15/10/2007
Se tirer une balle dans le pied.
J’avoue ne pas avoir trop suivi les péripéties de la grève des internes.
Jusqu'à aujourd'hui.
Ce matin, une jeune interne m’a annoncé que le bureau des entrées était occupé, et donc que les consultations externes n’allaient pas être facturées.
Bien, tant mieux, cela ne me gène pas. Dans mon monde utopique, la médecine devrait être gratuite pour tous.
Je commence la vacation.
9h30, arrive un patient visiblement en insuffisance hépato-cellulaire.
Le bon de consultation est parfaitement vierge. Normal, les internes sont en grève, donc personne ne rédige les courriers médicaux.
Ce patient est venu en août dernier en consultation cardiologique en bilan pré transplantation hépatique pour une cirrhose évoluée. Tout était normal.
Je me demande donc pourquoi il revient aujourd’hui.
Je téléphone donc dans le service de médecine qui me l'a envoyé. J’obtiens un externe.
« Sais-tu pourquoi je dois voir ce patient ?
- Euh oui, en consultation pré transplantation hépatique.
- Rien de nouveau depuis la dernière consultation en août.
- Non, rien du tout. ».
Je jette un coup d’œil en échographie cardiaque.
Je suis surpris de trouver une fuite aortique notable qui n’était pas présente il y a 2 mois. Je tourne un peu autour de la valve et je vois un petit élément mobile qui y est attaché.
Curieux et inquiétant.
Je demande alors au patient si il a de la température.
Il a des pics fébriles depuis 2 mois environ.
J’appelle le service pour leur dire que je suspecte une endocardite infectieuse et qu’il faut le prendre en charge sans tarder.
J’obtiens un sympathique FFI, mais qui vient juste d’arriver dans le service et qui ne connaît évidemment pas le patient.
Je demande alors à parler à un assistant ou un PH pour discuter du cas, mais ce n’est pas possible et je donne mon numéro de poste ou je peux être joint.
12h00, fin de vacation, pas de coup de fil.
Je tape alors un petit courrier synthétique de ma consultation, que j’apporte en main propre au FFI.
Ce n’est bien entendu qu’un cas isolé.
Je souhaite néanmoins que la qualité des soins à laquelle sont tant attachés les internes perdure tout au long de leur grève.
Lutter pour la liberté d’installation et contre les franchises, c’est bien.
Mais cela ne doit pas se faire au détriment des patients, sous peine de s’aliéner tout soutien populaire.
13:20 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (6)
11/10/2007
Le dire, ou pas.
Faut-il dire à un patient qui vient de faire son premier syndrome coronarien aigu que cela risque de se reproduire ?
En théorie, cela ne se discute pas, c’est oui.
Pour agir rapidement en cas de nouveaux symptômes, pour que le suivi soit optimal, c’est à dire poursuivi même si tout va bien, et aussi pour que le patient soit à même de comprendre sa pathologie, la réponse est définitivement oui.
Alors, pourquoi personne ne le fait en hôpital ou en clinique ? Pourquoi personne n’éclaire le patient sur sa pathologie ?
Pourquoi personne ne leur dit que la coronaropathie est une maladie chronique avec des phases aiguës et non une maladie aiguë qui ne reproduira plus jamais, comme la rougeole ?
En général, quand je les vois en clinique en réadaptation après la phase aiguë, je suis le seul à leur parler d’une éventualité de récidive (je fais un syndrome de Calimero). Donc assez souvent, je me retrouve à aborder ce sujet en parlant aux patients lorsque je les mets en garde en cas de récidives de douleurs… Et assez souvent, il faut bien le dire, ils tombent de très très haut, puisque personne ne leur a dit que ça pouvait recommencer.
Pensez donc, j’ai un ressort, ça ne peut pas se reboucher…
Je me suis donc fait la réputation d’être le Dr House de service. Pour plaisanter, les infirmières prennent la grosse voix quand j’arrive et disent la phrase supposée être mon leitmotiv : « Madame/Monsieur, vous allez mourir… ».
Aujourd’hui, ça a été le pompon.
Je discute avec une famille en l’absence de la patiente. Je leur explique les signes d’alerte qui doivent faire appeler le SAMU.
La patiente déboule dans sa chambre un peu plus tard puis me rejoint avec sa fille. Elle me joue la grande scène de l’acte I en me clamant que si ça devait recommencer, elle aurait plutôt préféré mourir de son infarctus, que je l’avais inquiétée…
Après, je n’est pas été très fin, je l’avoue…
Je lui ai dit que j’avais dit des bêtises, qu’elle devait m’excuser, qu’elle était en fait immortelle grâce aux stents et qu’elle mourrait au delà des 130 ans, par lassitude. Elle est repartie dans sa chambre comme une diva. Sa fille m’a dit que j’avais bien fait de lui mettre les points sur les i. Malheureusement, j’ai payé ma franchise car elle a fait durant toute l’après midi une grosse crise d’angoisse avec douleurs précordiales, sueurs et tension artérielle systolique à 240. Je suis allé la voir pour la rassurer.
Elle m’a alors dit « qu’elle ne m’en voulait pas, et que je n’aurais pas du lui raconter tout ça car elle était consciente de son état ». J'ai trouvé ce "pardon" stupéfiant, mais je n’ai préféré rien dire et j'ai calmé sa crise par un cocktail atarax+loxen.
Bilan des courses : une patiente au fond du lit, 1 heure de perdue et une réputation de Dr House au plus haut.
Tout va bien…
°0°0°0°0°0°0°0°
Petit ajout : aujourd’hui, je n’étais peut-être finalement pas en grande forme.Un couple, la quarantaine, est venu me voir à peu près au même moment.
Monsieur a fait un infarctus. Et ils sont très inquiets tous les deux.
Devant pas mal de monde, c’est à dire l’aide soignante et l’infirmière, Madame évoque d’emblée sa vie intime, en précisant que personne ne leur avait parlé de ça avant.
Sexe en post infarctus, problème délicat.
J’ai un peu traité le sujet à la hussarde.
Me tournant vers Monsieur : « vous faîtes du vélo en rééducation ? ».
Monsieur : « 20 minutes, deux fois par jour ».
Me tournant vers Madame : « Et bien, c’est pareil. Donc vous pouvez avoir une activité sexuelle ! ».
Ils ont alors rigolé.
J'ai alors fugitivement pensé à ce célèbre toast des Hussards : « A nos chevaux, à nos femmes, et à ceux qui les montent ! »
20:30 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (14)
Les meilleurs chirurgiens savent ne pas opérer.
Je suis depuis 2004 une patiente diabétique et polyvasculaire de 78 ans.
Quand on s’est connus, j’avais fait dilater son artère iliaque externe droite pour une claudication intermittente.
Depuis lors, elle cavale en ville et mes contrôles döppler sont satisfaisants.
Au cours de l’été, elle se plaint soudain d’une claudication intermittente assez serrée (stade de Leriche IIb).
Je fais un döppler : occlusion de la fémorale superficielle droite avec une mauvaise reprise poplitée et sténose serrée de la fémorale superficielle gauche distale. Les IPS sont à 0.6 au repos.
Je documente le tout en vue d’une intervention (examen fonctionnel des coronaires parfait, test de marche confirmant la sévérité des symptômes, döppler TSAO satisfaisant, bilan biologique satisfaisant) et je l’envoie à un PH de chirurgie vasculaire que je connais bien (je fais des döpplers dans le service).
J’avoue que la perspective d’une intervention ne m’enchantait pas, mais son périmètre de marche était vraiment serré.
Puis de façon assez inattendue, elle se remet progressivement à trottiner comme avant.
Je maintiens le rendez-vous pour voir ce que le chirurgien va en penser.
Elle y va, et il opte pour la poursuite du traitement médical, et une réévaluation dans 3 mois.
Son idée est qu’elle ouvre progressivement ses collatérales, et que son artériopathie se compense doucement. Etant donné son âge et ses co-morbidités (qui ne sont pas majeures, toutefois), il préfère surseoir à l’intervention.
J’applaudis des deux mains, mais c’est vrai que c’est difficile de le faire avec une seule…
Je l’ai revue en consultation lundi dernier, tout va bien.
Je me suis alors demandé combien de chirurgiens auraient opté pour cette prise en charge non invasive.
Probablement assez peu, et encore moins dans le privé.
Je ne diffame pas, je le constate tous les jours à l’hôpital et en clinique. Je n’ai aucun parti pris, je travaille dans les deux secteurs, bien que par mon éducation, je sois très attaché au service public. J’envoie donc mes patients indifféremment en clinique ou à l’hôpital en fonction de leurs désirs et de ce que je sais de leur prise en charge future.
A l’hôpital, je suis certain que le côté financier ne rentrera pas en compte, et que le patient sera « cadré » (parfois un peu trop, pour faire de la « science »…) mais par contre le service public n’arrive pas à la plante des pieds du privé pour son efficacité et l’hôtellerie. C’est un peu caricatural, il y a pas mal d’exceptions mais c’est quand même un peu ça.
Combien de fois j’ai vu/je vois des chirurgiens ou des cardiologues interventionnels (privés et publics) faire un acte, au « mieux » pour faire plaisir au correspondant ou faire de la science, au pire pour leur enrichissement personnel ?
Le choix d’un cardiologue traitant doit aussi se faire en fonction des gens avec qui il travaille.
C’est même presque le critère plus important.
10:30 Publié dans Médecine | Lien permanent | Commentaires (1)