après midi. Encore plus incroyable, à 3 pas, à peine décomposée, se trouvait une carcasse de phacochère. Si Dieu avait été inventé, nous nous serions jetés à genoux pour le prier et le remercier.

Notre soif et notre faim étouffèrent toute prudence et nous nous précipitâmes sur la carcasse après en avoir chassé quelques vautours chauves. Sacha, glouton invétéré s’empiffra comme à son habitude ; moi je fis honneur à ce festin, mais mon estomac délicat me brida un peu (je souffre depuis ma tendre enfance de reflux gastro-oesophagien). Nous courûmes ensuite vers la nappe d’eau brunâtre pour nous désaltérer en reprenant la posture à quatre pattes de nos ancêtres et bûmes avec délices une eau tiède et saumâtre.

Nous entendîmes soudain, mais trop tard un léger feulement au dessus de nos têtes.

Une lionne nous contemplait du haut du rocher en se pourlèchant les babines.

L’effroi nous saisit, telle la foudre, Sacha et moi.

Mon cœur fît un bond dans ma poitrine et mon sang quitta mon visage.

Nous nous relevâmes instantanément,  et pivotâmes pour nous élancer vers le bouquet d’acacias. Mon sprint n’avait rien à envier à celui d’Asafa Powell, mais ce jour là, je courus encore plus vite, plus vite que le guépard, même et grimpai aux acacias plus lestement que les babouins.

Sauf que les babouins, pas fous, ne montent pas au sommet des acacias siffleurs (Acacia drepanolobium de leur petit nom). Mais si ces derniers ont des épines effilées, ils n’ont pas de mâchoires puissantes capables de broyer une jambe sans effort.

Je me rappelais alors Sacha.

Il était étendu, à terre, sans conscience, à 1 pas à peine du bord du point d’eau.

La lionne était juste arrivée au pied du rocher, elle se rapprochait de mon ami, de sa démarche chaloupée, prenant son temps, tranquillement.

J’appelais, je hurlais « Sacha ! », mais il bougea point.

Dans un premier temps la lionne lui prît doucement la nuque, comme elle le fait d’habitude avec ses lionceaux, puis elle secoua sa gueule de toute sa force, jusqu’à ce que les cervicales de Sacha craquent.

Elle se mit alors à le dévorer consciencieusement, tranquillement.

A peine j’eu le temps de pleurer mon ami que les fourmis vivant dans les petites boules à la base de chaque épine s’intéressèrent à ma présence puis me prirent pour une girafe en train de boulotter leur pied à terre.

L’orthostatisme nous a conduit à cette triste situation : moi, bouffé par des fourmis au sommet d’un acacia aux épines acérées, et à son pied mon ami Sacha, dégusté par une lionne gourmande. »

 

La voix de père s’éleva du fond de la caverne : « Et alors quoi Vania ? De quoi te plains-tu ? Ton système nerveux autonome a parfaitement bien joué son rôle ! La norépinéphrine libérée par ton système sympathique t’a permis de te relever et de te dépasser pour échapper à la lionne. Sans adaptation de ton débit cardiaque, tu n’aurais pu ni te lever, ni courir, ni grimper à l’arbre. L’orthostatisme a été un pas décisif dans l’évolution de l’homme ! Revenir en arrière, serait retourner à l’âge de l’homme des cavernes, dont nous ne sommes pas encore sortis, d’ailleurs… ».

Les yeux de l’oncle rougeoyèrent : « Edouard ! Et mon ami Sacha, l’oublies-tu ? Il serait resté à 4 pattes qu’il n’aurait pas eu besoin d’un machin compliqué pour assurer le maintien du débit cardiaque en cherchant à prendre une position contre nature. Cette belle mécanique s’est détraquée chez lui, et il a fini dans le ventre d’un félin affamé.».

Le visage de père se détendit, signe qu’il allait décocher un argument décisif à l’oncle.

« Peut-être, mais qui a pu ensuite descendre d’un acacia défendu par des fourmis voraces, alors que la lionne rassasiée est allée faire un somme un peu plus loin ? »

L’oncle bondit sur ses pieds, brandit un poing menaçant et grommela quelques mots inintelligibles avant de bondir dans l’obscurité gardée à distance par notre feu. Nous entendîmes toutefois clairement au loin un « back to the trees ! » rageur.

Père, savourant sa victoire, se tourna alors vers nous : « Il reviendra, il a pris goût à l’antilope rôtie. ».

 

Photo Sharing and Video Hosting at Photobucket

 

 °0°0°0°0°0°0°0°

 

Dans la seconde partie, un peu de théorie (il en faut) et comment je l’ai appliquée à cette patiente.

 

Je tiens par ailleurs à m’excuser auprès des mânes de Roy Lewis d’avoir ainsi plagié caricaturalement son magistral chef-d'oeuvre , « Pourquoi j’ai mangé mon père ».

17:50 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)

Cas clinique (précisions).

Premier petit préambule à la suite de la consultation de cette brave dame de 68 ans.

 

  • Doudou demande un holter ECG : j’ai oublié de le préciser, mais j’en avais un à ma disposition, récent et parfaitement normal.
  • Le Docteur Mailler demande un ECG : j’en ai fait un qui ne montre aucune anomalie, notamment aucun trouble rythmique ou conductif. Ensuite, il pose l’excellente question des facteurs favorisants et de la présentation clinique. Les 3 derniers malaises n’avaient aucune cause évidente, quand ils sont arrivés, elle était calme et détendue, ne mangeait pas ou ne venait pas de manger, et ne s’était pas levée récemment. Par contre, tous les autres (elle en fait depuis l’âge de 12 ans) étaient clairement liés à des situations stressantes. Le autre traitement qu'elle prend est un anxiolytique léger  (je ne sais plus lequel). Par contre, je n'avais pas à ma disposition de bilan biologique récent.La présentation clinique est double : le plus souvent une véritable syncope avec un début et une fin brusques et une fois (la dernière) avec des prodromes (sueurs, sensation de chaleur, tête vide) qui lui ont permis de s’asseoir. Par ailleurs, dans ce dernier cas, elle n’a pas syncopé.

09:00 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (2)